L’Hebdo Antilles-Guyane* a donné la parole à Olivier Nicolas, secrétaire national aux Outre-mer du PS. Nous reprenons ici cette interview.
Une coalition de gauche, allant du NPA de M. Poutou au PS de M. Faure, en passant par LFI de M. Mélenchon, le PC de M. Roussel et Les Ecologistes de Cyrielle Chatelain, plus d’autres partis et groupes, 18 en tout, ont Fondé le Nouveau Front Populaire. Qu’est-ce que le PS a de commun avec LFI ?
Historiquement, la gauche a toujours été diverse et ses accessions au pouvoir en France ont le plus souvent été le résultat d’une alliance plus ou moins formalisée. C’était le cas du « Cartel des gauches » en 1924, du « Front Populaire » en 1936, de « l’Union de la gauche » en 1981 ou de « la Gauche plurielle » en 1997. Imaginez les divergences qui existaient dans les années 70 entre les socialistes et des communistes alors sous l’influence de Moscou. Ces différences n’ont jamais été niées. Elles ont nourri des débats et des oppositions féroces, mais cela n’a pas empêché la gauche de s’unir et de permettre l’élection de François Mitterrand. Ce que nous vivons aujourd’hui, toutes choses égales par ailleurs, n’est pas très différent. Une partie des fondateurs du Parti de gauche, puis de La France Insoumise, viennent du Parti socialiste. Nous avons d’abord une appartenance commune historique à la gauche. Et si nous avons des divergences que nous assumons sur certains sujets que je ne sous-estime pas, nous partageons aussi la volonté de mettre en oeuvre des politiques de justice et de transformation sociales dans un pays où les inégalités se creusent, où nos services publics comme l’école de la République ou l’hôpital public ne remplissent plus leur rôle correctement. Mais, surtout, nous avons une commune aversion pour l’extrême droite et une pleine conscience du danger que représenterait l’accession au pouvoir du Rassemblement national. La NUPES n’a pas fonctionné car elle était trop déséquilibrée et n’avait pas un fonctionnement suffisamment démocratique pour permettre aux différentes sensibilités de s’exprimer. Le rééquilibrage intervenu à la faveur des élections européennes permet au Nouveau Front Populaire d’être en dynamique et d’incarner ce rassemblement historique de la gauche dont la France a besoin pour refuser le triomphe de l’extrême-droite.
Le NPA, LFI se sont ou réjouis ou n’ont pas explicitement condamné l’attaque terroriste contre des civils israëliens massacrés le 7 octobre 2023. Le PS a toujours martelé une position juste, condamnant les attaques terroristes du Hamas comme la riposte israëlienne qui vise essentiellement des civils palestiniens. Comment peut-on concilier ces positions ?
Nous n’avons pas à les concilier. Ne pas condamner des attaques terroristes et ne pas les qualifier comme telles était et demeure une faute. Ce qui compte, en réalité, c’est la position que défend le Nouveau Front Populaire dans cette campagne et elle est sans ambiguïté celle, constante, des socialistes : cessez le feu à Gaza, libération de tous les otages, condamnation du terrorisme, condamnation des crimes de guerre perpétrés par le gouvernement d’extrême-droite de Netanyahou qui aura à en répondre devant la justice internationale, reconnaissance de l’Etat palestinien, préalable à la solution politique qui ne peut être qu’une solution à deux Etats.
Peut-on croire qu’en quelques heures, le temps de constater la victoire du Rassemblement national aux Européennes, on puisse rédiger un projet de société comme celui porté par le NFP ? Comment a-t-on lissé les différences ?
D’abord, nous ne partions pas d’une feuille blanche. Entre nos différentes formations, cela fait en réalité des années que nous débattons, que nous échangeons, que nous convergeons parfois et que nous divergeons aussi sur un programme de gouvernement. Ce qui se produit au soir du résultat des élections européennes et de l’annonce de la dissolution, c’est la prise de conscience enfin partagée que la seule force capable aujourd’hui de s’opposer à un basculement de la France vers l’extrême-droite, c’est la gauche rassemblée. Dans un tel moment de l’histoire, il n’est plus temps de bégayer : il faut prendre ses responsabilités. Mes camarades de la direction nationale ont pris les leurs avec les dirigeants des autres partis et ils ont produit un contrat de législature en un temps contraint qui a certainement permis d’aller à l’essentiel. La législature qui s’ouvrira n’aura qu’un temps limité jusqu’à la prochaine présidentielle, dans un peu moins de 3 ans. C’est juste le temps nécessaire pour mettre un coup d’arrêt à la folie ultra-libérale qui s’est emparée d’Emmanuel MACRON et de ses ministres et pour commencer à réparer les dégâts qui ont été commis.
Que propose le NFP pour la France ?
