Politique. La Guadeloupe et son devenir en discussion au Sénat

Grand moment au Sénat de la République Française. Celui d’une longue causerie sur la Guadeloupe politique, son avenir institutionnel ou statutaire. Un colloque fondateur.

Sous la présidence d’honneur de Dominique Théophile, vice-président du Sénat, élus, universitaires se sont exprimés devant un public d’élus, d’universitaires, de curieux, d’étudiants en droit invités, ces derniers, par Teddy Bernadotte, conseiller du président Chalus.

Après la prestation du 4 novembre, dans l’amphithéâtre de l’Université des Antilles, il s’agissait de porter le débat un peu plus haut, de le décentraliser dans l’un des temples du droit positif.

Didier Destouches, universitaire de qualité, co-organisateur avec le CREDDI, Centre de Recherche en Economie et en Droit du Développement Insulaire, avait posé les bases de la discussion : « La révision du statut constitutionnel de la Guadeloupe est-elle inutile au regard de l’impact concret du régime législatif sur le fonctionnement social, économique et politique guadeloupéen ? Les politiques publiques locales peuvent-elles être meilleures dans le cadre d’une évolution institutionnelle où sont-elles déjà bénéficiaires d’un statut administratif et constitutionnel optimal ? »

Qu’était-il ressorti de ce premier débat ? Qu’une évolution institutionnelle ou statutaire passait tout d’abord par une évolution des rapports entre l’Etat et les collectivités locales.

L’apport des universitaires au débat est essentiel.

Rapports qui doivent être plus étroits et surtout plus équitables pour permettre de pousser au maximum l’application des politiques publiques pour le bénéfice des populations. L’évolution statutaire était timidement évoquée, certains intervenants n’étant pas tout à fait — ou plus tout à fait — dans la ligne novatrice, quasi révolutionnaire, de l’Appel de Fort-de-France, qui poussait les régions ultrapériphériques à changer leur destin.

A Paris, les interventions se sont succédé pour dire qu’il faut changer, que rien ne peut rester comme c’est… mais sans aller trop loin.

Là encore, on peut regretter qu’aux élus et universitaires (qui ne produisent rien, diraient les mauvaises langues), on n’ait pas associé le monde économique, sans nul doute essentiel pour la suite, quand des débats la Guadeloupe passera au concret, celui du quotidien des foules qui auront choisi, si les élus les en convainquent, de prendre (une partie) de leur destin en main.

« S’épanouir, au sein d’un territoire riche de ses potentialités », pour reprendre les mots d’Elie Califer, c’est passer des mots aux actes. Les élus sont-ils prêts ? Ne repoussent-ils pas vers leurs descendants le choix d’un nouveau destin, la mission de changer la Guadeloupe, de sauter un pas, voire deux, n’est-il pas au-dessus de leurs forces ?

Les sénateurs Dominique Théophile et Solanges Nadille attentifs à des débats fondateurs.

Dominique Théophile a posé les bornes du débat : « A nous de quitter le maquis des petits procès pour souder ce peuple à l’Histoire déchirée par la force et le sang. Ce que nous voulons ce n’est pas plus d’État mais mieux d’État ! Ce à quoi nous aspirons, ce n’est pas le renforcement de l’assimilation, ni davantage la recentralisation de compétences déjà transférées. Ce que nous demandons, c’est le renforcement de la responsabilité du territoire en coproduction avec l’État. A nous, donc, de démontrer qu’il n’est pas antinomique de moderniser nos institutions, en tournant la page de l’enchevêtrement des compétences, tout en réaffirmant la certitude de notre ancrage dans une République davantage ouverte à la diversité de ses composantes. A nous surtout de comprendre que rien d’efficace ne sera possible sans le volontarisme de l’ensemble de la population. »

« Le plus important à ce jour, est sans doute celui d’œuvrer quotidiennement à l’épanouissement de nos populations respectives. Organiser la mise en valeur de nos ressources endogènes, au premier rang desquels notre ressource la plus précieuse, notre jeunesse ; proposer des solutions pérennes pour mieux concilier notre croissance économique et nos activités humaines, sont les démarches que nous poursuivons en cohérence avec la préservation de notre patrimoine et la logique de développement durable », exposait il y a quelque temps, Ary Chalus, président de Région pour lequel le changement de statut ne semble pas (plus) être urgent. Si tant est qu’il y ait pensé un jour.

La suite de son propos trace la ligne à suivre : « Nos territoires ont les outils pour sculpter leur destinée et les artisans pour les manier efficacement. Nous devons pouvoir choisir notre place et prendre toute notre part dans cette France compétitive et solidaire, riche de sa diversité. » Fermez le ban !

