Valérie Denux est directrice générale de l’Agence régionale de Santé (ARS). Tandis que le nombre de tests a diminué de moitié ces trois dernières semaines du fait de la crise sociale, elle fait le point sur la vaccination, les soignants non vaccinés et leur situation, les mesures prises pour affronter une 5e vague.
. Vous venez de prolonger la gratuité des tests jusqu’au 31 décembre 2021. La crise sociale a-t-elle réellement impacté le nombre de test pratiqués ?
Oui le nombre de tests est passé de 14 000 par semaine au maximum à 5 à 7 000 ces trois dernières semaines en raison de la crise sociale. Le sujet ce n’était pas la gratuité des tests mais les difficultés d’accès aux tests en raison des blocages pour circuler. Nous avons prolongé la gratuité des tests car l’étude de séroprévalence qui doit nous donner une vision du niveau d’immunité collective n’est pas encore finalisée et la crise sociale a potentiellement favorisé des contaminations, en raison du relâchement des gestes barrières, dont nous verrons l’impact d’ici quinze jours. Il est donc indispensable de se faire tester au moindre doute en ce moment.
. Quel est l’impact de cette diminution de nombre des tests pratiqués sur la véracité des chiffres de la situation actuelle ? Peut-on la quantifier ?
La diminution du nombre de tests fait mécaniquement diminuer le nombre de personnes positives détectées. Cela risque de favoriser des chaines de contamination par méconnaissance de sa propre contamination par le virus. Ainsi, le taux d’incidence semble diminuer ou rester bas. Il y a cependant d’autres indicateurs comme le taux de positivité qui pour le moment reste stable et le nombre de personnes hospitalisées qui reste aussi assez stable. Les quinze prochains jours vont être déterminants pour savoir à quel niveau le virus circule réellement.
. Vous nous dites : « Un net relâchement des gestes barrières a été constaté dans le cadre de la crise sociale. Il n’est pas exclu que cela génère un rebond épidémique dans les deux prochaines semaines. » Rappelez-nous comment fonctionne ce virus dans son action ?
Le virus du COVID se transmet dans les gouttelettes de salive ou d’autres sécrétions projetées par un individu ou portées sur les mains. C’est pourquoi les gestes barrières sont si importants pour lutter contre l’épidémie. Or on a pu observer que sur les barrages ou lors des manifestations, les gestes barrières ont été totalement oubliés. Ces personnes rentrent ensuite chez elles et forment potentiellement ainsi des chaines de contamination.
. La politique de l’Etat c’est la vaccination et désormais un rappel de cette vaccination. Pourquoi alors avoir fermé les vaccinodromes de l’aéroport et de Gourde-Liane. Les centres d’accueil en communes ont été fermés aussi. Le bus n’a plus circulé. Quel retard avons-nous accusé du fait de la crise sociale et des barrages dans cette vaccination alors qu’il faut gagner sur l’approche de la 5e vague ?
L’ARS accompagne, souvent financièrement, logistiquement et pour garantir le respect des conditions techniques de fonctionnement, les acteurs du territoire qui souhaitent s’impliquer dans la vaccination. En revanche, ce n’est pas l’Agence qui ferme ou qui ouvrent les centres de vaccination. Le vaccinodrome de Pôle Caraïbes est géré par les pompiers, celui du vélodrome par la Région ainsi que le vaccibus, les autres centres de vaccination par les mairies ou bien par les acteurs de santé. Je comprends que beaucoup ont souhaité pour des raisons de sécurité fermer certaines structures. Pour ce qui concerne l’ARS, RIPOSTE a continué autant que possible à envoyer des équipes mobiles de vaccination et les hôpitaux ont poursuivi leur action de vaccination. Les médecins et les pharmaciens en ville ont aussi poursuivi la vaccination quand leurs cabinets ou leurs pharmacies n’étaient pas bloqués ou attaquées. Cela a freiné la vaccination, notamment pour les premières injections qui représentent l’entrée dans la démarche de vaccination et donc de protection. Le taux de primo vaccinés a augmenté de moins de 1% en 3 semaines, là où il augmente de 1% par semaine normalement.
. Vous souhaitez mettre en place d’une nouvelle méthodologie de suivi de l’épidémie, notamment en intégrant l’étude de séroprévalence conduite par Santé Publique France. De quoi s’agit-il ? Quel bénéfice en tirera-t-on ?
