Politique. Faire-pays : 200 personnalités s’engagent

Le Monde a publié un texte de Patrick Chamoiseau, signé par 200 personnalités de Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion et d’ailleurs. Il s’agit de « soutenir les processus de responsabilisation actuellement en cours dans nos pays. »

Processus lancé par des élus des départements et régions d’Outre-mer en faveur de nouvelles relations avec l’Etat français, notamment au travers de l’Appel de Fort-de-France.

FAIRE-PAYS

  • Déclaration
    « NOUS,
     
    De la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de la Réunion ; acteurs d’associations
    ou d’organisations non étatiques ; membres de la société civile ; professionnels de l’Éducation,
    de la Santé, de la Recherche, de l’Information, de la Prospective, de la Coopération internationale ; pratiquants du travail social, des Arts, des Lettres, du Numérique, de la Culture…,

CONSIDÉRONS,
 
Que le monde d’aujourd’hui est une alchimie de civilisations, de cultures et d’individus ; qu’il résulte de la Traite des africains, des esclavages du nouveau monde, du système des plantations, des grandes guerres européennes et de leurs conséquences, du colonialisme en ses méfaits et de son extension capitaliste planétaire ;
Que de cette alchimie ont surgi des peuples-nations qui sont demeurés indéchiffrables aux clairvoyances des décolonisations ; que ces peuples nouveaux se sont vus embarqués dans des fictions territoriales, identitaires, historiques et culturelles qui n’étaient pas les leurs ; que ces peuples sont demeurés hors-d’atteinte, souvent de leur propre conscience, toujours de la conscience de ceux qui les régentent encore ;
Que les insuffisances des décolonisations ont favorisé des États-nations souverains, antagonistes, compétitifs, dans un dogme de libéralisme économique où la liberté ne concerne que les marchandises, les capitaux et les lois du profit, cela au détriment de l’humain, du vivant, de la planète en son entier ;
Que ce monde n’est pas le nôtre ;
Que, malgré tout,
des échanges ont pu se faire, des contacts survenir, des individuations tisser des liens d’alliances et d’éthique enchantée, qui font qu’un monde d’interdépendances (épuré de toute domination, offert aux rencontres véritables) est désormais à la portée de nos ferveurs, et qu’il convient, dans une jouvence de nos imaginaires, de le nommer, le désirer et d’agir vers lui ;
Que cet autre monde est bien-commun de tous.

DANS CETTE PERSPECTIVE, NOUS DÉCLARONS
Que dans nos terres vivent des peuples-nations ;
Que nous les voyons comme des entités géographiques, culturelles, biologiques, sociales, identitaires, symboliques, créatives…
disposant chacune d’un imaginaire irréductible à aucun autre ;
Que ces entités, précieuses pour tous, ont droit, dans l’intérêt du Commun souhaité, à l’exercice de toutes leurs potentialités, à la pleine aisance dans leurs propres devenirs ;

Qu’ils se doivent d’être reconnus en tant que tels,
accompagnés en tant que tels dans la résolution de leurs terribles histoires ;
et, qu’ils doivent pouvoir exercer, même en l’absence d’expression étatique, l’esprit de responsabilité qu’exige une présence digne et créative, en face de leurs propres défis et des défis de cette époque ;

Que nos peuples ne sont situés dans aucune périphérie, mais qu’ils se tiennent tous en position plénière, dressés au coeur de leur vision du monde,
dans le rhizome des solidarités,
des alliances et des actions futures que cette vision leur permettra ;
qu’à ce titre, les termes « outremer », « métropole », « zones périphériques ou ultrapériphériques » nous sont d’ores et déjà irrecevables, et offusquants;

Que les démocraties modernes, les Républiques saines, doivent s’inscrire dans un monde d’interdépendances respectueux du devenir imprévisible des différences et des diversités ;
qu’elles doivent se sentir responsables de leurs rencontres et de la dignité de leurs aménagements ;
Que ces démocraties et Républiques doivent s’accorder à leurs évidences transculturelles intimes et s’unir sans trembler aux richesses relationnelles que leurs histoires leur ont offertes ; qu’aucune d’entre elles ne saurait donc, décemment, se déclarer « une », ou se penser « indivisible » ;

Que les peuples-nations, encore dépourvu d’expression étatique, ne sauraient être maintenus dans des dispositifs qui limitent les capacités de sa présence au monde ; et que toutes dispositions
symbolique, culturelle, sociale, économique et juridique doivent être prises en vue d’une refondation équitable de leur rapport à toutes puissances décisionnelles ;et qu’à ce titre, ils ont tous vocation immédiate à faire-Pays dans le concert de ces présences diverses qui fondent l’intelligence du monde ;

DANS CETTE PERSPECTIVE, NOUS DÉCLARONS ENCORE
Que les solidarités nouées par les ombres et lumières de nos histoires partagées, devront être assainies et, par là-même, solidement renforcées ;
Que dans tous les dispositifs qui régissent nos rapports à des puissances décisionnelles,
soit reconnue notre responsabilité directe
sur les choix, les décisions, les mises-en-oeuvre
qui nous concernent au quotidien et qui concernent nos devenirs ;

DÈS LORS, NOUS APPELONS LES GENS DE NOS PAYS 

À créer dans leur famille, leur quartier, leur commune, leur région, des espaces d’échanges et de discussions autour de cette notion de responsabilisation ; à penser, à agir, à déclencher ainsi dans notre vie quotidienne de vrais « lieux politiques » où pourront naître des forces novatrices, des capabilités fortes et d’actives espérances ;

ENFIN, NOUS ENGAGEONS

les femmes, les hommes et toutes leurs occurrences ; toutes les organisations éclairées ; tous les créateurs, poètes, danseurs, chanteurs, conteurs et musiciens ;
gens de lettres et philosophes ;
personnes de la Santé, des sciences et des techniques ;
responsables administratifs, universitaires et politiques ;
gens de conscience et humanistes ; fervents de la Beauté;
amis très simples d’un mieux-humain dans l’horizontale plénitude du vivant…

À SOUTENIR LES PROCESSUS DE RESPONSABILISATION ACTUELLEMENT EN COURS DANS NOS PAYS
Pour que la planète de notre vivre-ensemble ne s’accommode d’aucune minoration, d’aucun peuple oublié, d’aucune indignité ;
Qu’elle puisse bénéficier ainsi de la participation de toutes et de tous, de l’intelligence de toutes et de tous,

La déclaration et les premières signatures :

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