Politique. Quand Nicolas Sarkozy parle de la Guadeloupe… et flingue tout le monde !

Nicolas Sarkozy, ancien président de la République française (16 mai 2007 au 15 mai 2012), vient de publier Le Temps des combats (Editions Fayard) dans lequel il réserve quelques passages savoureux à la Guadeloupe.

Il y explique son approche des territoires antillais, revient sur les événements de 2009 et l’attitude d’Yves Jégo, secrétaire d’Etat chargé de l’Outre-mer, l’attitude timorée des élus locaux quand il a proposé de changer de statut, donne son sentiment sur l’action de Marie-Luce Penchard dans ses gouvernements (dans un prochain article).

Les Antilles françaises, territoires complexes
aux populations tourmentées

Bien évidemment, ses détracteurs permanents diront que Nicolas Sarkozy a « une idée bien à lui des Outre-mer. » Son discours est néanmoins intéressant. Vu d’ailleurs… ça donne ca.

« Ces îles paradisiaques qui font rêver chacun de nous, cette nature exubérante et d’une beauté à couper le souffle, ces baies d’un bleu profond, ces plages de carte postale, ces territoires paradisiaques cachent au plus profond de la société antillaise une capacité de violence inouïe, soudaine et sans limites

Le contraste est fulgurant entre la perfection des paysages qui appelle à la méditation, à la poésie, au repos, et la capacité éruptive de la population. Les frustrations, la colère, les humiliations du passé et l’énergie des habitants créent un cocktail aussi détonant qu’explosif. Quand ils se mettent en marche, rien n’arrête les Guadeloupéens comme les Martiniquais. »

Bien vu !

« Bien sûr, il y a la pauvreté, l’exclusion, la souffrance, le chômage, mais il y a bien davantage, avec cette identité caribéenne si ancrée et tellement à fleur de peau. On ne sait plus par quel bout prendre le problème.

Ne pas s’en occuper, ce serait les mépriser. S’en préoccuper, ce serait faire peser une chape centralisatrice sur des territoires qui aspirent à la liberté tout en rêvant d’assistance. La contradiction est flagrante et rend toute solution profondément aléatoire. »

« Je me reconnais dans ces tempéraments tout à la fois joviaux et ombrageux, optimistes et sombres, pleins d’énergie et si flegmatiques, jeunes et tellement tournés vers leur passé

Personne ne peut rester indifférent devant un tel mélange de contradictions et d’attentes si parfaitement opposées. »

Nicolas Sarkozy résume son approche des Outre-mer antillais. Il ne critique pas, il constate.

« Celui qui vient de métropole doit sans cesse se justifier, prouver sa bonne foi, donner des gages et s’investir sur le long terme. C’est tout à la fois passionnant, émouvant et éreintant. Les impressions que l’on y ressent sont souvent trompeuses car, à force d’effort, on peut penser avoir convaincu et peut-être même avoir emporté l’adhésion. On se trompe ! Les foules qui viennent écouter sont nombreuses et fréquemment enthousiastes. On cède alors à la vanité d’imaginer avoir marqué les esprits. Illusion ! Car il s’agit d’iles où, sitôt parti, le visiteur acclamé est oublié au profit d’un autre déjà annoncé. Et celui-ci aussi aura l’impression d’avoir eu raison… avant d’être détrompé. »

Les 44 jours LKP, Yves Jégo
et le syndrome de Stockholm

Yves Jégo a été secrétaire d’Etat chargé de l’Outre-mer du 18 mars 2008 au 23 juin 2009. Il a vécu une grande partie des 44 jours LKP, crise sociale et sociétale en Guadeloupe.

Lent au démarrage puisqu’il ne s’est manifesté qu’au bout de 12 jours, alors que le territoire était bloqué par une « grève générale » et en marge de celle-ci des violences évidentes, une administration tétanisée par l’arrivée de centaines de journalistes nationaux et internationaux acquis au « romantisme » du LKP et de son charismatique leader, Elie Domota, le secrétaire d’Etat a décidé de venir voir pour comprendre. Deux semaines passées en Guadeloupe pour tenter de résoudre la crise, du jamais vu. Avec des rencontres permanentes, d’élus totalement largués, jouant entre copinage et semblant de fermeté, du patronat inaudible (certains avaient envoyé leurs familles en France !), les syndicats… quelques rencontres occultes au fond de bananeraies improbables…

Et puis, Yves Jégo est brutalement rappelé à Paris, par le Premier ministre François Fillon, laissant les syndicats et membres du LKP qui l’attendaient à la préfecture de Basse-Terre pour une énième discussion le bec dans l’eau. Au risque de faire exploser le chaudron. 

