Tribune. Contre l’abstention

Par Didier DESTOUCHES
Universitaire et essayiste
Auteur de La République à bout de souffle

L’abstention n’est pas un phénomène mineur de la vie démocratique. Elle en est l’un des plus grands dangers. Le fait de ne pas voter a pour conséquence directe la probabilité forte d’un maintien de l’élite politique au pouvoir dont l’abstentionniste ne veut pas.

« L’évolution des processus de décision a favorisé la nette domination en France d’un pouvoir administratif sous l’égide d’une influence technocratique européenne et au détriment du pouvoir politique des élus. »

L’abstention ne fait que nourrir le déclin de la vie démocratique qui reste pourtant nécessaire pour que la société respire et avance. Si l’on peut condamner l’abstention, on doit avant toute chose chercher à mieux la comprendre. Depuis quelques décennies l’évolution des processus de décision a favorisé la nette domination en France d’un pouvoir administratif sous l’égide d’une influence technocratique européenne et au détriment du pouvoir politique des élus.

Il en est résulté en France une franche hégémonie de l’exécutif (président et gouvernement) sur le pouvoir législatif (le parlement), et au niveau local une tutelle de plus en plus forte mais subtile des institutions représentantes de l’État sur les exécutifs des collectivités locales.

Ces mêmes élus locaux étant pris entre ce feu et celui de leur propre clientélisme vis à vis d’une population toujours gourmande de redistributions de ressources sociales.

Cette situation a entraîné une réelle impuissance chronique des élus guadeloupéens (comme de tous les élus) à faire prospérer l’efficacité de leur décision politique, en particulier dans l’amélioration du quotidien des Guadeloupéens.

Dans le même temps, l’hypertrophie de la communication politique a renforcé le sentiment que les élus sont plus préoccupés par leur carrière politique ou leurs polémiques politiciennes que par la résolution des problématiques saillantes de nos concitoyens.

C’est alors que l’on a observé une émergence forte des prises de paroles politiques aiguës et transversales d’acteurs de la société civile, c’est à dire des forces vives non publiques et qui critiquent l’action des élus, voire cherche à la dé légitimer.

Plutôt que de rester dans la critique, certains membres de cette société civile ont pourtant décidé d’être force de proposition et ont investit l’arène électorale pour conquérir le pouvoir régional. Cette dynamique était une réponse parmi d’autres à l’abstentionnisme et à la crise démocratique, mais aussi une volonté affichée de changer la classe politique au pouvoir (ledégagisme).

« C’est aussi dans l’intelligence collective des organisations professionnelles, dans les collectifs de citoyens que des solutions alternatives et innovantes peuvent émerger. »

Le très faible score de ces listes est très atténué par l’engouement inattendu pour l’une d’entre elles. La liste NOU. Et sans la présence de cette liste, l’abstention eut été pire. Dans notre archipel, nous sommes dans une certaine mesure confrontés à de graves lacunes publiques accumulées face à des problématiques de plus en plus imposantes : eau, chlordécone, sargasses, gabegie financière des collectivités, chômage, diabète et autres maladies, exode des jeunes diplômés, assainissement et gestion des déchets, augmentation des prix…

C’est aussi dans l’intelligence collective des organisations professionnelles, dans les collectifs de citoyens que des solutions alternatives et innovantes peuvent émerger et nourrir les décisions des élus mais aussi des décideurs publics et semi-publics.

Il ne faut pas attendre qu’il soit trop tard et que notre pays soit ravagé par une impuissance politique généralisée et des élus qui confondent développement et redistribution, progrès et confort matériel, soutien démocratique et clientélisme, et une certaine élite économique locale qui sous prétexte de lutte contre le chômage et effet d’entraînement économique maintient une domination monopolistique dans les domaines du commerce, du tourisme et de la consommation de masse.

Il ne s’agit pas d’enrôler dans un parti, mais de faire participer la société civile directement aux décisions politiques, dans un esprit d’approfondissement de la démocratie locale. L’engagement citoyen est donc une solution pérenne contre l’abstention. Il commence par le vote mais doit se prolonger par la volonté individuelle comme collective de la participation démocratique car la Res publica (la chose publique) est l’affaire de tous et pas que celle d’un groupe particulier.

C’est ce sentiment d’accaparement de la vie publique agrégé à celui d’impunité des élus qui perdure depuis des décennies, qui pousse l’électeur à refuser de participer au choix démocratique. Ce n’est pas en fermant les yeux avec amertume mais en regardant au-delà du mur que le citoyen trouvera des solutions pour une réhabilitation du rôle d’élu et pour un rafraichissement salutaire de la politique.

« Notre démocratie locale sera toujours à l’image de ce que nous sommes tant il est vrai qu’elle est le miroir immédiat de nos vertus, comme de nos vices. »

C’est ce qu’ont fait les nombreux engagés sur les listes citoyennes. Mais c’est aussi ce que font la plupart des engagés sur les listes qui ne sont pas citoyennes, et plus traditionnelles. Venus de mouvement ou de partis politiques, ils donnent de leur temps, de leur énergie et militent pour leurs convictions, loin des projecteurs médiatiques pour contribuer à améliorer le quotidien de leurs concitoyens.

Alors ne jetons pas la pierre trop vite aux politiques. Tous ne sont pas politiciens, tous ne sont pas affairistes, tous ne sont pas laxistes ou trompeurs, et beaucoup méritent notre vote. Il ne faut pas abandonner l’exercice du droit de vote. Il faut continuer à voter et continuer à faire voter. Parce qu’en réalité, notre démocratie locale sera toujours à l’image de ce que nous sommes tant il est vrai qu’elle est le miroir immédiat de nos vertus, comme de nos vices.

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