Dominique Théophile, vice-président du Sénat, sénateur de la Guadeloupe, a rédigé une proposition de loi sur la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat et l’indemnisation des victimes du chlordécone. Elle sera présentée au Sénat le 9 avril 2025. Entretien.
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Votre proposition de loi est présentée au parlement le 9 avril 2025. Qu’en attendez-vous ? Les victimes sont indemnisées, non ?
Jusqu’à maintenant, seuls les travailleurs exposés au chlordécone et qui ont développé un cancer de la prostate peuvent, sous certaines conditions, obtenir une indemnisation du fonds d’indemnisation des victimes de pesticides.
Ma proposition de loi va plus loin puisqu’elle permet d’envisager une indemnisation de la totalité des victimes du chlordécone, qu’il s’agisse ou non des travailleurs des bananes, dès lors qu’elles ont résidé au moins 5 ans aux Antilles entre 1972 et 1992, c’est-à-dire pendant la période d’utilisation de ce pesticide.
Les personnes malades du fait de ce pesticide pourront être indemnisées, mais également les personnes qui souffrent d’un préjudice d’anxiété lié à l’idée de développer une pathologie liée à leur exposition au chlordécone.
L’Etat est responsable mais les élus aussi qui ont fait du lobbying pour flatter les bananiers ? Certains élus d’alors sont encore vivants… Sont-ils indemnes de tout reproche ?
Ma proposition de loi se place du côté des victimes du chlordécone : elle vise à leur faire obtenir une juste indemnisation des préjudices immenses causés par leur exposition à ce pesticide mutagène, reprotoxique et cancérigène.
Elle vise également à obtenir, pour la première fois, la reconnaissance officielle de la responsabilité de l’Etat dans ce dossier, qui a autorisé, pendant plusieurs décennies l’utilisation de cette molécule qu’il savait toxique.
Ces autorisations ont été accordées dans un contexte particulier et il est évident que les producteurs de bananes et certains élus ne sont pas exempts de tout reproche.
Les producteurs de bananes qui ont utilisé ce produit alors qu’ils savaient bien qu’il était nocif et que leurs ouvriers allaient en pâtir ? Vous les exemptez de toute responsabilité ?
L’utilisation du chlordécone est intervenu dans un contexte particulier. Les producteurs de bananes devaient en effet connaître, dans une certaine mesure, la dangerosité de ce produit.
Néanmoins, c’est bien l’Etat qui a décidé d’autoriser l’utilisation du chlordécone, alors même qu’il aurait pu, connaissant les risques de ce pesticide dès la fin des années 1960, décidé de l’interdire définitivement en 1972.
Il convient donc de se tourner vers la personne qui avait, à cette époque, le pouvoir d’agir pour interdire le chlordécone et qui ne l’a pas fait : l’Etat.
Je le rappelle, l’objectif est de permettre aux victimes d’obtenir une indemnisation, pas de les faire patienter encore des années.
Pensez-vous qu’après que tous les procès aient abouti à un non-lieu vous puissiez obtenir raison ?
Le procès pénal a en effet abouti à un non-lieu d’une part parce que l’action était prescrite, et d’autre part parce que les plaignants voulaient engager la responsabilité de l’Etat devant le juge pénal – ce qui est juridiquement impossible, l’Etat n’étant pas responsable pénalement.
Quand on lit l’ordonnance de non-lieu qui a été rendue, on se rend compte que les juges chargés de l’instruction de cette affaire soulignent très clairement que la responsabilité de l’Etat pourrait être engagée devant le juge administratif, compétent en la matière.
D’ailleurs, dans un jugement rendu par le Tribunal administratif de Paris le 24 juin 2022, le juge administratif reconnaît que l’Etat a commis des carences fautives. Malheureusement, aucune indemnisation n’est attribuée aux requérants car le lien de causalité entre exposition au chlordécone et le préjudice d’anxiété invoqué n’avait pas été correctement démontré.
Ma proposition de loi s’appuie donc sur l’existant : la responsabilité de l’Etat a déjà été reconnue par le juge administratif. Il ne reste donc qu’à définir les bons critères permettant aux victimes d’obtenir une indemnisation devant le comité d’indemnisation des victimes du chlordécone que je propose de créer.
Toutes ces raisons me conduisent à penser que cette proposition de loi peut enfin ouvrir la voie à une indemnisation juste et entière.
Afin de financer ces indemnisations, l’industrie des produits phytosanitaires sera mise à contribution via la création d’une taxe supplémentaire sur leurs bénéfices, selon le principe du pollueur-payeur.
André-Jean VIDAL
aj.vidal@karibinfo.com