Un long entretien avec Ronald Selbonne, tête de la liste Nou, émanation de l’ANG. Liste nationaliste aux idées bien trempées et aux principes bien établis.
Ronald Selbonne, qui êtes-vous ?
Je suis comme on dit en créole on ti boug senlwi Marigalant. Je suis né dans le bourg et j’ai vécu toute mon enfance à Marie-Galante. Je me sens profondément Marie-Galantais et profondément Guadeloupéen, comme une sorte de poupée russe.
Vous êtes enseignant.
Oui, sans l’avoir vraiment voulu puisqu’au départ j’ai fait des études de physique-chimie. Puis j’ai arrêté, j’ai été journaliste, j’ai travaillé dans la communication. Et, pour des raisons tout à fait personnelles d’écriture, j’ai commencé à zéro des études de lettres et d’histoire. Après une année de chômage, j’ai intégré l’académie de Guadeloupe et passé le CAPES. Ça fait vingt ans que j’enseigne.
On vous sait très critique dans vos écrits, mais passer de la critique à la politique ce n’est pas facile !
Ce n’est pas facile. C’est passer de spectateur à acteur. J’ai bien aimé le rôle de critique. Ça permet de concilier mon amour des mots à mon amour de la politique. Je prends, aujourd’hui, les critiques avec beaucoup de recul parce que j’ai exercé ma fonction de critique à fond. A chacun son tour !
Ce n’est pas simple de se lancer en politique !
C’est très difficile mais j’avais déjà une expérience. Je suis allé à deux reprises aux municipales de Saint-Louis, en 2014 et en 2020. J’ai été conseiller municipal de 2014 à 2017, dans l’opposition. Mais là, la quantité de choses qu’on a à gérer pour mettre les hommes au travail, pour faire en sorte qu’on arrivé à se battre tous pour les mêmes idées, avec les forces et les faiblesses des individus, c’est difficile.
Pourquoi avoir sauté le pas ?
Je suis quelqu’un qui assume ses responsabilités. Je n’étais pas candidat tête de liste. J’étais d’accord pour que nous allions aux élections. J’étais d’accord pour faire partie de la liste. J’ai toujours dit aux camarades de l’ANG, vous avez choisi le mode de désignation, le vote à bulletin secret, je risque de sortir en tête, je vais assumer. C’est une tâche militante. Comme si on me demandait d’assumer une commission de travail.
Qu’est-ce qui vous choque le plus avec cette entrée dans le combat politique à ce niveau ?
J’avoue que je suis de nature plutôt discret. Je n’ai pas encore bien assimilé ce côté qui fait qu’on n’a plus de vie privée. Je ne peux pas aller faire des courses sans qu’on me reconnaisse. J’avoue que j’avais une petite notoriété au travers de mes activités de journaliste et d’écrivain, mais là ça prend certaines dimensions, et ce n’est pas dans ma nature ; C’est le jeu, je l’accepte. Et puis, je le savais les retours que j’avais du terrain me le laissaient entendre, la défiance des gens par rapport à la politique c’est quelque chose qui fait que j’en veux encore plus aux politiques. Comment ont-ils fait pour qu’on en arrive à un tel niveau de désacralisation de cette belle chose qu’est la politique ? Je pense que quelle que soit l’idéologie, quel que soit le pays, participer à la vie de la cité c’est une belle chose. Les politiques, par leur attitude, ont fait que cette chose a été salie.
Nous avons sans doute élu des gens qui nous ressemblent…
Ça fait partie des choses qui m’ont décidées à participer à cette mission. La génération d’avant moi et quelque part ma génération, nous avons laissé faire. Nous ne nous sommes pas engagés alors qu’il y a des compétences et il aurait fallu que les gens qui ont des compétences s’engagent pour le pays.
Quand je suis allé la première fois aux municipales, sur la liste de Camille Pelage, en 2014, beaucoup de mes amis, de mes parents n’ont pas compris. Je leur ai dit qu’il fallait changer. Camille Pelage n’était pas un ami, mais je le voyais à Marie-Galante et il avait une compétences et j’ai pensé qu’il fallait mettre nos compétences en commun. Il ne faut pas laisser la place vide.
Qu’est-ce que vous allez changer si vous êtes élu ?
J’ai un rapport au pouvoir qui n’est pas celui d’un homme de pouvoir. J’ai lu, il y a quelques années de cela un ouvrage, La psychologie des hommes de pouvoir, par deux psychiatres français. Ils disaient que ceux qui exercent le pouvoir n’ont pas la psychologie nécessaire pour exercer le pouvoir et que ceux qui ne veulent pas exercer le pouvoir ont la psychologie nécessaire pour exercer ce pouvoir.
Je pense que ce qui me distingue de mes adversaires c’est que moi, à titre individuel, le pouvoir ne m’intéresse pas. Ça me donne un avantage psychologique pour changer les choses. Même dans le cadre actuel, on peut mettre en place les outils pour plus de transparence et de contrôle. Je pense aux vingt points proposés par l’association Anticor (ANTICOR est une association anticorruption agréée par le ministère de la justice pour l’exercice des droits de la partie civile.).
Ça ne me pose aucun problème de mettre ceci en application. Je suis clair dans mon discours. Un homme, un mandat. Et je ne ferais pas plus de deux mandatures. Je vais dans cette élection avec une construction philosophique qui me met à l’abri de certaines dérives du pouvoir.
