Les créatures que le graffeur cubain Yulier P. laisse dans la ville sont des spectres mélancoliques ou terrifiés qui errent sur les murs ébréchés, ou ce qu’il en reste.
Le 17 août 2017, Yulier Rodríguez Pérez (Yulier P.) a été arrêté par la police alors qu’il peignait des graffitis sur des murs en ruine à La Havane. Après 48 heures de prison et tourmenté par des menaces continues, l’artiste a accepté de signer un papier que la police politique avait rédigé.
Dans le document, il promettait d’effacer chacun des graffitis qu’il avait commencé depuis 2014 à laisser dans les glissements de terrain qui saturent La Havane. Ils lui ont donné sept jours pour expier ses péchés artistiques et les 200 peintures murales à disparaître. Sinon, il irait en prison pour « abus de biens sociaux ».
L’ancien Code pénal cubain, dans ses articles 243 et 339, punissait les mauvais traitements ou l’abus des espaces publics, qui sont en fait la propriété du gouvernement, comme presque tout sur l’île, d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans. Seuls autorisés sur les murs détruits de la ville seraient les slogans idéologiques et les portraits des dirigeants de la Révolution.
Yulier assure qu’aucun passionné qui ose dessiner ce qui est politiquement correct ne se retrouve en prison. En revanche, il n’a pas la même chance car ses traits ne dessinent pas d’hommes à barbe et costumes vert olive, ni de phrases de tribune.
« C’est là qu’ils se contredisent, car ce qu’ils punissent, ce n’est pas d’intervenir dans un mur, mais de dessiner quelque chose qui les interroge, même si c’est implicite », précise l’artiste.
Yulier P. ne peint pas vraiment de figures humaines. Ses créatures sont presque toujours des êtres sans membres, sans oreilles, amorphes. Des spectres mélancoliques ou terrifiés avec de petits corps maigres et des cernes profondes sous les yeux qui parcourent les murs ébréchés, ou ce qu’il en reste.
Ce sont des enfants du désastre et du chaos. Yulier P. laissait à travers la ville un portrait de ce à quoi ressemblent la tristesse et le désespoir dans un pays qui en est réduit chaque jour.
Source : Cubanet