Politique. « Continuer sur cette voie d’austérité budgétaire met en danger notre tissu social et compromet l’avenir de nos territoires. »

Christian Baptiste, député de la Guadeloupe, a été réélu rapporteur spécial du budget des Outre-mer. Entretien.

Quel est le rôle du rapporteur ?

Le rôle de rapporteur spécial du budget des outre-mer est essentiel pour assurer une gestion rigoureuse et équitable des finances publiques destinées à nos territoires ultramarins.

En application de l’article 57 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), la mission du rapporteur spécial se déploie tout au long de l’année avec plusieurs objectifs primordiaux.

Tout d’abord, il est chargé d’un contrôle assidu et continu de l’exécution des lois de finances. Cette tâche implique une veille attentive eu égard à l’utilisation des crédits votés par le Parlement, assurant ainsi que les dépenses et les recettes respectent scrupuleusement les prévisions budgétaires. Ce suivi rigoureux est notamment essentiel pour garantir la transparence et l’efficacité de la gestion des fonds publics.

En outre, sa mission comprend l’évaluation des questions financières spécifiques aux outre-mer. Dans ce cadre, il lui revient d’analyser en profondeur les politiques publiques et leur impact sur nos territoires, en veillant particulièrement à ce que les spécificités et les besoins des outre-mer soient pris en compte. Cette évaluation lui permet, lorsque cela s’avère nécessaire, de formuler des recommandations pertinentes visant à améliorer les dispositifs existants et/ou à promouvoir des initiatives bénéfiques pour nos collectivités.

Le rôle du rapporteur spécial du budget des outre-mer s’étend également à une mission générale de contrôle. Cela signifie que dans le cadre de cette fonction, le rapporteur doit s’assurer non seulement de la régularité des dépenses, mais aussi de leur conformité avec les objectifs fixés par les lois de finances. Son travail de vérification inclut donc une analyse minutieuse afin de détecter toute irrégularité et proposer des solutions correctives lorsque nécessaire.

La préparation d’un rapport annuel constitue une autre dimension essentielle de ses fonctions. Ce rapport, élaboré à partir de ses observations et de ses analyses, est présenté à la commission des finances. Il contient des recommandations et des propositions visant à optimiser l’utilisation des ressources publiques et à renforcer la gouvernance financière dans les outre-mer.

Pour mener à bien ces responsabilités, une collaboration étroite avec les différents acteurs locaux est indispensable. Il travaille en concertation avec les ministères, les collectivités territoriales, les services déconcentrés de l’État, ainsi que les organismes publics et privés, afin de recueillir des informations complètes et précises.

Rapporteur spécial du budget des Outre-mer,
mon rôle sera de veiller à une gestion exemplaire
des finances publiques

En somme, en tant que rapporteur spécial du budget des Outre-mer, mon rôle sera de veiller à une gestion exemplaire des finances publiques, en tenant compte des spécificités et des défis de nos territoires. Mon objectif ultime sera de contribuer à une meilleure gouvernance, à une transparence accrue et à une utilisation optimale des ressources publiques au service de nos concitoyens ultramarins.

Le budget des Outre-mer est-il satisfaisant ?

En tant que rapporteur spécial du budget des Outre-mer, il est de mon devoir de souligner les insuffisances notables du budget 2024, qui s’élève à 2,9 milliards d’euros.

Malgré quelques augmentations, ce budget ne répond pas de manière adéquate aux besoins spécifiques et urgents de nos territoires ultramarins.

Le rejet de plusieurs amendements essentiels met en évidence les lacunes du budget. Des propositions visant à baisser les tarifs des billets d’avion, à rénover les infrastructures d’eau potable, et à soutenir les entreprises endettées ont été ignorées. Ces mesures étaient pourtant cruciales pour améliorer la qualité de vie et soutenir l’économie locale des Outre-mer.

Les augmentations budgétaires accordées restent très en deçà des besoins réels. Par exemple, les fonds alloués au Fonds d’investissement exceptionnel, bien que nécessaires, sont largement insuffisants pour couvrir les défis colossaux auxquels nos territoires font face.

