Josette Borel-Lincertin conduit la liste Péyi Gwadloup. Liste composée de socialistes mais aussi de personnes d’autres partis ou de la société civile. De ceux-ci, Josette Borel-Lincertin dit que ce sont des experts dans leur domaine. Présidente du Conseil départemental ancienne présidente du Conseil régional, elle met en avant sa compétence, sa connaissance des dossiers, son souhait d’assurer la transmission.
Qu’est-ce qui vous motive après 17 ans de vie politique ?
Je suis rentrée en politique plus tardivement que la plupart de mes concurrents dans cette élection après une vie d’engagement auprès des jeunes dans l’éducation et la formation pour amener le plus grand nombre à trouver sa voie vers une forme d’excellence. Cet engagement-là, je l’ai poursuivi en politique dans le sillage de Victorin Lurel qui m’a fait confiance en 2004 alors que j’étais une novice et qui m’a amenée aux responsabilités. Aujourd’hui, il me semble qu’il est mon devoir d’être à mon tour dans la transmission. Et c’est bien le sens premier de la liste « Péyi Gwadloup » que j’ai constituée avec des femmes et des hommes de tous horizons, certains déjà en politique, d’autres qui y entrent seulement. C’est une liste qui rassemble les générations quand d’autres semblent vouloir les opposer et c’est une nouvelle génération de décideurs que nous voulons porter aux responsabilités. Et si je relève ce nouveau défi, c’est parce que je regarde la Guadeloupe, sa situation, ses difficultés et je vois le risque qu’il y a à laisser en place 7 années supplémentaires une équipe qui avait promis de changer d’avenir et qui, en définitive, n’a tenu aucun de ses engagements.
L’économie ce n’est pas seulement la pointe Jarry. Que voulez-vous faire pour les toutes petites entreprises bien secouées par la crise sanitaire ?
Les petites entreprises ont été secouées par la crise sanitaire, mais il est à craindre que, pour beaucoup d’entre elles, le pire est à venir. Car les aides de l’Etat vont devoir être remboursées très bientôt et c’est là que nous verrons que pendant de longs mois, notre économie a été placée en coma artificiel. Si je suis présidente de Région, il faudra dans un premier temps faire la lumière sur les engagements qui ont été pris par l’équipe sortant qui a aligné des chiffres, beaucoup de chiffres, beaucoup de millions au point que personne ne sait — pas même le président sortant ! — combien de crédits pourront être mobilisés. Nous aurons un important travail de remise à plat des moyens à notre disposition afin d’accompagner les TPE pour sortir de la crise. La relance du tourisme aidera certaines entreprises à sortir de la tête de l’eau, la reprise du BTP également. Mais cela ne suffira probablement pas. Je rencontrerai les différents ordres professionnels pour envisager avec eux les nouvelles mesures à prendre. Mais, surtout, je m’engagerai dans le cadre de la commande publique régionale à respecter les délais de paiement légaux à moins de 30 jours en moyenne. Cela a été la grosse faiblesse de l’équipe sortante durant toute la mandature écoulée. Au Département, nous sommes parvenus à rester sous cette limite avec un budget de près d’un milliard d’euros. C’est donc que c’est possible.
Le tourisme c’est aussi la mise en valeur du patrimoine et de la culture de l’archipel. Comment ?
Aujourd’hui, il faut raisonner en termes d’écosystème touristique. Il s’agit en effet de créer de la richesse pour le plus grand nombre dans une chaîne qui relie les hébergeurs, les restaurateurs, les agriculteurs, les pêcheurs, mais aussi les guides touristiques, les organisateurs d’événements ou d’excursions, sans oublier les services à la personne et même des services de conciergerie qui sont en mesure d’organiser un séjour de A à Z. Il y a des formations à mettre en place pour que tous ces emplois et toutes ces activités soient occupées par des jeunes guadeloupéens. Si je suis en responsabilité à la Région, nous mettrons cela en place. Par ailleurs, pendant longtemps, nous nous sommes fixés des objectifs exclusivement quantitatifs pour atteindre, puis dépasser le million de touristes. Avant le COVID, nous y étions et c’est très bien. Mais il faut aller plus loin et se fixer des objectifs qualitatifs en visant une clientèle plus haut de gamme. Dans mon esprit, c’est une stratégie globale qu’il faut désormais mettre en place avec l’ensemble des professionnels.
Les petites structures du tourisme (gîtes, sites, loueurs de voitures) doivent être soutenues. Comment les fédérer ?