Il y a un accord total entre toutes les formations qui le composent sur la nécessité d’une rupture et sur les mesures qu’il faudra prendre dans les 100 jours pour que la vie des Français change. Le Macronisme aura consisté en sept ans à détricoter méthodiquement le modèle social français pour faire plaisir aux marchés financiers en menant une politique qui aura servi les intérêts des riches et surtout des super-riches. Le Nouveau Front Populaire abrogera immédiatement les réformes injustes des retraites et de l’assurance chômage et il mettra en œuvre une réforme fiscale qui va très clairement taxer davantage les plus hauts patrimoines avec leurs super-profits, leurs super-dividendes et leurs super-salaires. Rendez-vous compte : en 2023, les entreprises françaises du CAC40 ont engrangé 153 milliards d’euros de profits ! C’est très bien. Mais cette richesse créée, notamment grâce aux retombées du soutien public massif pendant la pandémie, doit contribuer beaucoup plus qu’aujourd’hui à financer nos services publics et à davantage aider les millions de Français de l’Hexagone et des Outre-mer qui ont terriblement souffert de l’inflation. La colère d’une partie de notre population ne s’apaisera que si un nouveau Gouvernement – enfin ! – donne le signal d’une inversion des priorités. Le Rassemblement national parle beaucoup, mais à chacun des votes sur ces propositions sociales au Parlement, ils ont voté contre.
Et pour les Outre-mer ?
La même ambition de justice sociale nous anime pour nos territoires. Le pouvoir d’achat et les services publics seront, là aussi, nos priorités. Emmanuel Macron, ses gouvernements successifs et ses soutiens locaux se sont assis sur les lois de régulation économique et égalité réelle outre-mer, alors même qu’elles avaient permis d’engager à partir de 2012 un travail difficile de transformation des structures profondes de nos économies. Nous les remettrons sur la table en les actualisant, notamment sur la base du remarquable travail conduit par la commission d’enquête parlementaire sur les causes de la vie chère. Quant aux services publics, outre la lutte contre les déserts médicaux qui sera une cause nationale à décliner partout dans les Outre-mer, l’action en matière d’eau et d’assainissement sera déterminée dans au moins 3 territoires : Mayotte, la Martinique et bien évidemment la Guadeloupe. Les parlementaires NFP de Guadeloupe qui seront élus continueront de plaider avec force pour la mise en place d’une opération d’intérêt national (OIN), comme l’Etat a su le faire à Marseille quand il a fallu accompagner à hauteur de 2 milliards d’euros la ville défaillante dans sa compétence construction scolaire.
Quels dossiers ultramarins seront portés et défendus par votre majorité si NFP l’emporte ?
Si l’on doit être plus spécifique encore, nous demanderons à abandonner la réforme de l’octroi de mer telle que l’envisageait l’actuel Gouvernement. Nous demanderons aussi à reprendre le travail initié autour de « l’appel de Fort-de-France » et des réflexions engagées dans plusieurs territoires pour améliorer voire refonder le lien entre la République et les Outre-mer. Sur ces questions de gouvernance et de responsabilités locales, Emmanuel Macron n’a cessé de souffler le chaud et le froid depuis 2017. Même en cas de cohabitation il sera encore en place, mais il faudra que le nouveau gouvernement et le nouveau parlement se montrent beaucoup plus ouverts que les précédents sur les aspirations exprimées depuis les territoires étant entendu qu’à ce sujet es peuples auront toujours le dernier mot.
En quoi Jordan Bardella et son parti, s’ils accèdent au pouvoir, seraient-ils dangereux pour la France ?
Le simple fait que la seule perspective que le RN arrive au pouvoir déclenche depuis plusieurs mois dans plusieurs villes, comme Paris ou Lyon, des manifestations de gugusses en chemises noires le bras droit tendu hurlant des slogans de suprémacistes blancs avec en tête d’anciens ou d’actuels proches des Le Pen devrait interpeler tout le monde. L’extrême-droite n’a jamais changé et ne changera jamais. C’est un courant de pensée qui a le fantasme de l’identité racine qui est, par nature, une identité qui exclut. D’où la préférence nationale. D’où les cris « on est chez nous » dans leurs meetings, pour faire comprendre que d’autres ne le seraient pas. D’où les multiples condamnations pour incitation à la haine raciale. Derrière des sourires télégéniques et photogéniques, ces gens-là exploitent des colères par ailleurs souvent légitimes. Ils les excitent exactement comme d’autres mouvements d’extrême-droite l’ont fait, par exemple en Italie dans et en Allemagne dans les années 20. Et on sait comment ça se termine, car jamais dans l’histoire l’extrême-droite n’a semé autre chose que la violence, la division et, pour finir, le chaos.
Les régions d’Outre-mer, les habitants des Outre-mer, nos compatriotes dans l’Hexagone seraient-ils en danger dans ce cas ? Ne va-t-on pas à l’excès en disant cela ? Nous sommes dans un Etat de droit !
