« Le Gouvernement portera un projet de loi contre la vie chère dans les Outre-mer que je présenterai avant l’été. »
C’est dit. Le ministre d’Etat, ministre des Outre-mer, Manuel Valls, après sa tournée Outre-mer, est définitivement convaincu qu’il faut faire bouger les lignes. Et plus encore : déplacer des montagnes car le dossier n’est pas simple.
Manuel Valls a pris la parole devant l’observatoire des prix, des marges et des revenus de la Martinique en présence du préfet Etienne Desplanques, du président du Conseil exécutif Serge Letchimy, des sénateurs et députés, des chefs des grands services de l’Etat.
Si l’on sait qu’Outre-mer tout est plus cher — produits alimentaires, biens de consommation — longtemps cela n’a pas dérangé les différents pouvoirs qui se sont succédés à l’Elysée ni à Matignon, encore moins rue Oudinot. Savoir qu’il faut payer 15% de plus la plupart des produits de consommation, de 40% les produits alimentaires… n’a pas dérangé les élus locaux qui n’en ont jamais fait leur cheval de bataille.
Il aura fallu des émeutes, suite à une inflation galopante ces deux dernières années, pour qu’enfin on se bouge.
Et encore : en Martinique plus qu’en Guadeloupe.
Que dit manuel Valls, qui achève un voyage aux Antilles Françaises, porteur du dossier qu’il va présenter au Premier ministre puis devant les assemblées ?
« La vie chère est un drame… C’est un drame dont l’injustice s’ajoute aux autres, ce sentiment d’être toujours traité différemment, souvent moins bien, voire dramatiquement, comme sur la question de la chlordécone; très souvent maladroitement, unilatéralement, sans respecter les spécificités de ces territoires, comme lors du Covid. »
Manuel Valls a rappelé que ce drame « nourrit une défiance qui vient de beaucoup plus loin » — les békés, en Martinique, descendants de propriétaires du XVIIe siècle sont toujours ceux qui possèdent les groupes d’import-distribution.
Manuel Valls a de même souligné qu’en 2009 déjà, lors des émeutes en Martinique, des 44 jours LKP en Guadeloupe, la vie chère était à l’ordre du jour : c’était il y a… 16 ans !
Et depuis, personne n’a bougé.
« Comment s’étonner que puisse naître un rejet quand nourrir votre famille vous coûte près de la moitié plus cher qu’à vos concitoyens de l’hexagone ?
Comment s’étonner que puisse émerger une défiance quand les revenus sont, par ailleurs, beaucoup moins élevés que dans l’hexagone et les niveaux de pauvreté plus haut ?
Comment s’étonner que puisse s’installer un sentiment d’abandon face à ce qu’Aimé Césaire qualifiait de « tyrannie par l’indifférence » ? », a dit le ministre des Outre-mer.
Manuel Valls a souligné avec force que le combat à mener est celui de l’Etat, des collectivités, des entreprises, rappelant que le protocole du 16 octobre 2024 en Martinique, dont certains effets s’appliquent en Guadeloupe, montre que quand on s’y met, on peu le faire.
Avant cela, il y a eu la loi Lurel, sur la régulation économique Outre-mer, qui a institué le Bouclier Qualité Prix, réprimé les accords exclusifs d’importation — un seul importateur pour une marque — et étendu la possibilité de saisir l’Autorité de la Concurrence. Loi qui n’a pas changé grand-chose.
Depuis les émeutes contre la vie chère, Béatrice Bellay, députée de la Martinique, a proposé une loi pour réformer le BQP en le renforçant.
D’autres élus, comme Victorin Lurel, Dominique Théophile, Max Mathiasin, ont travaillé sur la concurrence, les prix des billets d’avion, etc.
« Le Gouvernement ne peut plus se contenter de discours ! », a dit Manuel Valls. « Il ne peut plus continuer de soutenir des initiatives législatives qui, par le jeu de la procédure et de l’agenda parlementaire, risquent de ne connaître aucun aboutissement final. »
Le Gouvernement, a dit le ministre, « doit mettre en place un plan da bataille complet et structurel qui s’attaque méthodiquement à tous les facteurs expliquant la cherté de la vie. »
Pour ce faire, il faut reprendre les idées des élus et travailler sur cinq points particulièrement.
Ceux-ci, Manuel Valls les énumère et les explicite.
« Premier mot : CONCURRENCE. Je tiens depuis plusieurs semaines un propos de vérité qu’il aurait fallu tenir depuis bien longtemps. Oui, le partage et la chaîne de valeur, Outre-mer, ne sont pas équitables.
Oui, il y a des grands groupes très performants mais qui jouent parfois un rôle d’étouffement de l’économie et, à travers elle, des populations.
Je crois en l’entreprise. Je salue les entrepreneurs qui créent de la valeur et de l’emploi. Je les encourage à progresser. Mais c’est justement pour cela que je veux libérer les énergies, en permettant notamment d’ouvrir à notre jeunesse de nouveaux espaces économiques pour qu’ils retournent sur leur territoire.
Nos Outre-mer sont asphyxiés par ceux qui ne se contentent pas d’être présents sur un grand nombre de marchés mais qui sont aussi présents à tous les niveaux de la chaîne de ces marchés. Je veux redonner de l’oxygène aux outre-mer et surtout aux ultramarins.
Pour mettre un terme aux pratiques anticoncurrentielles, ce discours ne suffira pas et je ne crois pas en la seule bonne volonté des acteurs. Je veux remettre en première ligne de ce combat l’Autorité de la concurrence, renforcer ses moyens et la rapprocher du terrain.