L’étude de séroprévalence va nous permettre surtout d’avoir une vision du niveau d’immunité de la population et donc du risque de progression d’une 5ème vague. Ainsi en croisant l’évolution du taux d’incidence, même avec moins de tests, celui du taux de positivité qui sera de fait plus concentré car plus de personnes symptomatiques se font tester lorsque c’est payant, et le niveau d’hospitalisations comparé aux vagues précédentes, on pourra ajuster les mesures de suivi et de lutte contre l’épidémie.
. Les soignants non vaccinés sont-ils nombreux ? Quel pourcentage du total (milieu hospitalier et libéraux) cela représente-t-il ?
Les soignants non vaccinés représentent environ 6 à 7% des personnes concernées par l’obligation vaccinale. Il est à noter que l’évolution a été majeure entre le mois de septembre, où le constat était inquiétant avec environ 50% qui ne s’étaient pas encore faits vaccinés, et actuellement. Il y a eu par exemple une très forte évolution chez les infirmiers libéraux qui sont passés de 57% en semaine 38 à 81% à ce jour. Au CHU, qui est le plus gros établissement du territoire, il est passé d’un taux de conformité de 30% à 40% initialement à 87% actuellement. Sur l’ensemble du territoire nous sommes à près de 90% de conformité (vaccination, certificat de rétablissement ou contre-indication) dont 85% de professionnels vaccinés.
. Les premières suspensions ont-elles entraîné un regain d’intérêt pour la vaccination de la part de ce public rétif ?
Il est certain qu’avec un taux de vaccination juste un peu supérieur à la population générale en août, les professionnels de santé étaient plutôt dans une même dynamique de réticence que l’ensemble du territoire. Certains ont compris, suite à la 4e vague, l’importance de se protéger et de protéger leurs patients grâce à la vaccination. Ceci explique en partie la progression du taux de vaccination. Cependant, il est certain que l’application, via des mises en demeure et des suspensions, de la loi du 5 août 2021 sur l’obligation vaccinale a contribué à la progression de la couverture vaccinale des professionnels de santé à ce jour, car cela leur a fait prendre conscience que c’était une condition pour exercer leur profession et garantir ainsi le maximum de sécurité des soins.
. Des soignants vaccinés ont eu la surprise de constater que leur passe vaccinal ne fonctionnait pas… Erreur numérique ou malveillance quelque part ?
J’ai eu connaissance de quelques dysfonctionnements qui sont traités au niveau de la caisse de sécurité sociale ou de mes équipes sur la plan technique le plus rapidement possible. Nous sommes à l’écoute des soignants pour les accompagner au mieux.
. Le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, a expliqué à plusieurs reprises, lors de son récent passage, qu’il distinguait les soignants rétifs de bonne foi, pour lesquels des mesures d’accompagnement vont-être trouvées, des soignants qui refusent la vaccination anti-Covid par conviction inébranlable. Que va-t-il advenir des uns et des autres ?
Tous les professionnels de santé en situation de non-conformité se voient proposer un temps d’écoute et de dialogue pour échanger sur leurs motivations à rester non conformes et leurs inquiétudes sans aucun jugement. Ce sont des professionnels de l’écoute, psychologues et médecins qui leur donnent rendez-vous. Le contenu de cet échange n’est pas connu. Ce dispositif leur permet aussi d’être informés sur l’accompagnement social qui est proposé au niveau institutionnel. Les professionnels de santé pourront ainsi prendre des décisions de façon la plus éclairée possible. Ceux qui s’engagent dans cette démarche d’ouverture se verront obtenir un temps de pause dans leur suspension de salaire afin d’avoir un temps de réflexion et une réintégration immédiate après la première dose de vaccin. Ceux qui à l’issue de leur réflexion refusent la vaccination seront dirigés vers une cellule de réorientation professionnelle (Cf logigramme joint). A ce jour 68 personnes se sont déjà inscrites à ce dispositif.
. Ceux qui reviennent sur leur décision de ne pas prendre leur vaccin sont-ils indemnisés du temps de leur suspension ?
Les professionnels de santé qui se mettent en conformité pourront être aidés en trésorerie face à leurs difficultés générées par leur retenue sur salaire. Cette aide se fera en contrepartie de jours de congés annuels ou de leur compte épargne temps.
. Sébastien Lecornu a soutenu devant la presse locale et nationale que les soignants se faisaient vacciner en nombre ces derniers jours. Confirmez-vous ?