Par ailleurs, l’ambition du gouvernement de réaliser une économie de 10 milliards d’euros pour l’année 2024 contraste fortement avec les nécessités des Outre-mer. Cette économie se fait au détriment des investissements vitaux pour nos territoires.

Depuis 2017, malgré un effort budgétaire global, les besoins spécifiques des Outre-mer demeurent insatisfaits.

Les conséquences des insuffisances budgétaires sont graves. Les problèmes d’accès à l’eau potable, les infrastructures de transport et le soutien aux entreprises sont des enjeux majeurs qui ne peuvent être résolus sans un financement adéquat. Cette situation entrave le développement économique et social de nos territoires.

Le budget des Outre-mer pour 2024, malgré quelques améliorations, reste largement insuffisant. Les rejets d’amendements cruciaux et les augmentations budgétaires limitées démontrent un manque de considération pour les défis uniques de nos territoires. Il est impératif que le gouvernement revoie sa politique budgétaire pour accorder une attention et des ressources proportionnées aux besoins des Outre-mer. En tant que rapporteur spécial, je continuerai de plaider pour un budget qui reflète réellement les besoins et les aspirations de nos populations ultramarines.

Depuis 2017, malgré un effort budgétaire global,
les besoins spécifiques des Outre-mer demeurent insatisfaits.

Quels chapitres donnent satisfaction ? Quels secteurs sont maltraités ou indigents ?

En toute honnêteté, lorsque nous avons connaissance des préoccupations des habitants de nos territoires, ou encore des défis sociaux, économiques et environnementaux auxquels sont confrontés nos collectivités, et que nous mettons cela en perspective avec le budget alloué aux outre-mer pour l’année 2024, il est difficile de partager un quelconque sentiment de « satisfaction ».

Ce serait nié les réalités de nos territoires qui sont exposés à des problématiques prégnantes telles que la cherté de la vie, l’eau, le logement, la continuité territoriale et bien d’autres sujets.

En effet, en dépit des crédits alloués aux diverses actions des programmes n°123 « conditions de vie en outre-mer » et n°138 « emploi outre-mer », force est de constater que la situation ne s’améliore pas sur nos territoires, pire le ressenti est exactement l’inverse :

Nos habitants ont de plus en plus de mal à répondre leurs besoins les plus élémentaires, ont de plus en plus de mal à accéder aux produits de premières nécessités, à se loger, à payer leurs factures d’électricité, d’eau etc. Telle est la réalité de nos territoires.

Par conséquent, s’agissant des « chapitres qui donnent satisfaction », je serai davantage mesuré et dirai plutôt que certaines actions de ces programmes (ex : logement ou encore continuité territoriale) font plutôt l’objet de rattrapage, ce qui marque certes un effort du gouvernement mais qui au demeurant reste insuffisant eu égard à l’importance des problématiques rencontrées sur nos départements et régions d’outre-mer.

L’absence de stratégie claire et de programmation
pluriannuelle empêche toute amélioration significative.

L’eau, la formation, l’emploi sont essentiels. Les fonds alloués donnent-ils l’espoir de progrès ?

L’eau, élément essentiel à la vie, est souvent considérée comme un droit fondamental. Pourtant, cette vérité universelle ne trouve pas son écho dans nos territoires ultramarins. Malgré la reconnaissance par l’ONU de l’accès à l’eau comme un droit humain en 2010, ce droit reste malheureusement un mirage pour de nombreux citoyens des outre-mer.

La situation de l’eau dans nos territoires est préoccupante. En Guadeloupe, bien que des efforts aient été déployés pour soutenir le Syndicat Mixte pour la Gestion de l’Eau et l’Assainissement (SMGEAG), les résultats se font attendre. Nos infrastructures vieillissantes et les pertes d’eau – atteignant parfois 80 % – témoignent du retard en matière de gestion et de maintenance des réseaux.

À Mayotte, la crise de l’eau est tout aussi sévère. La déforestation et les sécheresses fréquentes imposent des restrictions drastiques, et la distribution de bouteilles d’eau par l’État ne constitue qu’une solution temporaire, incapable de répondre aux défis structurels de l’accès à l’eau potable.

