Olivier Nicolas est le jeune Premier secrétaire de la Fédération du PS de la Guadeloupe. Il est aussi le secrétaire national du PS en charge des Outre-mer. Entretien sur quelques points de l’actualité brûlante : la primaire à gauche, Christiane Taubira, l’autonomie telle que vue par Sébastien Lecornu ou la domiciliation locale telle que vue par les élus locaux, la crise sociale…
. L’idée d’une primaire à gauche soutenue par Anne Hidalgo est-elle une bonne solution à quatre mois de la présidentielle ?
C’est en tout cas un acte de responsabilité qu’a posé notre candidate. Durant trois mois à parcourir le pays, Anne Hidalgo témoigne que, partout, nos électeurs — le peuple de gauche — réclament l’unité face à une droite et une extrême droite qui imposent leurs thèmes dans la campagne. Partout, on lui dit : « on vous écoutera et on se mobilisera quand vous vous mettrez d’accord ». C’est le moment de se rappeler qu’on ne fait pas de la politique seulement pour nos militants ou pour des appareils. On fait de la politique pour les citoyens et il faut entendre quand 73% des électeurs de gauche veulent une primaire. Ils la veulent parce que c’est aujourd’hui la seule chance pour que la gauche soit au second tour. Depuis plusieurs mois, les candidats de la gauche et de l’écologie font campagne chacun dans son couloir. A 4 mois de l’élection, le constat est peut être douloureux, mais il est lucide : dans absolument tous les sondages, aucun d’entre eux ne dépasse 10%. Mais, plus grave encore, le total des voix de gauche ne cesse de baisser et atteint aujourd’hui un niveau historiquement bas qui dépasse à peine 20%. Cela signifie que tout le monde baisse et que personne ne connaît de véritable dynamique. Il faut réagir.
. Et pourquoi pas Christiane Taubira ?
Dans sa déclaration, ce vendredi, j’ai noté qu’elle fait le même constat que notre candidate : celui d’une impasse à gauche et du risque de l’élimination assurée dès le 1er tour. Et elle prononce LE mot important : l’union. Il faut donc espérer qu’elle joigne sa voix à celle d’Anne Hidalgo pour réussir le rassemblement. Sinon, ce sera une division de plus.
. Si les primaires à gauche étaient remportées par Jean-Luc Mélenchon auriez-vous un problème de conscience ?
Si Jean-Luc Mélenchon participe à une primaire de la gauche, cela voudra dire qu’il aura accepté de s’inscrire avec nous et d’autres forces de la gauche et de l’écologie dans la perpective d’une pacte commun de gouvernement pour la prochaine législature. Auquel cas, la primaire consistera à trancher entre des candidats prêts à défendre un projet commun d’alternance à gauche. Je n’aurai donc pas de problème de conscience, même si je regrette infiniment certaines déclarations de Jean-Luc Mélenchon cette semaine en Guadeloupe qui, pour gagner quelques soutiens ici, a encouragé avec force fake news la méfiance à l’égard de la vaccination tout en étant lui-même vacciné. Ce n’était pas responsable et cela doit renforcer notre ambition, à nous socialistes, de porter Anne Hidalgo et la gauche de gouvernement vers la victoire dans cette primaire.
. A part le concept plutôt vague de « gauche », avouez que ces formations politiques n’ont pas grand-chose en commun…
Déjà, je ne laisserai jamais personne qualifier le mot « gauche » de « vague ». Ce qu’il y a de vague c’est sans conteste le « ni droite, ni gauche », c’est le « et de droite, et de gauche ». C’est ce néant absolu de la pensée politique dont chacun mesure la vacuité et l’impuissance à régler, en Guadeloupe comme dans l’Hexagone, les problèmes du pays. La gauche, c’est un certain nombre de valeurs communes dont la traduction politique a pu être abimée par le passé. Mais c’est plus que jamais la gauche qui porte les grands enjeux du moment : la justice sociale, le pouvoir d’achat, l’accès aux droits et aux services publics, l’égalité réelle, la transition écologique, le refus du libéralisme triomphant… Si la gauche n’en parle pas, qui en parle ? Personne. Ni le président sortant, ni les autres candidats de droite et d’extrême droite. Alors oui, au nom des valeurs que nous avons en partage, nous croyons que le rassemblement est possible autour d’un programme de gouvernement.
. Quand les élus parlent de domiciliation locale de certaines compétences dont la santé, qu’entendez-vous ?
J’entends essentiellement des concepts à mieux définir et surtout à approfondir afin que les forces politiques et, surtout, les citoyens puissent comprendre ce dont il est question. La domiciliation locale de certaines compétences, cela a vraiment commencé avec la décentralisation en 1982. On peut évidemment aller vers une décentralisation plus poussée — c’est même souhaitable — mais est-ce de cela dont il est question aujourd’hui ? Ou bien s’agit-il plutôt d’une manière de parler autrement d’autonomie sans avoir à utiliser un mot qui peut faire peur et, surtout, qui peut encore diviser les Guadeloupéens ?