Qui a choisi vos colistiers ? Vous ?
Je n’ai pas choisi mes colistiers. Quand l’ANG a lancé la consultation, il y a vingt camarades qui ont levé le doigt, plus ceux qui ont été proposés par les organisations et il nous manquait quelques colistiers. Nous avons complété. Ce n’est pas ma liste.
C’est une bonne liste ?
C’est une liste équilibrée, une liste qui correspond aux paramètres qui étaient entre nos mains au moment où nous avons fait cette liste. Equilibrage du territoire, représentation sociale, répartition entre les organisations et aussi volonté des hommes. Il vaut mieux aller aux élections avec ceux qui ont de la volonté !
N’êtes-vous pas un idéaliste ?
Un peu, oui. Il en faut. Heureusement qu’il y a eu un homo sapiens qui est sorti de sa caverne pour aller attaquer un mammouth et nous donner l’ancêtre du cochon roussi !
S’il fallait changer trois choses dès votre arrivée à la Région ?
Il faudrait tout de suite mettre en place un règlement intérieur strict sur la transparence, le contrôle par le public de l’argent public. La loi française ne nous oblige pas mais elle ne nous interdit pas de faire certaines choses. Moi, je veux un règlement intérieur strict. Anticor propose de rendre public le nom de ceux qui bénéficient de voitures de fonction, de ceux qui bénéficient de billets d’avion pour voyager. Et pourquoi chaque fois. Qu’est-ce qui leur donne le droit d’avoir ces avantages. En plus de ceci, je souhaite mettre la co-officialité du créole, même si après on casse cette décision. Enfin, et ça ne demande pas beaucoup d’argent, c’est mettre en place un bureau de soutien administratif permettant de mettre à la disposition des petites communes qui n’ont pas les moyens d’embaucher des cadres de catégorie A, de pouvoir bénéficier de cadres de la Région et du Département, des EPCI. Il faut que toutes les strates institutionnelles de ce pays soient en marche. Il y a beaucoup de cadres à la Région, certains dans des placards, il faut les utiliser.
Vous gardez les mêmes personnes à la Région ?
Je pense que l’un des torts des majorités au pouvoir c’est de procéder au jeu des chaises musicales, pas de chasse aux sorcières. Je vais faire confiance aux gens. Bien sûr, ceux qui ne feront pas leur devoir seront sanctionnés, mais pour ma part, je n’ai personne à placer. Bien sûr, il y aura un cabinet politique, mais je refuse d’entrer dans un système de renouvellement des administrations. Il faut que les gens travaillent et aient une conscience nationale. Nous travaillons pour la Guadeloupe !
Quels seront vos rapports avec l’Etat ?
Des rapports d’institution à institution. Nous sommes dans un cadre institutionnel que je n’ai pas voulu. Ce sont les Guadeloupéens qui, depuis 1946, valident ce choix. Il faut le respecter. Mais, des rapports différents ; Nous serons verticaux. Il est hors de question que je sois la petite doudou dans les réceptions. Ce que je souhaite, c’est avoir plus de responsabilités. Pour ce faire, je serais vertical. Je ne pense pas que cela fâche l’Etat. Depuis Nicolas Sarkozy, nous avons affaire à une classe politique française qui n’a pas vécu avec ce passé colonial, qui n’a pas connu la Guerre d’Algérie. Le discours de Sarkozy à Petit-Bourg était très autonomiste. Je crois que notre positionnement politique est dans le sens de l‘histoire politique française, dans ses rapports à ce qu’ils appellent l’Outre-mer.
Nos élus clament partout qu’ils veulent plus de responsabilités mais, quand ils les ont, ils ne les assument pas… et il n’y a pas de réel contrôle sur la gabegie d’argent public, cette faillite généralisée que nous connaissons. Qu’en pensez-vous ?
Pendant longtemps, il y a eu ce que j’ai appelé une impunité d’allégeance. Il suffisait de faire allégeance aux gaullistes, aux socialistes et on pouvait faire ce qu’on voulait. Il faut maintenant mettre des éléments de contrôle très stricts. Mon modèle, ce sont les pays scandinaves. La demande de responsabilité doit s’accompagner de devoirs, de responsabilités en actes. Il faut qu’on nous prenne au sérieux ! Mais, ceci est vrai pour chaque Guadeloupéen ! il y a un slogan que j’ai piqué à des camarades Martiniquais : Asé pléré an nou travay ! Ce que nous proposons, c‘est de la sueur et non pas se contenter de prendre le lait et le miel ! Je serais impitoyable avec ceux qui ne travaillent pas et avec tous ceux qui fautent. Ce n’est qu’ainsi qu’on pourra assainir les relations avec les élus et le peuple.
Au second tour, vous n’êtes pas dans le duo ou le trio restant. Que faites-vous ?
Je reviens d’une tournée à Marie-Galante. J’avais cette impression et je l’ai encore plus : nous serons présents au deuxième tour. Pour le moment, nous avons décidé de voter pour la liste nationaliste qui sera au deuxième tour.
Et s’il n’y en a pas ?
Vous avez la réponse.
Propos recueillis par André-Jean VIDAL