Nicolas Sarkozy résume ce que la plupart des observateurs locaux avaient déjà conclu : « J’avais été critiqué sévèrement pour avoir laissé les événements dégénérer durant un mois, ce qui était aux yeux de nombre d’observateurs trop long. Je l’étais maintenant pour vouloir tout faire remonter à l’Élysée par l’intermédiaire de mon conseiller Olivier Biancarelli qui traitait les élus avec patience et attention. La vérité était que le ministre en charge, Yves Jego, malgré toute sa bonne volonté, ne pouvait s’en sortir seul.

Il n’en avait ni les moyens politiques ni les outils administratifs. De surcroît, je l’avais senti sur les nerfs en constatant qu’il n’arrivait ni à apaiser les choses ni à renouer les fils du dialogue. Je l’avais envoyé sur place pour qu’il puisse se faire une idée précise de la situation. Il y était resté longtemps sans doute trop, presque deux semaines. C’était cependant inévitable compte tenu de la gravité des tensions.

Mais en même temps, cela avait agi comme un piège qui se refermait sur lui en décrédibilisant sa parole et en le rendant prisonnier du discours local.

Je m’en rendis compte après lui avoir parlé au téléphone. Le syndrome de Stockholm était en train d’agir sur lui. Il en était venu à faire siens les propos et les propositions des plus exaltés sur l’ile. Son moral était très instable. Il pouvait être dans la même journée surexcité et déprimé. Il est vrai que la situation était loin d’être facile à appréhender et encore moins à gérer. Je devais en tirer rapidement les conclusions en montant en première ligne. »

Changer de statut : les élus
guadeloupéens frileux

Victorin Lurel, président du Conseil régional, Jacques Gillot, président du Conseil général, étaient les deux hommes forts de la Guadeloupe. Lucette Michaux-Chevry, depuis sa défaite aux régionales, s’était repliée sur ses terres basse-terriennes en prenant la mairie de Basse-Terre avant de saisir à pleines mains la Communauté d’agglomération.

Jacques Gillot, plus à gauche, plus « nationaliste » que Victorin Lurel, socialiste, plus « républicain ». Tous deux un peu seuls au milieu de la bataille pendant les 44 jours LKP, les autres élus se retranchant dans leurs communes pour les maires, chez eux ou ailleurs pour les parlementaires…

Nicolas Sarkozy, pour calmer le jeu, voulait jouer de l’outil habituel dans nos contrées : faire évoluer les institutions locales. En Martinique où le mouvement de grogne avait été moins prégnant, il avait proposé aux élus Martiniquais une évolution type article 74 de la Constitution de la Ve République qui prévoit le statut d’autonomie.

« Je soulignai l’avantage de cette dernière formule, où plus une collectivité devient autonome, moins l’État aura de prise sur les affaires qui la concernent. En fait, ce dernier statut donnait beaucoup de liberté en termes d’impôts, de réglementation pour la construction de logements ou d’initiatives locales. Cela pouvait même aller jusqu’à permettre d’avoir un drapeau, une monnaie ou encore un hymne propres au territoire.

Mon initiative fut reçue assez positivement par les élus martiniquais, majoritairement en

faveur d’un changement de statut et d’une collectivité autonome. Il s’agissait d’un premier pas intéressant, et pour moi d’un réel soulagement, car nous avions enrayé les tentatives de ceux qui souhaitaient précipiter les départements d’Outre-mer dans le chaos et l’aventure. »

En Guadeloupe, cette même proposition a fait un flop.

« Je ne tardai pas à comprendre puisque, à peine arrivé en Guadeloupe, le président PS de la Région m’avertit : « Pas question d’enclencher ici le même processus qu’en Martinique. » II poursuivit par cette injonction assez paradoxale, pour ne pas dire contradictoire : « Nous ne sommes ni pour l’immobilisme ni pour une autonomie désargentée. » Autrement dit, il ne fallait ni bouger ni changer ! J’avais rarement entendu quelque chose de plus démagogique et de moins clair. La vérité était que lui aussi était débordé par les revendications protéiformes des Guadeloupéens. Je n’avais d’ailleurs pas besoin de son avertissement pour savoir que la priorité de l’île était « sociale », surtout après ces quarante-quatre journées de grève générale. »

A SUIVRE…

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