« Le niveau de plomb dans le sang en Haïti un avertissement pour les autres pays », tel est le titre d’un article du Medical Express Lily D. Yan et al. dans la revue Hypertension le 17 novembre 2021.
Les conclusions de cet article ont mis les projecteurs sur un phénomène, souvent insoupçonné, entraînant de grandes conséquences sur la santé de la population.
La plombémie, mesure du taux de plomb dans le sang, a été longtemps considérée comme un phénomène des pays développés. Fortement liée à la révolution industrielle et l’utilisation du plomb comme source d’énergie, la plombémie est considérée dans beaucoup de pays développés comme un phénomène de santé à surveiller.
« Dans les pays à revenu élevé, l’exposition au plomb est associée à des maladies cardiovasculaires et à une pression artérielle élevée. Mais le lien, jusqu’ici, n’a pas été suffisamment évalué dans les pays à revenu faible et intermédiaire », affirment les chercheurs.
Cependant l’hypertension artérielle est un problème de santé publique en Haïti, touchant plus de 2,5 millions d’Haïtiens, entraînant des complications graves pouvant provoquer la mort.
D’un autre côté, des professionnels de santé en Haïti sont en train de discuter de l’ampleur de la transition épidémiologique en Haïti caractérisée par une prédominance de maladies non transmissibles, notamment les maladies cardiovasculaires.
Intéressés à retracer la trame causale de l’hypertension artérielle et des maladies cardiovasculaires qui en découlent, les chercheurs américains et haïtiens se sont entendus pour mener une étude en Haïti sur le niveau de plomb dans le sang des Haïtiens et, certainement, ses conséquences.
Exposition élevée au plomb associée à une tension artérielle élevée en Haïti : un signe d’avertissement pour les pays à faible revenu.
« Les maladies cardiovasculaires sont la principale cause de décès dans les pays à faible revenu, dont Haïti. L’exposition environnementale au plomb est associée à l’hypertension artérielle et à la mortalité cardiovasculaire (…). Nous avons émis l’hypothèse que l’exposition au plomb est élevée dans les zones urbaines d’Haïti et associée à des niveaux de pression artérielle plus élevés », affirment les auteurs dans la revue Hypertension.
Le niveau de plomb dans le sang a été mesuré chez 2 504 participants ≥18 ans inscrits dans une étude de cohorte longitudinale basée sur la population à Port-au-Prince.
Les chercheurs américains et haïtiens ont découvert que quatre personnes sur dix avaient des niveaux de métal dans leur sang considérés comme très élevés, tandis que sept sur dix avaient des niveaux détectables.
Le dépistage du plomb a été effectué à l’aide de LeadCare II (limite de détection ≥3,3 µg/dL). Les niveaux inférieurs à la détection ont été imputés en divisant le niveau de détection par √2. Les associations entre le plomb (quartiles) et la pression artérielle systolique et la pression artérielle diastolique ont été évaluées, en tenant compte de l’âge, du sexe, de l’obésité, du tabagisme, de l’alcool, de l’activité physique, du revenu et de l’utilisation de médicaments antihypertenseurs.
Plus loin dans un entretien à SciDev.net, Lily Yan, chercheuse à Weill Cornell Medicine, à New York, et co-auteure de l’article, a déclaré : « Bien que nous soupçonnions que le niveau de plomb pourrait être élevé à Port-au-Prince, nous avons été surpris de voir à quel point c’était étendu. »
Voilà pourquoi, les chercheurs suggèrent que le niveau de plomb dans la population devrait être mesuré systématiquement dans les pays à faible revenu, dont Haïti dans le cadre des efforts de lutte contre les maladies cardiovasculaires, la principale cause de décès dans le monde, selon l’OMS.
Toujours selon Lily Yan, « il existe peu de données sur les mesures de la plombémie dans la population et cette mesure n’est pas incluse dans les études de routine. C’est parce que les tests de plomb coûtent cher et nécessitent un équipement spécial. »
Joint par téléphone, le Dr Rodolphe Malebranche, ancien ministre de la Santé publique, cardiologue de formation, soutient que « le plomb peut être une grande cause de maladies cardiovasculaires en Haïti liée, notamment, à l’hypertension artérielle. »
« Les sources du plomb sont les batteries usagées, les détritus, l’eau du sous-sol contaminé par le plomb, des ustensiles de cuisine émaillés avec des composés contenant du plomb… », énumère le Dr Rodolphe Malebranche, qui pense que ce problème mérite d’être relevé en vue de trouver une solution avec des spécialistes de la question, dont Evens Emmanuel, co-auteur de l’article, de l’école doctorale Société et Environnement de l’Université Quisqueya.
Selon l’UNICEF, le plomb est un élément hautement toxique responsable de près de 1,5 % des décès annuels dans le monde, soit presque autant que ceux dus au VIH et au sida, et plus que ceux dus au paludisme. L’empoisonnement au plomb touche près d’un tiers des enfants dans le monde, estime l’agence des Nations unies pour l’enfance.
« 1 enfant sur 3 est empoisonné au plomb », prévient également l’ONU.
In fine, les scientifiques pensent que la plombémie n’est pas une fatalité.
« Et si nous commençons à les éliminer, soit par l’alimentation, soit par [l’élimination] des toxines, nous sommes sûrs d’avoir une amélioration de la santé cardiaque, ce qui est le plus grand défi », ont-ils déclaré.
Notons que Vanessa Rouzier, William Pape, Gérard Pierre, Rodolphe Malebranche, Evens Emmanuel et beaucoup d’autres scientifiques haïtiens et américains ont pris part à cette étude.
Source : le Nouvelliste