Jusqu’au 13 octobre, le musée du quai Branly-Jacques Chirac accueille une exposition sur les Taïnos et Kalinagos, premiers peuples à occuper les Antilles avant la colonisation européenne
Qu’apporte de plus l’exposition Taïnos et Kalinagos des Antilles, par rapport à celle présentée en 1994 ?
André Delpuech, commissaire de l’exposition Taïnos et Kalinagos des Antilles : Le président du musée du quai Branly-Jacques Chirac m’a proposé de faire une exposition qui serait un clin d’œil à l’exposition de 1994, commandée par Jacques Chirac pour célébrer les Amérindiens, ceux qui étaient dans les Grandes Antilles quand Christophe Colomb est arrivé. L’exposition a eu un grand succès. Elle avait bénéficié de beaucoup de moyens avec des pièces taïnos venues du monde entier : Saint-Domingue, République Dominicaine, Porto Rico, Etats-Unis, Cuba…
Pour cette nouvelle exposition, je voulais qu’on parle de l’ensemble des peuples de la Caraïbe, y compris de ceux des Petits Antilles, notamment les Kalinagos qui continuent de vivre sur une partie du territoire de la Dominique.
Quels autres éléments sont mis en avant ?
Je tenais à ce qu’on parle de la conquête espagnole, de la colonisation, de la destruction quasi complète des Taïnos, puis de la colonisation française et anglaise pour arriver jusqu’à aujourd’hui. Que s’est-il passé ? Comment ces premiers Antillais ont subi le choc de la colonisation ? Comment, très vite, ces populations ont été décimées par les maladies, les guerres, l’esclavage… Comment ensuite l’esclavage des populations africaines a été instaurée…
Ces peuples, premiers habitants des Antilles, ont aussi laissé un riche héritage qui perdure par certains aspects…
L’exposition Taïnos et Kalinagos des Antilles aborde l’héritage de ce passé amérindien aussi bien dans ce qu’il en reste au sein sociétés créoles : les plantations, le jardin créole, des plantes qui sont cultivées, certains mots du vocabulaire… Mais aussi, au niveau de la descendance directe des Amérindiens comme à la Dominique.
On sait qu’en Guadeloupe, on avait repoussé les Kalinagos le plus loin possible à l’époque, vers Anse-Bertrand, la Pointe des Châteaux. À différents endroits, des analyses génétiques ont montré cette réalité biologique. Ils ont aussi des descendants à Porto Rico. Toutes ces populations, même si elles sont minoritaires par rapport aux populations d’origines africaine, européenne et plus tard des Indes orientales, ont perdu leur langue, leurs coutumes…, il est intéressant de rappeler ce lien.
Un écho aux quêtes identitaires actuelles…
À certains endroits, des populations se réapproprient ce passé et revendiquent leur descendance avec les Taïnos ou les Kalinagos. C’est un élément intéressant dans les débats sur les questions d’identité, de droit du sol, du sang, d’héritage… À l’exemple des Garifuna de Saint-Vincent ou du Bélize, qui sont des populations majoritairement d’origine africaine, mais qui se revendiquent comme Amérindiens.
C’est une petite exposition, sur 180 m2, par rapport à celle de 1994, mais elle compte des pièces assez exceptionnelles issues de collections privées ou de musées de France. On espère pouvoir la proposer dans la Caraïbe.
Parmi les nombreuses pièces finement travaillées que propose l’exposition, il y a le fameux « duho » taïno. Parlez-nous en.
Ce siège cérémoniel est l’un des objets les plus précieux. Un des magnifiques ouvrages en bois de gaïac, dont certains avaient des incrustations en or, généralement emportées par les conquistadors !
On peut considérer ces sièges comme des trônes, réservés aux chefs, les fameux « caciques », mot taïno. On a des exemples de caciques, enterrés dans des sortes de « chambres funéraires », emmaillottés et assis sur leur siège.
Avant l’arrivée des Européens, ces populations déjà très structurées dans leur fonctionnement avaient fait un long voyage depuis l’Amazonie ?
À partir du IIe, voire du IIIe siècle avant Jésus-Christ, des gens de la région du Venezuela, sur les côtes du Delta de l’Orenoque, qui, déjà pratiquaient une agriculture très développée avec le manioc, le maïs, la patate douce, le tabac…, fabriquaient des vases en céramique, ont remonté l’arc antillais avec leurs grands canots. Ils sont passés d’île en île, en passant par Grenade, la Martinique, jusqu’à l’Est de la République Dominicaine. Puis, un peu plus tard, vers le VIIe siècle, ces populations porteuses d’une agriculture et d’un modèle de société assez développée vont continuer à avancer dans la Caraïbe. Elles colonisent l’ensemble de l’île de Haïti/Saint-Domingue, la Jamaïque, l’Est de Cuba, les Bahamas.
Les Européens les ont considérés comme des primitifs, des sauvages…, mais on sait que les sociétés Taïnos étaient très hiérarchisées avec des caciques, des princes ou rois qui gouvernaient de grands territoires. Il y avait une sorte d’élite, d’aristocratie, et les classes travailleuses… Ils constituaient des sociétés organisées qui avaient domestiqué leur environnement.
Les recherches sur ces sociétés se poursuivent ?
Oui ! Les fouilles archéologiques préventives, particulièrement en Guadeloupe et en Martinique permettent de belles découvertes. L’archéologie révèle un passé qui était très méconnu.
Pendant longtemps, les archéologues concentraient leurs fouilles chez les Mayas, les Aztèques et les Incas ou en Amazonie. Le regard est en train de changer. On se rend compte que ces peuples, très évolués, n’étaient pas du tout les sauvages que l’Histoire coloniale a voulu retenir.
Entretien : Cécilia Larney