Quant à la mention de la compétence « santé », je pense qu’il faut faire attention aux simplifications. Car, en réalité, la santé n’est qu’une partie d’une compétence bien plus vaste qui englobe les « affaires sociales » au sens large. Les territoires ultramarins très autonomes, comme la Polynésie française ou la Nouvelle-Calédonie, sont certes compétents pour la santé, c’est-à-dire aussi bien les hôpitaux que le médico-social. Mais ils sont également en charge — dans une logique de financement bien compréhensible — de toute la protection sociale (assurance maladie, chômage, retraite). C’est pourquoi, les socialistes disent que quand on envisage de réclamer une compétence, il est bon de veiller à bien en définir les contours et les implications, notamment financières.
. L’autonomie de la Guadeloupe proposée par Sébastien Lecornu est-elle un piège ?
Ce n’est un piège que si l’on s’y laisse prendre… Car, au fond, il y avait quelque chose d’assez simple à répondre à la proposition du ministre : lui rappeler que l’initiative éventuelle d’une évolution statutaire spécifique pour la Guadeloupe ne peut être prise que par les élus du territoire réunis en Congrès et non sous l’injonction du Gouvernement. Il aurait fallu lui dire : « Merci pour votre proposition Monsieur le ministre. Mais, ce sont les Guadeloupéens qui décideront du moment et du type d’évolution qu’ils souhaitent pour la gouvernance de leur territoire ». Et on passait à autre chose. Mais, au fond, pourquoi le ministre a-t-il parlé d’autonomie ? C’est parce qu’il a rebondi de manière assez habile sur ce qui émanait de notre débat public. Face à un collectif d’organisations qui réclamait la non application en Guadeloupe d’une loi de la République, le ministre des Outre-mer pouvait légitimement mettre le sujet sur la table. D’autant que certaines prises de position politiques sont allées dans ce sens : ainsi le 16 novembre, alors que le collectif vient à peine de lancer le mouvement, le GUSR — le parti en responsabilités dans nos deux collectivités majeures — publie un communiqué qui affirme que le contexte social perturbé « illustre la nécessité d’une plus grande domiciliation locale du pouvoir de décision ». On ne aurait être plus clair. Et pourtant, il a suffi que le ministre dise son ouverture sur le sujet pour que les élus de ce même parti soutiennent qu’ils n’ont jamais demandé ça. Sous cet angle-là, oui, certains ont pu se sentir piégés…
. Peut-on jouer avec ce mot ?
On a déjà beaucoup trop joué avec ce mot-là — et avec d’autres — sans aller au fond des choses. Tant que l’autonomie restera un simple slogan ou un mot valise sans contenu, tant que ne sera pas développée la pédagogie nécessaire sur ses contours, ses enjeux, ses implications, l’autonomie sera comme l’horizon qui s’éloigne chaque fois que l’on tente de s’en rapprocher. Si l’on veut sincèrement une évolution de la gouvernance en Guadeloupe, il faut donc arrêter de jouer parce que c’est un jeu perdant. Pour beaucoup de nos compatriotes, l’autonomie c’est simplement des élus qui veulent davantage de pouvoirs. Or, nos compatriotes ont les yeux ouverts sur les défaillances de nombreuses politiques publiques. Et ils s’interrogent : comment donner davantage de responsabilités à l’échelon local alors que les collectivités locales n’ont pas donné satisfaction dans celles qu’ils avaient déjà comme l’eau, les transports ou les déchets ? C’est une question légitime aujourd’hui.
. La Guadeloupe pourrait-elle voter pour l’autonomie ?
Bien sûr. La Guadeloupe pourrait choisir un jour d’être plus autonome. Comme le dit le sénateur Victorin Lurel, « il faudrait pour cela que les conditions objectives et subjectives soient réunies ».