Oui absolument. Depuis le 15 novembre ce sont 114 professionnels libéraux qui se sont fait vacciner et 237 à l’hôpital.
. Pensez-vous que l’on n’aura plus que quelques cas de soignants non vaccinés, tout à fait marginaux, en fin d’année ?
Je pense que malheureusement nous aurons surement 5% d’irréductibles mais nous les accompagnerons socialement pour qu’ils puissent trouver une nouvelle voie professionnelle dans un autre champ que celui de la santé.
. Inciterez-vous de jeunes médecins à s’installer… à Basse-Terre, par exemple, où trois médecins — ce qui est beaucoup dans ce quasi désert médical — ont été suspendus et semblent proches de la retraite professionnelle ?
Oui, vous avez raison de dire que parmi les médecins libéraux suspendus (93% sont en conformité), plusieurs avaient prévu de prendre leur retraite. Il faudra effectivement encourager leur remplacement. Il existe pour cela des dispositifs d’aide à l’installation grâce à des contrats spécifiques passés avec l’ARS et en lien avec l’assurance maladie. Nous avons mis en place à l’ARS en 2019 un service dédié à l’attractivité des professionnels de santé sur notre territoire. Ils peuvent aller sur notre site internet où un espace leur est consacré.
. Il y a quelques jours, le ministre des outre-mer avait dit que la limite pour un cycle vaccinal complet (hors rappel) était le 31 décembre 2021. Le préfet de Martinique, Stanislas Cazelles, a, dans un très récent communiqué, déclaré qu’il fallait être vacciné au 31 décembre (1ère dose). Un recul dans la doctrine ?
La situation de la Guadeloupe et de la Martinique sont différentes car les taux de vaccination dans les établissements de santé ne sont pas les mêmes et la 5ème vague est déjà arrivée en Martinique. Nous avons, en Guadeloupe, quasiment fini tous les contrôles. Il s’agit à présent de traiter uniquement la situation des personnes en non-conformité. Il a été décidé au niveau interministériel d’accompagner ces personnes soit vers la mise en conformité, soit vers une réorientation professionnelle. Ainsi, en Guadeloupe les personnes déjà vaccinées auront bien leur schéma complet au 31 décembre et seules les personnes encore non conformes actuellement mais acceptant de se mettre en conformité durant ce mois de décembre auront uniquement une dose au 31 décembre. En Guadeloupe, la date du 31 décembre est bien celle de l’orientation de tous les professionnels de santé soumis à l’obligation vaccinale vers la conformité ou vers une nouvelle vie professionnelle.
. Quelles mesures ont été prises pour que la 5e vague soit moins meurtrière que la 4e ?
Pour éviter autant que possible la situation de la quatrième vague, nous avons poursuivi la vaccination, nous avons demandé une étude de séroprévalence afin de connaitre le niveau d’immunité collective et nous utilisons maintenant en routine les traitements par anticorps monoclonaux. En revanche, nous ne pouvons pas garantir que cette nouvelle vague ne sera pas tout aussi meurtrière car il y a beaucoup de personnes non vaccinées encore et beaucoup de personnes fragiles sur notre territoire. Tout le matériel est en place pour remonter en puissance si nécessaire. Certains disent que c’est l’augmentation des capacités de réanimation qui importe mais en réalité quand vous entrez en réanimation votre pronostic vital est très fortement en jeu. Ce qu’il faut, c’est ne pas rentrer en réanimation en se protégeant !
. Quand les « grands élus » disent qu’ils auraient mieux géré la crise que l’Etat et qu’il y aurait eu moins de morts s’ils avaient été associés aux décisions, que répondez-vous ?
J’avoue ne pas comprendre cette affirmation. Cela pour deux raisons : le préfet et moi-même avons participé tous les mercredi depuis presque 2 ans à un comité des élus où nous évoquions ensemble les mesures à prendre. Cela durait parfois plus de deux heures. Le problème est que tous ne venaient pas ou ne se faisaient pas représenter mais d’autres étaient très assidus et faisaient de nombreuses recommandations que nous suivions. La deuxième raison c’est qu’ils auraient de toute façon fait avec les capacités du territoire et avec les mêmes acteurs de santé, et avec la même population à risque. L’histoire nous a montré que le virus rentre sur tous les territoires en dépit de tout. La seule solution c’est de se protéger au maximum par la vaccination et les gestes barrières.
Propos recueillis par André-Jean VIDAL