Social. Que vont faire les élus réunis ce matin au Gosier ?

Mardi 7 décembre, à 9 heures, les élus de Guadeloupe — tous les élus, paraît-il — vont se réunir à la résidence départementale, à côté du Fort Fleur d’Epée, au Gosier, pour parler de la crise sociale, présenter une proposition de méthode pour les négociations.

Depuis le 15 novembre 2021, la Guadeloupe vit à l’heure d’une mobilisation générale déclenchée par le Collectif des organisations en lutte contre la vaccination obligatoire et le passe sanitaire, comprenant l’UGTG, en tête de pont, et d’autres syndicats. On a vu resurgir le fameux LKP (Lyannaj Kont Pwofitasyon) de 2009, c’est-à-dire les syndicats plus des associations citoyennes (entre autonomie et indépendance) plus des jeunes venus en renfort.

La longue marche
vers l’exaspération

Que veulent-ils ? Après avoir marché tous les samedis depuis juillet, ces Guadeloupéens s’affirment contre la vaccination obligatoire et contre le passe sanitaire. Le 5 août 2021, la loi instaurant le cadre de cette obligation, à savoir une obligation qui s’adresse essentiellement aux soignants et aux sapeurs-pompiers, mais aussi à tous ceux qui peuvent être en présence de malades dans le cadre de leurs activités quotidiennes, est votée par le Parlement (Sénat et Assemblée nationale) puis validée par le Conseil Constitutionnel.

Chaque samedi, les anti-vaccination obligatoire défilent. Ici, à Capesterre Belle-Eau, devant la mairie, à la sortie d’un mariage.

Le 7 août 2021, un décret d’application sur l’ensemble du territoire national (sauf régions autonomes, qui peuvent l’appliquer ou pas, en en faisant une loi du territoire) impose cette vaccination obligatoire pour les soignants et sapeurs-pompiers. Y compris, régions sans statut particulier, en Guadeloupe et en Martinique.

Ils marchent, ils marchent, tiennent meeting, refusent cette loi. Le 2 septembre 2021, le Collectif des organisations en lutte contre la vaccination obligatoire et le passe sanitaire dépose une plateforme de revendications élargie à des revendications générales, catégorielles, salariales, sociétales.

Quand la ville brule

Personne ne bouge… Ni les élus, ni le patronat, jusqu’à une mobilisation générale décidée le 15 novembre. La Guadeloupe se réveille sous le régime des barrages. Barrages tenus par des sapeurs-pompiers et des militants syndicaux et politiques associés. Les nuits suivantes, des exactions sont commises par des individus plus ou moins identifiés qui profitent de la situation trouble et qui se livrent à des incendies de barrages, de poubelles, de magasins, d’immeubles d’habitation à Pointe-à-Pitre. Le pillage semble être la motivation de ces sorties nocturnes.

Poinge-à-Pitre en feu. Des immeubles sont détruits.

Là, tout le monde bouge : les élus appellent au calme, de même que les organisations patronales, l’Etat utilise ses troupes locales, gendarmes, compagnie départementale d’intervention, police en tenue, en civil, brigade anti-criminalité. Mais, ces forces de l’ordre ne suffisent pas. Le gouvernement s’émeut d’une situation qui risque de devoir d’autant plus dangereuse pour la paix civile que des armes sont apparues, les forces de l’ordre se font tirer dessus.

Deux cents gendarmes et policiers, mais aussi des spécialistes de l’anti-terrorisme et de l’anti-gang du GIGN et du RAID, débarquent. Qui se mettent au travail immédiatement. Des affrontements, à Pointe-à-Pitre surtout, se soldent par de nombreuses interpellations.

La Boucan. Aujourd’hui, c’est le 21 e jour de blocage de la commune de Sainte-Rose.

Pendant ce temps-là, les barrages se renforcent, les syndicats veulent rencontrer les représentants de l’Etat pour négocier le contenu de la plateforme.

De la domiciliation
locale à l’autonomie

On demande le ministre des Outre-mer, mais Sébastien Lecornu ne se déplace pas. Il explique que sa venue mobiliserait des troupes utiles au maintien de l’ordre. Des réunions à Paris (les élus sont au Congrès des maires) et en visioconférence se tiennent entre le Premier ministre, Jean Castex, le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, le ministre de la Santé, Olivier Véran. Avec les grands élus, présidents du Conseil régional, Ary Chalus, président du Conseil départemental, Jean-Philippe Courtois, président de l’Association des maires, Jocelyn Sapotille, les sénateurs Victorin Lurel, Dominique Théophile, Victoire Jasmin, les députés Justine Bénin, Olivier Serva, Max Mathiasin, Hélène Vainqueur-Christophe.

C’est le moment où des élus parlent de la crise sanitaire, de sa gestion par l’Etat, d’une volonté de « domiciliation locale de la compétence santé » puisque, comme disent les élus, « les meilleurs experts de la Guadeloupe, ce sont les Guadeloupéens eux-mêmes. »

Sébastien Lecornu est venu, puis reparti… Il veut au préalable à toute négociation la condamnation par les syndicats des exactions et tirs contre les forces de l’ordre.

Sébastien Lecornu entend par là, « en creux », comme il dit avec un sourire entendu, un désir d’autonomie. Et réplique : « Si vous voulez l’autonomie, parlons-en. » L’art de mettre les élus mal à l’aise.