Il faudrait d’abord s’accorder sur un vrai projet d’autonomie à élaborer en identifiant les compétences qui seraient mieux exercées par l’échelon local que par l’Etat et, surtout, qui seraient exercées dans l’intérêt propre de notre territoire. Car, l’autonomie c’est la possibilité d’édicter la norme dans un certain nombre de domaines. Cela peut aller jusqu’à adopter des « lois du pays » comme en Polynésie. Mais, c’est aussi se montrer capable d’assumer durablement le financement de ces compétences. Ce projet doit aussi penser l’architecture institutionnelle que nous souhaiterions : une seule collectivité, ou non ? quid des intercommunalités ? quels contre-pouvoir ? quel mode de scrutin ?, etc. Autant de sujets sur lesquels nous aimons beaucoup débattre, d’ailleurs… Mais au bout du bout, la condition la plus importante pour passer de l’aspiration à l’affirmation, c’est la confiance. La confiance sans laquelle nos concitoyens risquent fort de dire « non » à toute proposition d’évolution. Confiance en l’avenir, confiance en les élus, confiance en l’Etat et, plus largement, confiance en notre capacité à faire peuple pour avancer ensemble. Or, le moins que l’on puisse dire jusqu’ici, entre nos collectivités dans le rouge, nos services publics dégradés, les soupçons de corruption qui font régulièrement la une, et aussi le tour violent que prennent certains conflits chez nous entre Guadeloupéens, c’est que cette confiance est largement à reconstruire voire à construire pour envisager tout cela. Mon souhait le plus ardent, c’est que le Parti socialiste, par ses réflexions, ses idées, ses propositions, ses nouvelles têtes accompagnées par ses élus d’expérience, contribue à réhabiliter la politique et sa capacité à renouer la confiance.
. Mais, quelle autonomie permettrait une évolution positive sans fracas financier ?
C’est le vrai sujet. Certains croient, ou en tout cas font croire, que l’on pourrait avoir l’autonomie avec les acquis ; que l’on peut négocier et obtenir les avantages de l’autonomie, tout en gardant les avantages du droit commun. Le beurre et l’argent du beurre, en somme. Cette posture n’est pas tellement plus glorieuse que ceux qui agitent le chiffon rouge de l’autonomie pour en faire le pire danger qui nous guette. Mais ce sont, en réalité, deux faces d’une même médaille qui empêchent d’avancer dans ce débat. Or, il y a de grandes réflexions à mener, précisément sur les finances locales. Nous, socialistes, nous disons par exemple qu’autonomie ou pas, c’est toute la fiscalité des départements et régions d’Outre-mer qui est à révolutionner. Elle a été pensée il y a plusieurs décennies et aujourd’hui elle n’est plus adaptée à nos réalités et à nos besoins. L’octroi de mer devait protéger la production locale en finançant nos collectivités ; aucun des deux objectifs n’est parfaitement atteint. En revanche, nous voyons l’impact de cette taxe sur la vie chère. De même, notre avons une fiscalité sur les énergies fossiles – la taxe sur les carburants -, dont le dynamisme repose sur la croissance du parc de voitures thermiques. Nous posons donc la question : comment être incités à développer les transports publics ou des carburants écologiques si cela doit avoir pour effet d’appauvrir nos ressources fiscales ? Il faut donc un big bang. Mais qui en parle à part nous, les socialistes ?
. Nos élus sont-ils prêts pour ce statut ?
Sont prêts les élus qui n’attendent pas l’autonomie pour se montrer compétents et responsables. Et beaucoup sont socialistes. Ils sont déjà au travail. Nous n’avons jamais eu dans notre ADN de prendre prétexte que le statut ou les institutions seraient à ce point mauvais pour nous empêcher de mener de bonnes politiques. Il faut en revanche solliciter les évolutions quand il est manifeste que le statu quo est un frein à notre développement. Voilà pourquoi un projet d’évolution, quel qu’il soit, doit être travaillé en profondeur. Nous, à la Fédération socialiste, nous sommes prêts pour ce débat et nous avons les idées claires sur les objectifs à atteindre et les écueils à éviter. C’est d’ailleurs pour cela, qu’à l’initiative de nos parlementaires — Hélène Vainqueur-Christophe, Victoire Jasmin et Victorin Lurel — nous avions rouvert le débat lors du Congrès de juin 2019. Pourquoi ne pas le reprendre ?
. La crise sociale, profonde, a-t-elle les interlocuteurs qu’il faut pour être sinon résolue du moins amortie ?
Cette crise intervient après une double séquence électorale au terme de laquelle, en deux ans, les municipalités, la Région et le Département ont été renouvelés avec des taux de participation très faibles aux différents scrutins. Début novembre, nous avions écrit que cela aurait des conséquences termes de légitimité. Cette crise n’est donc pas pour nous pas un hasard. Il y a une évidente perte de confiance entre les citoyens et la politique, qui n’est d’ailleurs pas spécifique à la Guadeloupe. La crise peut être le moment de se retrousser les manches et de se mettre vraiment au travail. Même si le Gouvernement actuel est coupable à nos yeux d’avoir abandonné la loi « égalité réelle » outre-mer votée en février 2017, beaucoup des revendications portées par le collectif relèvent à l’évidence du champ des collectivités locales et, singulièrement, de celui de la Région. Il y a des échecs manifestes dans l’action régionale depuis bientôt 6 ans que ce soit en matière de formation professionnelle, de transports, de déchets, de rééquilibrage du territoire. Il y a eu beaucoup de communication peu d’action concrète. Nous ne pouvons qu’espérer voir le maçon au pied du mur. Car, il y a beaucoup à faire.