Wally Fall : « La santé mentale reste un sujet tabou »

Documentaire sur la santé mentale, Mantjé tombé sé viv, du réalisateur sénégalo-martiniquais Wally Fall a été présenté à Philadelphie, Trinidad-et-Tobago, ainsi qu’au Brésil. Il a été primé aux festivals Monde en vues de Guadeloupe et CinéMartinique 2023.

Qu’est-ce qui a provoqué le déclic pour ce film sur la santé mentale ?

Wally Fall : C’était particulier. C’est parti d’un événement assez personnel : j’ai eu des proches confrontés à des diagnostics en psychiatrie. C’est ce qui m’a sensibilisé à cette question. Après, quand d’autres personnes m’en ont parlé, pour d’autres raisons, l’envie de faire un film a fait son chemin. Ce n’est pas un sujet que nous abordons souvent, dans nos régions, avec nos problématiques, nos spécificités… Quand j’ai commencé mes recherches, que j’ai passé du temps dans les hôpitaux psychiatriques…, on me demandait toujours pourquoi je voulais en parler, pourquoi je voulais faire un film sur la santé mentale. Il y avait toujours une suspicion.

Comment l’expliquez-vous ?

Siméline Jean-Baptiste, artiste-chercheuse, et Wally Fall, réalisateur.

Peut-être qu’il y avait une grande méfiance parce que, la plupart du temps, quand les médias s’emparent de ces questions, elles sont toujours traitées de façon stéréotypée, voire caricaturale. La folie est enfermée dans un hôpital psychiatrique, ce qui laisse penser, à tort, que ces questions ne nous concernent pas tant que nous n’y sommes pas directement confrontés. Ce sujet reste tabou : quand on en parle, généralement, c’est qu’on est concerné… On évite d’en parler avec ls personnes qui ne sont pas concernées. C’est toujours un peu délicat parce que le regard change sur ces personnes. Presque comme quelque chose de honteux.

J’aime questionner nos parts d’ombre, ces choses en nous qu’on n’aimerait pas trop regarder, avec lesquelles on n’est pas très à l’aise… Quand on arrive à pointer un peu de lumière sur ces parts d’ombre, j’ai l’impression que collectivement, c’est ce qui nous renforce.

Pour éviter les clichés, quel angle avez-vous choisi ?

J’avais envie de questionner notre regard sur ce thème et les questions qu’il soulève. Au bout du chemin, j’ai réalisé que ce qui m’intéressait vraiment est ce qui fabrique le regard que nous portons sur la santé mentale. Je voulais que nous répondions collectivement à ces questions. Nous sommes dans une société qui juge les gens en fonction de leurs performances. Dès qu’on est « défaillant », on est mis de côté : c’est ce qu’exprime l’enfermement. Siméline Jean-Baptiste, artiste-chercheuse, fait partie des personnes qui m’ont permis d’aborder ces questions de façon différente. Elle avait testé des dispositifs avec le bèlè, avec des enfants qui ont des troubles de l’attention. Je lui ai proposé de tenter l’expérience en milieu psychiatrique : elle a adhéré. J’ai su qu’on pouvait faire le film en mettant en avant cette expérience.

Comment le film a-t-il été accueilli au Brésil, par exemple ?

Ils sont plus avancés que nous sur ces questions : l’enfermement n’est pas systématique. On voit le chemin à parcourir ! Malgré tout, cette discussion résonne chez eux parce que le film esquisse d’autres possibilités dans les alternatives qu’on peut apporter à ces questions. Là-bas, ils voient le tambour qui fait particulièrement écho chez les Afro-descendants. Ils y étaient très sensibles, de même qu’à Philadelphie. L’accueil a été chaleureux, avec des questions vraiment pointues sur l’expérience que nous avons tentée, même pour les gens qui ne connaissent pas du tout la Martinique. La parentalité de la musique, la parentalité culturelle créaient des ponts qui permettaient de comprendre tout de suite de quoi il s’agissait, ce que les personnes exprimaient à travers leur expérience. On ressent cette parentalité malgré nos différences, notre éloignement… On a pu avoir des échanges très profonds.

Ça m’a beaucoup rassuré sur la démarche que nous avons eue et ça donne envie de continuer ! C’est très enrichissant de discuter sur le travail qu’on a fait : cela apporte une compréhension plus fine de ce qu’on fait, comment il a été reçu, ce qu’on a « raté » aussi parfois ! Cet aspect, l’accompagnement du film, dès que c’est possible, j’essaye de prendre le temps de le vivre, de participer à des discussions. Personnellement, cela me nourrit beaucoup pour mes autres projets.

Entretien : Cécilia Larney

Le documentaire Mantjé tombé sé viv est programmé sur Guadeloupe la 1e, lundi 13 novembre, à 20 h 35.
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