USA. On trie les Haïtiens à leur arrivée

Chaque jour, les Haïtiens prennent le risque d’une traversée mouvementée.

Un nombre impressionnant de migrants haïtiens échouent sur les côtes de la Floride.

Certains sont admis à entrer aux Etats-Unis alors que d’autres sont rapidement refoulés en Haïti bien qu’ils aient atteint les eaux territoriales américaines.

Cette situation fait, entre autres, resurgir des questions sur la politique migratoire pratiquée par les États-Unis.

Un article publié par le Miami Herald cette semaine révèle que « Lors d’au moins quatre arrivées différentes de bateaux au cours des cinq derniers mois, des migrants haïtiens qui ont sauté de navires en mauvais état et surchargés dans les eaux au large des Florida Keys ont été repêchés par des agents fédéraux et amenés à terre pour être contrôlés, tandis que ceux qui sont restés à bord ont été transférés vers des garde-côtes américains pour être rapatriés. L’un des derniers exemples en date de cette pratique s’est produit samedi, lorsque 113 ressortissants haïtiens à bord d’un voilier surchargé ont sauté dans les eaux peu profondes des Florida Keys, tandis que 200 autres sont restés sur le bateau. Ceux qui sont restés à bord du bateau ont été placés sur un bateau des garde-côtes pour être rapatriés en Haïti. »

Le même scénario s’est produit deux jours plus tard à l’arrivée dans les eaux peu profondes au large des Middle Keys.

Les 109 personnes qui étaient déjà à terre avant l’arrivée des agents fédéraux avaient été placées en détention alors que les 14 autres qui étaient restées sur le bateau ont été immédiatement emmenées par les garde-côtes américains, rapporte ce même article.

Cette pratique fait penser à la politique du « Wet Foot, Dry Foot (pied mouillé, pied sec) » qui a toujours constitué une préoccupation pour les défenseurs des droits de l’homme qui la jugent dangereuse.

Créé par l’administration Clinton, la politique « Wet Foot, Dry Foot » (WFDF) stipulait que les immigrants cubains qui atteignent le sol américain pouvaient rester dans le pays tandis que ceux interceptés en mer étaient renvoyés à Cuba. Cette politique a été éliminée en 2017 sous l’administration de Barack Obama.

Pour Muzaffar Chishti, avocat et chercheur principal au Migration Policy Institute, les garde-côtes et le service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis (U.S. Coast Guard and Customs and Border Protection) sont guidés par un protocole issu d’une décision de la Cour suprême de 1993 qui a confirmé la politique des présidents George H.W. Bush et Bill Clinton consistant à renvoyer en Haïti les Haïtiens interceptés en mer sans audience de demande d’asile, à moins qu’ils ne déclarent avoir une crainte crédible d’être en danger en cas de renvoi.

« Ce qui se passe sur la terre ferme,
nous ne le savons pas. »

Muzaffar Chishti, avocat et chercheur principal au Migration Policy Institute

« Une fois qu’ils sont dans les eaux territoriales, et qu’ils ne sont pas sur le bateau des garde-côtes, la solution de recours est de les amener à terre. Ce qui se passe sur la terre ferme, nous ne le savons pas », a déclaré Chishti, faisant écho à une autre préoccupation des défenseurs des droits des Haïtiens concernant le voile de silence du Département de la Sécurité intérieure autour des migrants haïtiens.

« Ils n’ont pas de protocole pour traiter les personnes qui ne sont pas sur des bateaux et, comme ils n’en ont pas, ils les traitent comme s’ils étaient entrés sur le territoire américain, puis ils les traitent pour des examens d’asile quelque part sur la terre ferme », a révélé l’avocat, qui a qualifié troublante cette pratique qui est « une incitation aux gens à prendre des risques. »

Randolph McGrorty, directeur exécutif de Catholic Legal Services

De son côté, Randolph McGrorty, directeur exécutif de Catholic Legal Services, estime dangereuse cette pratique où les gens sautent dans l’eau pour éviter d’être interceptés.

« Ils devraient être accueillis, ils devraient tous passer des entretiens afin d’établir qu’ils ont une crainte crédible s’ils sont renvoyés en Haïti », a tranché

Une absence de politique migratoire claire

Par ailleurs, cette situation révèle un autre malaise, celui de savoir si ces migrants haïtiens bénéficient d’une procédure régulière pour présenter leur demande d’asile après qu’ils ont franchi la frontière ou qu’ils ont été ramenés à terre.

« D’après ce que nous voyons maintenant, je ne pense pas qu’il y ait une politique d’immigration claire », a déclaré Cassandra Suprin, directrice du programme de défense des familles pour Americans for Immigrant Justice, basé à Miami, qui travaille avec les migrants.

« Nous remarquons un schéma. Le titre 42 est toujours appliqué à la frontière, les personnes interceptées en mer sont expulsées, et les personnes qui atteignent le sol américain sont parfois interrogées. Pourtant, nous ne sommes pas sûrs de ce qu’il advient de toutes ces personnes et nous ne savons pas exactement pourquoi. »

Suprin a déclaré par ailleurs qu’elle ne pense pas que l’approche de l’administration à l’égard des Haïtiens sans papiers qui tentent d’atteindre les États-Unis va créer un effet dissuasif.

« À ce stade, il devrait y avoir une sorte de mécanisme pour voir comment ils peuvent au moins avoir la possibilité de demander l’asile. Compte tenu de la situation en Haïti, je ne pense pas que ce qui se passe en ce moment va les décourager », a-t-elle déduit. « Il y a une crise politique en Haïti et cela ne va pas dissuader les gens lorsqu’ils ont une véritable crainte. »

Si l’on en croit l’analyse de Tom Ricker, qui suit la politique d’immigration des États-Unis et écrit un blog pour l’organisation de justice sociale Quixote Center, même si au niveau de la frontière sud plus de migrants haïtiens ont été admis à entrer et rapidement expulsés, cela ne signifie pas que les Haïtiens sont autorisés à rester à long terme et beaucoup sont renvoyés en Haïti après plusieurs mois.

L’administration Biden
et la migration haïtienne

Si l’on ne peut pas prouver qu’il y a une discrimination systématique à l’égard des Haïtiens, le nombre de compatriotes à être expulsés dépasse largement ceux de migrants venant des pays voisins.

Depuis janvier, l’administration a rapatrié de force plus de 20 000 migrants haïtiens, dont plus de 6 100 interceptés en mer par les garde-côtes, selon l’Office des Nations unies pour les migrations internationales.

Le nombre de rapatriements a dépassé celui de l’année dernière, au cours de laquelle 19 629 Haïtiens ont été rapatriés des États-Unis, et il s’agit principalement de migrants entrés aux États-Unis par la frontière mexicaine.

Source :  » Why some Haitian boat refugees are allowed into the U.S. and others are sent back », Jacqueline Charles, 9 août 2022

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