Guy Losbar, président du Conseil départemental, est plus volontaire dans sa démarche : « Pour répondre aux attentes de notre population, construire un territoire plus ambitieux, plus juste et plus solidaire, nous devons disposer des leviers de décision adaptés à nos réalités. Ce pré-requis dans la prise et la capacité de décision appelle un renforcement des conditions d’exercice de la responsabilité locale et, inéluctablement, un cadre institutionnel et statutaire mieux façonné dans l’ensemble républicain. »

Il prône dans un écrit publié dans le dossier de présentation des journées du 4 et du 18 novembre, celles du Colloque, une collectivité unique. Exit le Département et la Région qui se retrouveraient avec leurs compétences associées, rationalisées dans l’application des politiques publiques et « face » à l’Etat et ses satellites décentralisés (préfet, administrations, etc.) pour essayer un jour de regarder dans la même direction.

Que dit-il ? « La création d’une collectivité unique porteuse de simplification des procédures administratives, le renforcement et l’harmonisation des compétences dévolues à la responsabilité locale, la fusion des articles 73 et 74 de la Constitution, de même que notre rapport à l’Europe, sont autant de sujets actuellement en débat. »

On voit qu’il y a une vision tout à fait différente entre les deux présidents de ce que l’on appelle improprement « les collectivités majeures » — c’est faire injure aux autres collectivités que de penser qu’elles ne sont pas majeures… et responsables —, et qu’on devrait nommer « collectivités principales. »

Pour revenir aux débats au Sénat, malheureusement restransmis vers la Guadeloupe et les Outre-mer sans le son à plusieurs reprises, ils ont été riches, certes, mais parfois redondants.

Paroles fortes, formules retentissantes parfois — la sénatrice Solanges Nadille —, mais en filigrane, une certaine timidité à dire clairement les choses. Nos élus sont pudiques quand ils savent que proposer un changement de statut aux Guadeloupéens leur a valu, il y a vingt ans, une déconvenue cinglante.

Et sans doute réfléchissent-ils, l’émotion passée, que les hauts cris dans la rue de ceux qui ne votent pas ne leur donneront pas une majorité de volontaires au moment de voter dans les urnes un changement de statut.

Il est vrai que le débat il y a vingt ans était largement biaisé par les manœuvres conjointes de Lucette Michaux-Chevry et Victorin Lurel, chacun dans son camp jouant les boute-feu… pour faire échouer la consultation. On a vite fait de faire peur quand les esprits des populations ne sont pas apaisés par les actes quotidiens des élus sensés les représenter…

Au Sénat donc se sont succédé des intervenants souvent brillants, inspirés.

Les thèmes des interventions ont permis de faire le tour de la question. Qu’on en juge.

Alain Maurin, professeur d’économie et directeur du C.R.E.D.D.I a parlé de « La démocratie économique en Guadeloupe : mythe ou réalité ».

Sébastien Mathouraparsad, maître de conférences HDR d’économie à l’université des Antilles a traité d’« Institutions, acteurs et développement soutenable en pays insulaire français »

Cyrielle Cuirassier, doctorante en sciences économiques au CREDDI s’est questionnés sur « Le lobbying européen des régions ultra-périphériques »

Fred Deshayes, maître de conférences de droit public à l’université des Antilles s’est livré à une longue démonstration ayant pour thème « Réthorique politique et pragmatisme juridique dans le débat institutionnel »

Didier Destouches, maître de conférences d’histoire du droit à l’Université des Antilles, a passionné son auditoire avec « Le principe constitutionnel de la différentiation territoriale : Histoire et perspectives pour la Guadeloupe »

Des interventions particulièrement remarquées.

Daniel Dumirier, chargé d’enseignement à l’université des Antilles et directeur de cabinet du président du conseil départemental : « L’opinion publique guadeloupéenne et la question institutionnelle »

S’il fallait en parler nul mieux que cet observateur aiguisé de la vie politique locale pouvait le faire. 25 ans de direction de cabinet sous plusieurs présidents, direction de toutes les campagnes régionales, départementales, législatives, sénatoriales depuis 2003… acteur et observateur du monde politique.

Comment appréhender les électeurs guadeloupéens passionnés de politique mais méfiants envers le personnel politique ? Toute la question est là. Des Guadeloupéens ancrés dans leurs spécificités, qui descendent dans la rue pour protester mais remontent vite chez eux quand on leur dit « autonomie », voyant paraître le mufle inquiétant de « lendépandans. »

Pierre-Yves Chicot, professeur de droit public à l’université des Antilles a traité un sujet ardu, celui de « La participation du pouvoir local à l’adaptation des normes nationales ». Et pourtant, sujet essentiel.  

Saïdou Diop, doctorant contractuel à l’institut Louis Favoreu (UMR DICE 7318), Aix-Marseille université, a clos les débats avec « L’hypothèse du changement de statut constitutionnel de la Guadeloupe ? Sur l’autonomie normative des collectivités d’outre-mer ».

On attendra avec impatience la publication des actes du colloque, sans doute d’ici juin 2024.

André-Jean VIDAL

Aj.vidal@karibinfo.com

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