Née à Port-au-Prince, Stéphanie Degand, alias Zaïre, a mûri sa passion pour l’artisanat aux Etats-Unis avant de s’établir en Afrique de l’Ouest. Nicolas Négoce dresse le portrait d’une créatrice de mode engagée qui a le goût de l’aventure.
Des vêtements peints, des sacs à main de toutes les formes et de toutes les couleurs, des bijoux ethniques en argent ou en bronze. D’origine haïtienne, Zaïre s’est fait un nom dans la mode grâce au métissage de ses créations. A Chicago, où elle travaillait dans le secteur privé, Zaïre a pu voyager en Afrique et en est tombée amoureuse. Aujourd’hui, Zaïre réside au Sénégal et tente de développer sa marque, Identité 1804.
« Quand on me demande pourquoi j’ai choisi l’Afrique et pas Haïti, je dis toujours « Si ou pa jwenn manman, ou rété grann », ce qui veut dire « Si tu ne trouves pas ta mère, tu t’allaites de ta grand-mère ». Pour moi, l’Afrique, c’est le continent de mes ancêtres. Si je ne peux pas m’installer chez moi, en Haïti à cause de l’instabilité politique, alors je vais là d’où viennent mes grand-mères, sur le continent africain. »
La crise sanitaire est passée par là et a considérablement ralenti le développement de l’activité de la créatrice. « J’ai dû fermer ma boutique artisanale et mon restaurant à Dakar. Puis, la boutique où l’on vendait mes articles aux Etats-Unis a aussi fermé momentanément. Financièrement, c’était un coup dur comme pour beaucoup d’autres. »
70 % de perte du chiffre d’affaires
Pour s’en sortir, Zaïre tente alors de se tourner vers le digital. « Nous, les créateurs, devons nous habituer à produire notre propre contenu digital pour présenter nos collections. On peut aussi imaginer de nouvelles façons de faire la promotion des collections et de dynamiser les ventes. C’est plus économique et il y a des innovations, comme le pay-per-view, disponible au Sénégal. Ce système permet aux gens partout dans le monde, de suivre des défilés dans les conditions du direct, comme la Dakar Fashion Week, en décembre, l’unique grand événement où j’ai pu présenter mes créations en 2020. »
Mais, les nouvelles technologies coûtent très cher et il n’est pas facile pour la majeure partie des créateurs de débourser des milliers d’euros pour être présents sur les plateformes digitales.
« Il y a une tendance aux Etats-Unis qui consiste à soutenir les entrepreneurs noirs. »
Si l’intérêt de Zaïre et son goût pour la mode n’ont pas faibli malgré la récession économique, elle confie avoir perdu 70 % de son chiffre d’affaires. « Ce qui est difficile pour les stylistes, c’est le manque de matière première sur le continent et les coûts élevés de la production et l’exportation pour les petites structures. J’ai commencé à vendre des produits faciles à confectionner comme les masques. Il y a une tendance actuellement aux Etats-Unis qui consiste à soutenir les entrepreneurs noirs, mais beaucoup de commerçants noirs s’approvisionnent malheureusement en Chine », déplore Zaïre.
La créatrice de mode veut encourager les Caribéens à investir en Afrique. Pour elle, les gouvernements devraient réfléchir à la mise en place de véritables échanges entre l’Afrique et les Caraïbes. Selon Zaïre, il y a beaucoup à apprendre de la mode africaine. « En Afrique plus qu’ailleurs, les vêtements traditionnels symbolisent la culture africaine. Ils sont le résultat d’interactions planétaires et de changements historiques. Ils nous permettent de nous rendre compte des différents circuits de la mode. Elle évolue sans cesse avec des influences très diverses et je crois que tout cela serait bénéfique aux créateurs de chez nous. » Zaïre souhaiterait également que son parcours inspire des jeunes Haïtiens à croire en leurs rêves et à se battre pour atteindre leurs objectifs.
Nicolas Négoce