Nous porterons la création d’un service d’instruction spécialisé et dédié aux Outre-mer, avec des effectifs supplémentaires dédiés.
Il faut aussi augmenter les saisines possibles de l’Autorité de la concurrence.
C’est l’un des principaux objectifs des propositions de loi Bellay et Lurel. Nous reprendrons la plupart des mesures qu’elles portent. le veux des réelles mesures anti-trust.
Je veux aussi responsabiliser les consommateurs en les sensibilisant au sujet. Cela vaut aussi pour la consommation responsable et l’importance de soutenir les produits locaux. À cet égard, les OPMR ont un rôle à jouer.
Deuxième mot: TRANSPARENCE. D’abord, trop d’entreprises ne se conforment pas à leur obligation de publication des comptes. Je suis déterminé à renforcer les sanctions et à les rendre plus dissuasives. Là encore, je m’inspirerai des mesures portées dans les propositions de loi déjà citées, qui
Qui pourrait être contre l’application de la loi et la sanction pour ceux qui la contournent, à part ceux qui ont des choses à cacher ?
Au-delà du renforcement des sanctions, je veux permettre au représentant de l’État de demander au président du tribunal de commerce, statuant en référé, d’enjoindre sous astreinte au dirigeant
d’entreprise de se conformer à ses obligations.
J’imposerai aussi la transparence sur les marges arrière. Toutes ne sont pas négatives, certaines relèvent d’un réel – j’insiste sur l’importance de ce terme accord entre le distributeur et le fournisseur. Certaines permettent même des baisses de prix pour le consommateur. Mais l’opacité nourrit la défiance, place parfois le fournisseur dans une impasse et nuit à l’efficacité des services de l’État pour contrôler ces pratiques.
Troisième mot : EXIGENCES. Suivant la philosophie du protocole martiniquais que j’évoquais tout à l’heure, je l’ai dit, je considère que les efforts doivent être partagés et que tout le monde doit participer à l’amélioration de la situation.
Du côté des collectivités, une réforme globale de l’octroi de mer devra enfin être mise sur la table, en concertation avec les exécutifs locaux et tout en respectant l’autonomie des collectivités.
Pour ce qui concerne l’État, nous avons avancé. Je l’ai dit : la promulgation de la loi de finances a permis de tenir notre engagement d’appliquer une TVA à taux 0 pour les produits de première
nécessité.
Il nous reste à imaginer un mécanisme permettant de réduire les frais d’approche sur lequel nous travaillons très activement, pour lequel j’ai saisi les inspections générales d’une demande flash afin de trouver le meilleur rouage, conforme au droit et permettant de garantir une répercussion sur les prix. Le projet de loi portera un dispositif nous permettant de mettre en œuvre, le plus
vite possible, ce mécanisme.
Du côté des distributeurs, je veux repenser largement et élargir clairement le BQP afin de contribuer à une baisse des prix.
Je donnerai, enfin, une meilleure place aux OPMR, en leur permettant, par exemple, de saisir la DGCCRF dans plusieurs domaines déterminés, et notamment en matière de pratiques anticoncurrentielles.
Quatrième mot : RENAISSANCE. Mon projet, à plus moyen terme, est celui d’une véritable transformation économique. Les économies ultramarines souffrent des stigmates de la colonisation. Pour sortir d’une économie de comptoir, il faut rompre avec la dépendance aux importations, favoriser la production locale et l’autonomie alimentaire.
J’aimerais expérimenter un dispositif renforçant la place de la production agricole locale dans les
supermarchés. Je veux aussi, et cela ne relève pas que du projet de loi, soutenir davantage les entreprises locales, les circuits courts de distribution vers les
Pour faire tout cela, il faudra briser des tabous et faire en sorte qu’ici en Martinique les subventions sur les grandes filières « banane » et « canne » entraînent derrière elle les petits producteurs.
Cela m’amène au cinquième et dernier mot : BON SENS. Pour réduire les prix, il nous faut rompre avec un modèle infantilisant, paternaliste et ubuesque.
Limitons les importations depuis l’hexagone ou l’Union européenne, très couteuses, à ce qui est strictement indispensable. Il nous faut avancer sur une plus grande adaptation des normes à la réalité des sociétés ultramarines. En ce sens, la proposition de loi de la sénatrice Audrey Bélim a porté une mesure sur les matériaux de construction.
Il faut, plus largement, que les territoires ultramarins s’intègrent mieux à leur marché régional. La récente adhésion de la Martinique à la Caricom en est un exemple. »
Des mots ? Pas que. Manuel Valls a dit, devant les Martiniquais, des choses fortes.
« Vous pouvez compter sur ma totale détermination et sur une très grande clarté de ma part.
Car il y a, bien sûr, ce qui relève d’une réalité économique : l’éloignement qui augmente les coûts, l’étroitesse des marchés qui empêchent les économies d’échelle et, parfois, la faiblesse des infrastructures. Mais il y a ce qui relève du manque de concurrence, de l’abus de position dominante. Et là, je serai intraitable.
C’est dans ce rôle de régulation que l’État est attendu. Nous devons être à la hauteur. »
Et encore : « J’irai vite et j’irai fort, car il s’agit d’une question de liberté.
J’irai vite et j’irai fort, car il s’agit d’une question d’égalité.
J’irai vite et j’irai fort, car il s’agit d’une question de fraternité.
J’irai vite et j’irai fort car je veux que les Martiniquais, et plus largement les ultramarins, cessent de se penser Français entièrement à part et se sentent enfin Français à part entière. »
A suivre.
André-Jean VIDAL
aj.vidal@karibinfo.com