Sébastien Lecornu et l’UGTG
se quittent au bout de dix minutes

Le déplacement du ministre des Outre-mer en Guadeloupe se solde par un échec avec les syndicats, Sébastien Lecornu voulant, en préalable à toute discussion, une condamnation par Elie Domota, porte-parole du LKP, et ses amis, des exactions et des tirs sur les gendarmes et les policiers qui ont fait des blessés.

Les syndicalistes reçus en préfecture, lundi 29 novembre, demandent en préalable à toute discussion… l’amnistie de toutes les personnes interpelées, jugées, condamnées (presqu’une centaine).

Ils ont refusé de voir le ministre et décident de prendre les choses en main entre Guadeloupéens.

Au bout de dix minutes, c’est la rupture. La réunion prévue le même jour, dans l’après-midi, avec les grands élus, n’a pas plus de succès. Les trois présidents, les parlementaires, n’y vont pas. Le ministre tient une réunion en visioconférence, depuis la sous-préfecture, avec des maires. Plus de la moitié, les autres ayant reçu un message les informant… que la réunion est annulée.

Les réfractaire à toute rencontre avec Sébastien Lecornu se retrouvent à la Cité des Métiers/Espace régional du Raizet et décident de prendre les choses en main, « entre Guadeloupéens. »

Des contacts sont pris par les élus avec les syndicats. On va se voir. Mais, tout de suite, il apparaît que les syndicats veulent la présence de l’Etat, semblent moins intéressés par des discussions avec les élus…

Très vite, les élus émettent l’idée que la présence de l’Etat pourrait venir conforter, côté financier, des décisions prises par eux.

Syndicats et associations face aux élus, à Fouillole.

Jeudi 2 décembre, élus et syndicats, plus des associations citoyennes plus d’autres personnes se retrouvent à la Faculté de droit de Fouillole. Face à face, on s’entend sur une idée qui paraît intéressante aux élus : laisser les syndicats proposer une méthode de travail pour des négociations efficaces.

Depuis Paris, Sébastien Lecornu dit qu’il est prêt à envoyer une mission interministérielle si les syndicats dénoncent les exactions et les tirs sur les forces de l’ordre. Niet, répliquent-t-il.

On se quitte, Elie Domota et d’autres syndicalistes demandent que la mobilisation ne faiblisse pas. Que les barrages soient tenus, qu’on en mette d’autres sur toutes les routes, partout.

Un projet d’accord
sur la méthode
qui passe mal

Vendredi 3 décembre, l’UGTG transmet le projet d’accord sur la méthode. Les élus demandent à l’étudier…

Les barrages sont démantelés, sauf certains, dont celui du rond-Point de Perrin, aux Abymes, celui de Mare-Gaillard, au Gosier, ceux de Morne-à-l’Eau, ceux de Sainte-Marie et de la Kassaverie, à Capesterre Belle-Eau, celui de la Boucan surtout (quinze jours que les habitants de Sainte-Rose ne peuvent plus sortir de la commune…).

Samedi 4 décembre, les élus ont pris connaissance du projet d’accord sur la méthode. Ils échangent avec les syndicats, envisagent la possibilité de laisser tomber les préalables du projet… Préalables à l’ouverture des négociations. Les syndicats disent Non !

Ces préalables sont l’abandon de la loi du 5 août 2021 sur l’obligation vaccinale, la suspension de la suspension des contrats des personnels soignants et sapeurs-pompiers non vaccinés, qui devront être admis à leur ancien poste de travail immédiatement, avec rappels de salaires au moment de leur suspension, l’abandon des poursuites et la révision des peines des personnes condamnées, la diffusion des négociations en direct sur les médias, etc.

Des barrages tombent. Le préfet Alexandre Rochatte rencontre des riverains. Les discussions sont cordiales.

Dimanche 5 décembre, des étudiants de l’Université des Antilles demandent pourquoi ils ne sont pas associés aux négociations ou à tout le moins aux discussions, disant « ne pas se reconnaître » dans la « jeunesse guadeloupéenne » auquel les élus ont fait appel pour comprendre la Guadeloupe et envisager l’avenir. D’autres barrages tombent.

A Sainte-Rose, où un Collectif de lutte de Sainte-Rose qui reprend la plateforme du Collectif du LKP plus des revendications très locales, s’érige en République de Sainte-Rose… Claudine Bajazet, maire de la commune, entreprend des négociations qui échouent.

Le même jour, le président de la CCI Territoriale, Patrick Vial-Collet, demande que les chefs d’entreprises soient associés aux discussions. Ils veulent rencontrer les élus.

Lundi 6 décembre, tandis que les forces de l’ordre prennent d’assaut un barrage de La Boucan… déserté de ses barreurs, sans doute fatigués, les élus décident de remettre la rencontre avec le collectif.

Le matin, ils sont occupés avec la plénière du Conseil départemental pour élire un nouveau président, Guy Losbar, l’après-midi, ils expliquent qu’ils ont besoin de temps pour répondre au projet d’accord de la méthode de l’UGTG.

Mardi matin, l’UGTG et les syndicats seront devant le tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre où Gaby Clavier, un des leaders de l’UGTG, comparaît devant le tribunal correctionnel pour « menaces de mort » sur la personne de Gérard Cotellon, directeur général du CHU de la Guadeloupe.

Au même moment, les élus se retrouveront au Gosier.

A suivre…

André-Jean VIDAL

LE PROJET D’ACCORD DE LA MÉTHODE

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