De ce que je viens de vous dire, de ce que l’histoire du XXe siècle nous enseigne, il y a tout à craindre d’une libération de la parole et surtout des actes qui pourrait viser tout ce qui n’entre pas dans la vision du monde des extrémistes de droite : ceux qui ne sont pas blancs, catholiques et de culture européenne. Cela exclut précisément ce que nous sommes, nous, peuples des Outre-mer de sangs mêlés : multicolores, multiculturels et multiconfessionels.
Un élu de la Réunion a dit qu’il fallait laisser l’esclavage derrière soi, ne plus en parler. En entendant cela, quelle est votre réaction ?
Pour ma part, j’ai été indigné et je l’ai écrit. Mais je n’étais pas surpris. Historiquement, l’extrême -droite française — et pour être honnête une partie de la droite aussi — a toujours considéré que la colonisation a surtout eu des bienfaits et que la France n’a à s’excuser de rien. Pour eux, et ils le disent régulièrement, le devoir de mémoire est une posture de repentance intolérable qui met la France en faiblesse. C’est pourquoi la mémoire de l’esclavage les place dans une position insupportable car c’est là sans doute le plus grave crime auquel la France a participé dans son histoire. Voilà pourquoi en juin 2020, au Parlement européen, la minable cohorte d’eurodéputés RN, Jordan Bardella et Gilbert Collard en tête avec Maxette Pirbakas dans la remorque, ont voté contre la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité. S’il faut une preuve que ces gens-là sont une injure permanente à l’histoire qui coule dans nos veines, vous l’avez.
Comment expliquez-vous qu’Outre-mer les scores de Jordan Bardella et de sa liste soit aussi hauts aux Européennes ? Adhésion, curiosité, envie de changer ?
L’extrême-droite n’arrive jamais au pouvoir dans un pays où tout va bien. Jamais. Son fonds de commerce électoral, ce sont les crises, qu’elles soient politiques, économiques, sociales ou sociétales. Et ça tombe bien, la France est dans ces crises. Et, pire encore, la Guadeloupe est exactement dans la même situation avec des tenants et des aboutissants quelque peu différents. L’impuissance publique est le moteur du dégoût des citoyens envers la politique. L’immense majorité d’entre eux se réfugient encore dans l’abstention. D’autres pensent que voter RN est une manière de protester contre un système politique qui ne résout aucun des problèmes auxquels nous sommes confrontés depuis trop longtemps. Qu’importe le fait qu’ils ne proposent rien de sérieux, ils jouent la carte de l’empathie à 360 degrés en approuvant toutes les colères. En Guadeloupe se rajoute une particularité : une très grande majorité d’élus, singulièrement ceux qui se sont le plus compromis avec la politique d’Emmanuel Macron, ont déserté le combat et se cachent face à l’extrême-droite. J’étais sur le terrain pendant des semaines pour la campagne des élections européennes, je ne les ai jamais vus. A l’approche du vote, et malgré les pronostics d’un vote RN au plus haut, ils n’ont pas lancé le moindre appel, ni mobilisé. Ils ont laissé faire. L’extrême-droite progresse ici faute de combattants pour s’opposer à elle. Notez bien, cependant, que les seules communes où le RN a été battu sont celles où les maires socialistes ont fait campagne. CQFD.
Où les élus ont-ils pêché ?
Chaque fois qu’ils ont annoncé pour bientôt la fin des tours d’eau depuis… 2014 ; chaque fois qu’ils ont renoncé à s’exprimer haut et fort pour condamner les mauvaises décisions prises à Paris comme la réforme des retraites ; chaque fois qu’ils n’ont pas exigé du Gouvernement qu’il mette davantage de moyens humains et matériels pour lutter contre l’insécurité et les trafic d’armes et de drogues ; chaque fois qu’ils n’ont pas voulu voir qu’un pays qui voit 3 000 de ses habitants s’en aller chaque année depuis 10 ans est dans une crise profonde et que cela appelle une révolution dans la manière de traiter les problèmes ; chaque fois qu’ils ne sont pas alarmés de la chute de la participation aux élections, même les plus majeures aujourd’hui. Le « i bon kon sa », voilà ce qui conduit au pire dans un archipel qui, pourtant, regorge de talents, de potentiels et de courage. Et qui a besoin de l’espérance que peut lui apporter le Nouveau Front Populaire.
Que vous inspirent les candidatures parachutées depuis Paris de Dieudonné Mbala Mbala et Francis Lalanne ?
Je le vois comme un autre symptôme des crises qui sont à l’oeuvre chez nous. Georges Trésor parle d’un « effondrement moral » dans un récent texte remarquable qu’il faut absolument lire. Eh bien, le parachutage de ces deux énergumènes est le signe que notre situation est désormais bien visible de l’extérieur. Ils ne sont pas allés en Martinique, en Guyane ou à La Réunion. Non. Ils ont choisi la Guadeloupe parce que de leur point de vue, nous sommes une société où les nerfs sont à vif et où des plaies sont prêtes à accueillir le sel de leurs tristes idées.
Propos recueillis par André-Jean VIDAL