Nous ne sommes pas tous égaux face au sommeil. Certains peuvent se contenter de quelques heures, alors que d’autres font le tour (ou presque) du cadran de l’horloge. Les explications de Robert Jaffard, neurobiologiste spécialisé dans l’étude de la mémoire, membre du Conseil scientifique de l’Observatoire B2V des Mémoires.
Le sommeil est essentiel au bon fonctionnement du corps humain et en particulier sur notre mémoire et notre capacité d’apprentissage. D’une part, le sommeil restaure des capacités optimales à apprendre (encoder) en « réinitialisant » la plasticité des circuits cérébraux de stockage dégradée par la veille.
D’autre part, il stabilise (consolidation passive) la mémoire des acquis récents (de quelques heures) encore labile pour en faire une mémoire à long terme. Surtout, il rend cette mémoire plus efficiente en modifiant et en réorganisant son contenu (consolidation active).
Chaque étape compte
Le sommeil impacte toutes les formes de mémoire, en particulier la mémoire déclarative épisodique (souvenirs) et sémantique (connaissances) qui dépendent du fonctionnement de l’hippocampe et la mémoire procédurale (savoir-faire moteurs ou perceptifs) qui est indépendante de cette structure.
Chaque stade du sommeil joue un rôle particulier. Schématiquement, le sommeil qui suit l’endormissement, d’abord léger, puis devenant progressivement un sommeil profond à ondes lentes est critique pour le devenir de la mémoire déclarative, alors que le sommeil paradoxal, proche de l’éveil, riche en rêves et plus fréquent en fin de nuit, impacte davantage la mémoire procédurale et la mémoire émotionnelle. Enfin, l’impact du sommeil est plus important pour la mémoire déclarative que procédurale.
Dette de sommeil
Quelles qu’en soient les causes (bruit, stress, apnées du sommeil, vieillissement, mode de vie…), un sommeil de durée et/ou de qualité insuffisantes (insomnie, sommeil fractionné…) entraîne des déficits de mémoire déclarative qui affectent à la fois l’encodage, la consolidation et la restitution, mais aussi des altérations dans le traitement des informations émotionnelles. À l’inverse, les capacités d’encodage naturellement détériorées en fin de journée sont entièrement restaurées par une sieste en début d’après-midi. La privation de sommeil consécutive à un apprentissage a également des effets délétères sur sa consolidation. À l’inverse, différentes interventions qui ont en commun d’amplifier les ondes lentes et/ou de provoquer une hyper-activation de l’hippocampe au cours du sommeil profond facilitent cette consolidation.
Enfants, adolescents et personnes âgées
Des études conduites chez des adolescents montrent une relation entre le manque (ou la dette cumulée) de sommeil – en deçà des 9 h par nuit recommandées – et la détérioration des performances académiques et des fonctions cognitives.
Les recherches menées sur des patients âgés et/ou Alzheimer révèlent quant à elles un lien très étroit entre l’insuffisance qualitative et quantitative de leur sommeil et le déclin de leur mémoire. Cependant, si chez les enfants et les adolescents, de nombreuses interventions sont possibles pour accroître une durée de sommeil qui ne cesse de se détériorer, le problème est différent chez les personnes âgées où troubles du sommeil et neuro-dégénérescence avec perte de plasticité cérébrale se renforcent mutuellement, créant un « cercle vicieux » difficile à rompre.
Source : Observatoire B2V des mémoires