En Guyane et à Mayotte, des milliers de personnes demeurent privées de services de base en eau potable, comme l’a souligné la Cour des comptes dans son rapport du 17 juillet 2023. Cette situation, inacceptable dans une nation développée, révèle une inégalité profonde entre la France hexagonale et les territoires ultramarins.

La qualité de l’eau est également une préoccupation majeure. À La Réunion, près de la moitié des abonnés reçoivent une eau dont la sécurité sanitaire n’est pas garantie, certains réseaux étant même contaminés par des parasites pathogènes. Ainsi, en 2024, des citoyens français doivent encore faire bouillir leur eau avant de la consommer – une réalité inacceptable et indigne de notre époque.

Ces situations démontrent que, malgré les crédits alloués, l’absence de stratégie claire et de programmation pluriannuelle empêche toute amélioration significative. Les problèmes de gestion, de maintenance et de qualité de l’eau persistent, révélant une négligence inadmissible de la part de l’État envers les territoires ultramarins.

Pour que les crédits deviennent véritablement synonymes d’espoir et de progrès, une approche globale et cohérente est impérative. Il faut instaurer une véritable politique de gestion de l’eau, avec des objectifs précis, des moyens adéquats et un suivi rigoureux. Nos concitoyens des outre-mer méritent un accès à une eau potable de qualité et en quantité suffisante, au même titre que tout autre citoyen français.

S’agissant de l’emploi et de la formation, des fonds sont certes alloués, mais je doute fort qu’ils soient affectés dans des dispositifs suffisamment efficaces afin d’atteindre les résultats escomptés à cet effet.

Mais, j’imagine que nous aurons l’occasion d’approfondir ce sujet à l’occasion d’une prochaine interview.

Les collectivités locales voient leurs dotations diminuer. Est-ce ponctuel ou est-ce une constante. Comment ces collectivités peuvent-elles maintenir leurs actions avec moins de moyens d’État ?

La diminution des dotations aux collectivités locales n’est pas un événement isolé, mais bien une tendance persistante, malgré une tendance haussière sur les deux dernières années comparées aux 13 précédentes.

Le montant de la Dotation Globale de Fonctionnement (DGF) pour 2024 a été fixé à une augmentation de seulement 1,9%, soit 320 millions d’euros de plus, bien en deçà des prévisions d’inflation à venir (2,4 à 2,6%).

En maintenant la DGF autour de 27 milliards d’euros, le Gouvernement impose une rigueur budgétaire insoutenable aux collectivités.

Pour la majorité des communes, cette « augmentation » masque une réalité plus dure : 82% d’entre elles voient leur DGF stagnée ou en légère hausse, mais sans tenir compte de l’inflation, cela équivaut bel et bien à une perte de pouvoir d’achat.

Pire encore, 18% des communes subissent une baisse, soit deux fois plus que l’année dernière.

Cette situation met en péril la capacité des collectivités à maintenir leurs services et à relever les défis cruciaux, notamment la transition écologique.

Les partenariats public-privé et les fonds européens
peuvent constituer des alternatives intéressantes afin de compenser
la réduction des dotations

Comment faire face avec des moyens en berne ?  

Pour avoir été maire de la commune de Saint-Anne durant plusieurs années, je peux vous assurer qu’il s’agit d’un combat de tous les instants.

Mais, sur la base de mon expérience, si j’avais quelques recommandations à préconiser je répondrais que les partenariats public-privé et les fonds européens peuvent constituer des alternatives intéressantes afin de compenser la réduction des dotations précitées.

Quoiqu’il en soit, en dépit du fait qu’il s’agisse d’alternatives contre-nature, je dois le dire : le Gouvernement doit cesser de se cacher derrière cette culture du tableur excel qui commande ces décisions et reconnaître l’urgence de la situation sur nos territoires.

En ce sens, Il est impératif pour lui d’ajuster les dotations à l’inflation et aux besoins réels des collectivités afin de garantir la pérennité et la qualité des services publics locaux.

Continuer sur cette voie d’austérité budgétaire met en danger notre tissu social et compromet l’avenir de nos territoires.

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