Le député de la Guadeloupe Elie Califer pourrait profiter de la niche parlementaire du groupe Socialistes et apparentés du 29 février pour déposer une proposition de loi pour, d’une part, faire reconnaître la responsabilité de l’État dans l’empoisonnement des populations et des sols guadeloupéens et martiniquais par le chlordécone, et d’autre part, prévoir la dépollution des îles et l’indemnisation des victimes, qu’elles soient sanitaires ou économiques.
Si elle était votée, cette loi pourrait mettre fin au long combat judiciaire (plus de 20 ans) des associations de victimes de ce pesticide qui a été utilisé dans les bananeraies aux Antilles jusqu’en 1993, alors même que sa dangerosité était connue des autorités depuis 1973.
Le chlordécone a été utilisé en Martinique et en Guadeloupe pour lutter contre le charançon du bananier entre 1972 et 1993.
Quoiqu’il se soit révélé dangereux pour la santé des travailleurs qui y étaient exposés, ce qui avait poussé les États-Unis à interdire l’usage de ce produit dès les années 1970, aux Antilles, des dérogations ont permis de continuer à l’utiliser jusqu’au début des années 1990.
Si l’Etat est forcément fautif puisque c’est lui qui a accordé les dérogations, producteurs bananiers et élus locaux n’en sont pas moins innocents. Même si la plupart sont mort depuis…
Les lobbies bananiers avaient insisté auprès des autorités pour pouvoir continuer à utiliser ce produit dont ils avaient des stocks énormes. Ils avaient, pour décider les différents ministres de l’Agriculture de François Mitterrand, demandé aux sénateurs et députés proches des milieux bananiers, très donnants alors pour financer leurs campagnes électorales, de soutenir leurs demandes de dérogations afin de pouvoir écouler leurs stocks.
Le cynisme des uns et des autres a fait que des milliers de Guadeloupéens et de Martiniquais sont aujourd’hui contaminés au chlordécone qui a pollué les terres de la Basse-Terre, terres traversées de cours d’eau qui sont pompés pour alimenter en eau toute la Guadeloupe.
A ce scandale sanitaire vient s’ajouter un scandale économique puisque les terres de la Basse-Terre ne peuvent produire de fruits et légumes que s’ils ne sont pas en contact direct avec la terre… et que les marins-pêcheurs de tout le pourtour du sud et de l’est de la Basse-Terre sont, de même, interdit de pêcher puisque les eaux de ruissellement, qui vont directement à la mer, polluent les fonds marins.
Le gouvernement a lancé plusieurs plans pour accélérer la recherche scientifique et procéder à la dépollution des sols et des rivières.
De même, la prise en charge des personnes contaminées est possible à condition que celles-ci se fassent connaître. Depuis fin 2021, le cancer de la prostate après une surexposition au chlordécone est reconnu comme maladie professionnelle ouvrant le droit à un dédommagement.
30 000 analyses ont été effectuées, alors qu’elles sont gratuites. Les gens répugnent à savoir…
Pour ce qui est des réparations, le ministre des Outre-mer, Philippe Vigier, indiquait en novembre 2023 que 150 dossiers avaient été reçus par les autorités, 80 d’entre eux ayant donné lieu à un accord, d’autres étant toujours en cours d’instruction.
Ce qui n’est rien puisqu’on estime à près de 10 000 le nombre de travailleurs de la banane (sur les deux îles) susceptible d’avoir été contaminés.
André-Jean VIDAL
aj.vidal@karibinfo.com