Il y a eu des efforts de structuration de ce que l’on appelle l’hôtellerie de proximité autour d’une fédération que préside Jean-Yves Ramassamy et au sein de laquelle ma colistière Olivia Ramoutar-Badal joue un rôle important. Elle nous apporte justement l’expertise qui nous permet de nourrir nos idées au plus près du terrain. Une fois la page de la crise sanitaire tournée, nous l’espérons tous au plus vite, nous aurons à miser très fortement sur les petites et les moyennes structures. Ce sont elles qui peuvent accompagner la montée en gamme que j’appelle de mes vœux et qui peuvent avoir cet effet d’entraînement qui fera que la création de richesses dans le secteur touristique sera mieux répartie. Ainsi, un plus grand nombre de Guadeloupéens sera acteur de la réussite touristique du « Péyi Gwadloup ».
L’agriculture n’est pas tournée vers la production locale. Comment impulser une véritable révolution agricole qui permettrait de développer l’agrotransformation ?
L’une des clés de la révolution agricole, c’est le foncier. Je l’ai compris après mes 6 ans passés au Conseil départemental qui est le premier propriétaire de terres agricoles. Durant la mandature écoulée, j’ai installé avec des baux fermiers plus de 160 jeunes agriculteurs qui ont mis en culture plusieurs dizaines d’hectares de sole agricole. C’est comme cela que l’on va augmenter notre production de manière à satisfaire la demande locale, en particulier la restauration collective qui constitue un débouché captif qu’il faut être en mesure de satisfaire en qualité et en quantité. J’ai voulu ensuite amplifier cette politique en procédant à l’identification des terres en friches de manière à envisager les voies et les moyens de les remettre en culture. Nous avons installé la commission d’aménagement foncier, la CDAF, qui a commencé ce travail prometteur qui doit nous permettre, là encore, d’augmenter notre production. Tout cela est allé avec une extension des réseaux d’irrigation dans le nord Grande-Terre sans lequel rien n’est possible. Voilà donc le premier pilier. Et c’est en s’appuyant sur des filières structurées avec des infrastructures de bon niveau que nous pourrons aller, comme vous le dites, vers une agrotransformation performante. L’équipe sortante de la Région a eu des idées intéressantes. Mais je lui fais le reproche d’avoir beaucoup parlé et peu agi. Le marché d’intérêt régional n’a jamais vu le jour malgré les promesses. Lizin Santral et l’Agropark figurent dans tous les discours du président de Région depuis 3 ans comme si ces projets étaient achevés. Vous savez comme moi que ce n’est pas le cas. Je crois qu’il faut vraiment sortir des incantations en ce domaine comme dans beaucoup d’autres.
L’environnement est de plus en plus dégradé. Décharges sauvages, tri sélectif encore hasardeux, forêts laissées à l’abandon, bords de mer servant de déversoir à effluents. Quelle politique faut-il mener pour une Guadeloupe propre et belle ?
Il faut sortir des incantations. La Région a récupéré la compétence déchets en 2017 et n’a commencé à vraiment agir qu’en 2020. Des projets de déchèteries ont été annoncés à la hâte à l’approche des élections pour donner l’impression qu’on fait. Là encore, il nous faudra faire la lumière sur l’état réel d’avancement de ces projets. Nous y associerons aussi les communautés d’agglomération et les syndicats mixtes qui ont été créés. Il y a incontestablement des chevauchements, des stratégies où l’on se refile la patate chaude et nos concitoyens n’y comprennent plus grand chose. Nous procéderons en tout cas la remise à plat nécessaire pour fixer le cap d’une politique ambitieuse de collecte, de traitement et de valorisation de nos déchets. Et je compte notamment sur mon colistier, Dominique Biras, président du SYVADE, qui est un excellent connaisseur de cette politique publique.
L’eau est toujours une préoccupation essentielle pour les Guadeloupéens. La politique menée est-elle la bonne ?
Vous voyez que j’ai raison de placer les services publics au rang de première priorité de mon programme. Les déchets, l’eau et nous parlerons tout à l’heure j’imagine des transports sont des souffrances pour nos compatriotes. Et l’eau est assurément la première de ces souffrances. Voilà un domaine où on ne peut pas dire que les collectivités de Guadeloupe n’ont rien fait ces dernières années. Mais pendant trop longtemps, de 2015 à 2018, le Département sous ma présidence a été le seul à agir. Le président de région parle beaucoup d’eau, il aligne les millions, il annonce de nombreux chantiers mais en réalité il ne se passe pas grand chose sur le terrain. Le programme du Département, lui, est achevé à près de 80 %. Tout cela m’amène à penser que si nous continuons à ce rythme et en ne comptant que sur nous-mêmes, nous prendrons 20 ans. L’Etat doit donc s’investir davantage à nos côtés. Ary Chalus est allé voir son ami politique, le président de la République, et est revenu en nous annonçant 400 millions d’euros d’accompagnement de l’Etat dont nous n’avons jamais vu la couleur. Mais l’idée était bonne de faire comprendre au Gouvernement que la situation ne s’améliorera jamais sans une action significative de l’Etat. C’est pourquoi ma méthode consistera à aller avec l’ensemble des présidents d’EPCI et le prochain ou la prochaine présidente du Département pour demander et négocier cette aide. Nous le ferons en transparence, tous ensemble, sans être dans la recherche d’un coup politique. Il faudra bien une bonne fois pour toutes dépolitiser ce dossier.
