Retraite : à qui profite la crise ?

Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation Jean-Jaurès, analyse, à partir de données d’opinion, la manière dont le Rassemblement national bénéficie des crises sociales et politiques en cours, la dégradation des soutiens de la majorité présidentielle et la stabilité électorale en trompe-l’œil de la Nupes.

Antoine Bristielle analyse les effets de la réforme des retraites.

Entamé depuis le début de l’année 2023, l’épisode de la réforme des retraites va marquer profondément le paysage politique français.

D’une part, l’impression d’une déconnexion entre la volonté populaire majoritairement hostile à la réforme et la volonté du gouvernement de poursuivre – quoi qu’il en coûte – le processus risque d’impacter négativement le rapport des citoyens avec leurs institutions et leurs représentants politiques.

D’autre part, cette séquence peut avoir de larges conséquences sur le paysage politique français et sur les équilibres politiques. Un récent sondage réalisé par l’institut Ifop, les 20 et 21 mars, anticipant de nouvelles élections législatives montrait ainsi une évolution marquée des préférences électorales des Français depuis juin.

Renaissance face à une dégradation marquée de son électorat

Entre juin 2022 et mars 2023, la coalition électorale d’Emmanuel Macron a perdu 4 points en intentions de vote. Cette baisse est loin d’être anecdotique. En effet, si l’évolution de la cote de popularité du président Macron suit la même dynamique que lors du mouvement des « gilets jaunes », avec seulement 28 % des Français satisfaits de son action, elle présente néanmoins des différences notables.

Le mouvement des « gilets jaunes » avait en effet permis au président Macron de fédérer un socle – certes restreint, mais bien réel – autour de lui, quand la crise actuelle semble au contraire être en mesure d’avoir des conséquences électorales beaucoup plus graves.

La Nupes : une stabilité en trompe-l’œil

En Guadeloupe, le mouvement contre la réforme des retraites a été bien suivi dans l’Education nationale.

On constate une évolution sensible des électeurs de la Nupes au profit des catégories sociales supérieures et au détriment des catégories populaires. La part de cadres souhaitant voter pour la Nupes a en effet augmenté de 9 points depuis juin dernier. À ce niveau, la Nupes devient désormais la formation politique préférée des cadres, devant Renaissance (33 %).

À l’inverse, la part des professions intermédiaires envisageant de voter pour la Nupes baisse de 5 points et la part d’ouvriers de 6 points. Le fait que les électeurs de la Nupes évoluent en faveur des catégories aisées et au détriment des catégories plus populaires indique clairement une redéfinition des équilibres internes en faveur du Parti socialiste et d’Europe Écologie-Les Verts.

Le Rassemblement national, grand gagnant de la séquence

L’envolée du Rassemblement national est spectaculaire pendant cette séquence des retraites, les intentions de vote pour le Rassemblement national augmentant de 7 points si de nouvelles élections législatives devaient avoir lieu !

Certains mouvements plus spécifiques sont également extrêmement intéressants à observer. Tout d’abord, le Rassemblement national gagne 10 points chez les femmes, contre 4 chez les hommes, devenant, avec 29 %, la liste préférée des femmes. D’autre part, si le Rassemblement national bénéficie d’une progression importante chez les plus de 65 ans (+9 points), il augmente également ses scores chez les 35-49 ans (+9 points) et chez les 50-64 ans (+8 points), devenant incontestablement le parti phare chez les Français au cœur du marché du travail.

Une situation préoccupante pour la majorité

Elisabeth Borne reste inflexible…

Des dynamiques électorales majeures sont en train de s’opérer à la suite de la réforme des retraites.

La situation est extrêmement inquiétante pour la majorité présidentielle, à qui est imputée la responsabilité de la crise. En dehors des classes aisées et des retraités, le bloc politique d’Emmanuel Macron s’effrite considérablement. Plus encore, la situation de blocage qui caractérise désormais le parti présidentiel risque de lui être largement préjudiciable, dans la mesure où la promesse du macronisme était à la fois de dépasser les clivages, donc d’être en mesure de créer du compromis et également d’être toujours en mouvement.

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