Politique. Il faut 2,3 milliards d’euros pour rétablir les réseaux d’eau Outre-mer

Jusqu’à présent, quoique ce ne soit pas de sa compétence, pour pallier les défaillances des collectivités locales, l’Etat a versé 889 millions d’euros. Le rapport de la Cour des Comptes est sans concession : les élus doivent reprendre la main en assurant leur responsabilité dans cette crise de l’eau en dégageant des recettes, donc en faisant payer les usagers de l’eau qui restent rétifs pour diverses raisons à régler leurs factures.

Le droit à des services fiables d’assainissement et d’approvisionnement en eau potable est un enjeu vital pour l’ensemble des populations, qui se pose avec une acuité particulière dans les outre-mer. La multiplication de difficultés dans les années 2010 se caractérisait par un effondrement de la qualité de certains services. Cela a entraîné des coupures d’eau plus d’un jour sur deux, dans un contexte déjà exposé aux catastrophes climatiques et à des crises sociales récurrentes. Les autorités de l’État ont lancé, à partir de 2016, un plan « eau Dom » (Pedom), destiné à soutenir particulièrement les cinq régions et départements d’outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte, La Réunion), ainsi que la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin.

Menée par la Cour et les chambres régionales des comptes concernées, l’enquête sur la mise en œuvre de ce plan, huit années après son lancement, est l’occasion de faire un point d’étape sur les modalités d’intervention de l’État ainsi que sur la situation de la gestion de ce service public de première nécessité dans les six territoires concernés. Dans le contexte des épisodes dramatiques vécus en décembre 2024 à Mayotte et à La Réunion en février 2025, les juridictions forment le vœu que les moyens déployés ces dernières années dans ces territoires, auxquels est consacrée une part notable du travail présenté ici, aient pu contribuer à la capacité de réponse et de reconstruction qui se sont mis en œuvre dès les jours suivant ces événements.

Un engagement renforcé de l’État
grâce à une dynamique intégrant tous les acteurs

Le Pedom soutient les collectivités en difficulté dans la gestion de l’eau et de l’assainissement en mobilisant l’État, les collectivités locales et les organismes de financement dans une démarche coordonnée. Il repose sur des « contrats de progrès » pluriannuels conditionnant les financements au respect d’engagements. Son pilotage national, permettant de mutualiser et partager les pratiques, nécessiterait d’être renforcé pour optimiser son efficacité, sans empiéter sur les compétences locales. Le financement repose sur des crédits budgétaires et des prêts publics.

Le coût consolidé des investissements nécessaires dans les six territoires est estimé à 2,3 Md€. L’État et ses opérateurs ont mobilisé depuis 2016, respectivement 889 M€ de subventions et de prêts, répartis inégalement selon les territoires. Le plan de relance a permis une progression grâce à des financements exceptionnels, et le fonds de solidarité interbassins a été porté à 35 M€ en 2024, avec une augmentation prévue à 55 M€ en 2025. Les subventions annuelles de l’État ont triplé depuis 2016, atteignant 45 M€ en 2024.

La gouvernance locale, marquée
par des conflits et des crises récurrentes,
est partout défaillante

L’instauration du Pedom à l’échelle territoriale rencontre plusieurs écueils. Le premier est lié à sa méthodologie, basée sur les outils de suivi des contrats de progrès locaux. Cette démarche partenariale intégrée repose sur le conditionnement des financements de l’État et de ses opérateurs au respect d’engagements précis. Cependant, l’exigence de nombreux indicateurs techniques très précis a limité son efficacité, ces derniers étant peu renseignés, sans que la conditionnalité soit réellement appliquée.

Pour y remédier, il est crucial de rendre cette conditionnalité plus stratégique et objectivable, avec des feuilles de route simplifiées. Le second écueil concerne la gouvernance locale, marquée par des conflits et des crises récurrentes, au fil des réorganisations des compétences et des institutions gestionnaires. Face à des gouvernances défaillantes et des organisations locales diverses, les juridictions financières recommandent notamment de renforcer le contrôle des entités délégataires de services publics. Elles recommandent également une bien plus grande implication des usagers et citoyens dans le suivi et la gouvernance de ces services essentiels.

La difficulté de l’État dans son soutien et son accompagnement :
il faut que les collectivités reprennent la main

Le Pedom, lancé et piloté par l’État, soulève la question de son rôle vis-à-vis des collectivités locales responsables des services d’eau potable et d’assainissement. Ces collectivités, autrefois soutenues par l’État, ont souffert du manque de compétences techniques et de financement, entraînant une période de sous-investissement depuis les années 1990. Lors du lancement du Pedom, l’insuffisance d’ingénierie locale a été constatée, dont le renforcement constitue désormais une priorité majeure. L’enquête des juridictions financières constate en effet que l’État ne dispose plus de l’ingénierie qu’il mettait auparavant à disposition ; elle analyse les solutions alternatives mises en œuvre, comme une assistance technique coûteuse et mal positionnée. Un retour d’expérience sur l’ensemble de ces solutions alternatives serait nécessaire pour améliorer l’efficience de ces orientations.

La place de l’État dans la gouvernance des services d’eau et d’assainissement suscite des interrogations, notamment face aux crises dans certains territoires, qui conduisent l’État à reprendre ponctuellement la main. La logique du Pedom mise à moyen terme sur le rétablissement de la pleine responsabilité des collectivités compétentes, dans le cadre d’un schéma contractuel respectueux de la place de chacun. Le maintien d’un soutien fort à l’ingénierie technique des collectivités concernées apparaît pertinent.

Retrouver l’équilibre financier
en faisant payer les usagers rétifs

L’analyse de la mise en œuvre du Pedom met en lumière les spécificités des Outre-mer par rapport à la France hexagonale concernant les politiques de l’eau et de l’assainissement. La gouvernance, marquée par la forte place de l’État, s’écarte des standards nationaux. Des expérimentations locales, innovations territoriales, ou dérogations ponctuelles peuvent constituer des réponses adaptées à ces réalités. Les juridictions financières considèrent le dispositif de coordination du Pedom comme un cadre pertinent pour réguler ces démarches.

Le financement des services ultramarins doit également être adapté au contexte : les spécificités géophysiques, climatiques et urbanistiques génèrent des charges considérables, et les coûts pèsent davantage sur des ménages déjà fragiles. Le financement du Pedom apparaît nécessaire pour réaliser les investissements ; mais les juridictions financières estiment que les collectivités locales doivent garantir leur part d’autofinancement et assurer la pérennité des services. Une mobilisation accrue du Pedom est préconisée pour appuyer les collectivités sur la tarification et le recouvrement, afin de rétablir l’équilibre financier dans ces territoires.

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