Le transport public est une calamité. Que ferez-vous ?
Encore un service public défaillant que nous aurons à améliorer en priorité. Là encore, il y a eu une volonté de faire un coup politique en décidant de la création d’une Agence régionale des transports à partir du SMT, tout cela à quelques semaines du 1er tour des élections, simplement pour faire croire que l’on a fait quelque chose. Nous aurons à reprendre cela, car comme toujours on pense qu’il suffit d’une structure pour que le sujet soit réglé alors qu’en réalité, il faut savoir quel projet nous voulons pour offrir à nos compatriotes le système de transport multimodal, interconnecté, régulier et abordable qu’ils sont en droit d’attendre. Cela fera partie du plan régional d’amélioration des services publics que j’initierai dans les premiers mois de mon mandat. Cela ira de pair avec l’accélération des travaux des déviations de Sainte-Marie et de La Boucan car nous devons à tout prix réduire les noeuds routiers qui condamnent des pans entiers de notre territoire au déclin parce que leurs habitants affluent tous vers le centre du papillon. Derrière cette question des transports, c’est notre conception de l’aménagement équilibré du territoire qui est posée. Voulons-nous continuer avec cette Guadeloupe à plusieurs vitesses qui laisse prospérer les inégalités ? Moi, je dis non.
Les rapports avec l’Etat laissent entendre une incompréhension. Quels rapports souhaitez-vous établir ?
Il y a sans doute une incompréhension mais je ne voudrais pas que l’on croit que l’Etat est le seul responsable. Je pense que depuis 6 ans, nous ne sommes ni correctement représentés à Paris et même à Bruxelles, ni correctement défendus. On se plaint d’être infantilisés et c’est vrai mais ne sommes-nous pas consentants quand nous pensons qu’avec des tapes dans le dos et de la complaisance on peut arriver à quelque chose. Moi, je ne suis pas l’amie du président de la République et je ne suis pas membre de son parti politique, ni volontairement, ni involontairement. Je souhaite cependant des relations qui soient de manière réciproque franches et directes. D’autant que mon programme prévoit de travailler, pour l’avenir, à domicilier davantage de responsabilités au niveau local. Cela implique d’avoir un minimum de confiance mutuelle ou en tout cas de pouvoir travailler dans le respect. Il y a un temps pour les élections et un temps où seul doit compter l’intérêt de la Guadeloupe.
Comment redonner confiance à une Guadeloupe désabusée ?
Il faut déjà que la parole politique retrouve une part du crédit qu’elle a perdu à cause des promesses non tenues et du constat d’impuissance publique que chacun peut faire en voyant les problèmes qui restent en plan pendant des années. J’aurais pu venir devant les élections avec une liste composée exclusivement d’élus chevronnés, tous membres du parti socialiste et qui pensent tous pareil. J’ai plutôt pensé qu’il fallait que nous soyons capables d’aller au-delà du champ politique classique, de rassembler des citoyens engagés qui vont apporter un autre regard, une autre manière de faire et surtout qui ne se résigneront pas aux traditionnels freins qui font qu’on avance pas. Cette construction politique est selon moi de nature à bouger les lignes et à remettre le volontarisme au goût du jour. Loïc Martol, Magaly Marcin, Bernard Guillaume, la docteur Suzie Zozio, l’écologiste Christian Civilise, l’insoumise Nadège Montout, et beaucoup d’autres sont animés d’une soif de changer les choses. Ils ont mené une belle campagne qui en dit long sur leur détermination à nous pousser nous, les élus plus expérimentés, à régler les problèmes qui sont en suspend depuis trop longtemps.
La jeunesse ne croit plus en ce que disent les politiques. Que leur dites-vous ?
D’abord que je peux les comprendre car, en réalité, trop souvent nous avons donné le spectacle de la division et de l’impuissance. Je suis lucide en disant cela. Mais la politique c’est le seul moyen de changer pacifiquement les choses. C’est l’engagement, sous toutes ses formes, qui peut amener à améliorer ou à modifier le cours immuable des choses. La politique ne parvient pas toujours à le faire mais l’erreur est sans doute de ne plus s’y intéresser. Parce qu’en fait cela ne fait que renforcer l’immobilisme, quand ceux qui veulent que ça bougent restent chez eux. Je cite souvent cette phrase de Gandhi parce qu’elle est à la fois belle et tellement vrai : « soyons le changement que nous voulons pour le monde ». Il faut donc continuer à s’engager. Il ne faut pas déserter l’arène politique. Il faut faire son devoir de citoyen pour pouvoir peser sur le devenir de la cité.
Propos recueillis par André-Jean VIDAL