Tribune. In memoriam Papa Yaya

PAR ANTONY JEAN

Ce jour, le 17 août, en 2006, disparaissait Gérard Lauriette, affectueusement surnommé « Papa Yaya ».

A une époque où le créole était interdit à l’école, à l’église, à la radio et dans l’administration, un véritable lavage de cerveau tendait à faire croire que le créole ne menait nulle part et qu’on ne pouvait réussir qu’avec le français. L’une des premières personnes à dénoncer ce préjugé et à faire descendre le français de son piédestal fut Gérard Lauriette. A l’instar des nègres marrons qui refusaient l’esclavage, il refusa l’esclavage linguistique et culturel du français.

Issu d’une famille de quatre enfants, Gérard Edmond Lauriette naît dans la nuit du 22 au 23 février 1922, à Schœlcher, section de la commune de Trois-Rivières. Dès l’âge de 12 ans, il s’intéresse plus aux croyances africaines de son père qu’à celles de la religion chrétienne de ses parents maternels, ce qui ne l’empêche pas d’effectuer une très bonne scolarité. Il obtient son Certificat d’Études Primaires à 12 ans. En juin 1937, après s’être classé premier au Brevet Élémentaire à Basse-Terre, il est accepté, comme élève non boursier, à l’École Normale de Pointe à Pitre.

En juin 1938, il réussit à un concours de bourses et devient apprenti-instituteur. Le 19 octobre 1940, au début de la dernière année d’apprentissage, il est suspendu de cours pendant six mois au motif qu’il n’a pas assisté à la messe et a quitté l’église pour aller voir un sous-marin, chose qu’il n’avait jamais vue. Malgré cela, après moins de deux mois de cours, il sort major de sa promotion à 19 ans.

Exerçant comme instituteur, il a, très tôt, une appréciation très critique sur les programmes, les contenus et les méthodes d’enseignement. Il conteste notamment l’usage du seul français pour l’enseignement en Guadeloupe. Il refuse d’être un « fonctionnaire robot » et décide de résister à « l’asservissement intellectuel du français ». Il ose introduire le créole à l’école alors qu’il en était banni. Il ose expliquer qu’il n’y a aucune honte à parler créole. Il ose décomplexer les élèves par rapport à leur langue.

Pour ce crime de lèse-autorité, il est expulsé, en 1949, de l’enseignement pour « aliénation mentale », puis réintégré, en 1951, par décision du Comité Médical Supérieur. Ses positions sur l’enseignement en créole, qu’il continue de promouvoir, dérangent fortement et, une nouvelle fois, il est suspendu par l’Académie, en 1957, pour les avoir exprimées dans deux articles. Puis il va finalement être mis à la retraite d’office.

Le 15 septembre 1958, il crée l’Association Guadeloupéenne d’Education Populaire et de lutte contre l’analphabétisme (AGEP) et ouvre une école privée, l’Institution Lauriette, à Capesterre Belle-Eau en 1959. Il y accueille les « échoués » de l’Education Nationale. Il appelle sa méthode d’enseignement « zyé dan zyé, bra balan ».

Convaincu que l’enfant guadeloupéen doit partir de ce qu’il connaît afin de pouvoir s’ouvrir à une autre langue et à une autre culture, il préconise l’usage du créole en classe pour favoriser les apprentissages. Il utilise ses propres manuels, décloisonne les matières et ne donne pas de leçons à apprendre à la maison. Il obtient de forts bons résultats témoignant de l’efficacité de sa méthode et permet ainsi à ses élèves de réussir à leurs examens.

Papa Yaya fait partie des 18 Guadeloupéens arrêtés suite aux événements de Mai 1967, inculpés et jugés, en 1968, pour avoir appartenu ou apporté de l’aide au GONG. Il est accusé d’avoir prêté une machine à ronéotyper à l’organisation, d’avoir tenu des propos indépendantistes et d’avoir incité à la révolte, à la violence, dans des tracts ou des articles du journal de Félix Rodes, Le Progrès Social.

Depuis la prison de la Santé, où il est enfermé, il écrit un ouvrage autobiographique, « Une enfance en Guadeloupe dans les années 1930 » qui s’adresse à une jeunesse guadeloupéenne en recherche mais aussi à toute personne en quête d’informations sur les fondements de la culture de la Guadeloupe. Il est finalement acquitté par la Cour de Sûreté de l’État.

En octobre 1975, suite à une condamnation avec sursis en passe d’être exécutoire, Gérard Lauriette part en marronnage dans les hauteurs de Vieux-Habitants. Dans son ouvrage intitulé « Le créole de la Guadeloupe Nègres-Marrons », il raconte cette expérience et ses échanges avec Henri Lépante, un paysan du Morne Aulard dans les hauteurs de Grande Rivière. Dans un récit-leçon « liyanné » à l’apprentissage du créole, il y reconstitue l’histoire des nègres marrons ayant vécu là autrefois.

A partir des années 80, Gérard Lauriette publie aussi des textes sur ses expériences proprement politiques. En 1983, il est élu maire de la commune de Capesterre Belle-Eau et devient aussi conseiller général du canton. Durant son mandat, c’est le seul maire qui, pendant quelque temps, ose faire grève dans sa mairie en ne signant plus rien. En 1988, il se présente, sans succès, aux élections législatives dans la 3e circonscription, sous l’étiquette du Parti Mystico-Rationaliste Guadeloupéen, fondé par lui-même en 1959. L’année suivante, il est battu par Léo Andy aux élections municipales.

Gérard Lauriette décède le 17 août 2006, à l’âge de 84 ans. Près d’un millier de personnes vont assister à ses obsèques. Une école élémentaire publique du bourg de Trois-Rivières porte son nom. A Capesterre Belle-Eau, à Cayenne, existe un Espace Papa Yaya, siège de l’Amicale de l’Institution Gérard Lauriette Edmond (AIGLE), qui s’est donnée pour mission de perpétuer la mémoire et l’œuvre de ce grand pédagogue guadeloupéen.

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