En visite à Paris, des élus de Guadeloupe ont parlé de domiciliation locale de certaines compétences aujourd’hui dévolues à l’Etat. En réponse, le ministre des Outre-mer, qui avait compris, « en creux », selon sa formule, leur besoin d’émancipation, leur a répondu : autonomie.
Julien Mérion, politologue au Centre d’analyse géopolitique et internationale (CAGI) de l’Université des Antilles et de la Guyane, donne son avis sur ce débat, explique et envisage quelques pistes pour la suite.
Sébastien Lecornu a surpris les élus avec l’autonomie en allant plus loin que ce qu’ils avaient réclamés : une domiciliation de certaines compétences dont la santé. Un piège ?
La proposition du ministre des Outre-mer ne devrait pas surprendre. La crise sociale a pour origine le refus d’appliquer une loi votée par le Parlement. En outre, de nombreux élus ont mis en avant la question de la domiciliation du pouvoir.
Certes, l’autonomie ne figure et ne pouvait pas figurer parmi les revendications portées par les syndicats, mais elle semble être la réponse logique à la non-application de la Loi.
Sébastien Lecornu joue sur du velours en faisant cette proposition car il n’ignore pas la résistance au changement qui traverse la population guadeloupéenne car l’autonomie est associée au largage.
De façon plus fondamentale, il conforte une tendance qui s’est dessinée depuis quelques années au plus haut niveau de l’Etat français. Celle-ci va dans le sens de l’instauration de nouveaux rapports entre le centre et la périphérie fondés sur le transfert, sous contrôle, de certaines responsabilités. Le temps de la « colonisation paternaliste » est révolu.
Quel est le processus d’un tel changement institutionnel ?
Les règles ont été fixées en 2003.
La demande doit émaner des élus locaux qui disposent d’un espace dédié. Il s’agit du Congrès.
Ce n’est qu’à partir de cette demande validée par les deux assemblées que le Gouvernement saisit le Parlement. Dès lors, l’affaire retourne à l’échelon local par la consultation des électeurs (référendum). Rien ne peut se faire sans l’assentiment du peuple.
Initiative local et validation populaire sont les piliers de tout changement statutaire.
Si le peuple approuve la volonté de changement, le Gouvernement propose au Parlement un projet de loi organique (spécialité législative) ou ordinaire (identité législative) qui définira le nouveau statut.
Cette procédure est parfaitement encadrée, laissant l’Etat maître du jeu et du calendrier.
De manière plus fondamentale, l’expérience révèle que l’autonomie ne peut se réduire à un processus juridique. L’autonomie est une posture. Il faut d’abord être autonome dans les têtes et dans les actes. Cette posture doit se traduire en projet politique. Ce n’est qu’alors que la forme juridique vient couronner le processus.
Et quel bénéfice en retirerait la Guadeloupe ?
Tout sera fonction des compétences sollicitées, de la capacité à les exercer et de l’adhésion populaire.
La Guadeloupe pourrait choisir les compétences qui lui sont nécessaires en fonction de ses « intérêts propres » et du projet politique qui sous-tend cette démarche.
On peut imaginer une meilleure adaptabilité de la loi, une plus grande maîtrise du développement, une véritable valorisation du patrimoine et de l’identité. L’autonomie peut avoir une vertu rédemptrice.
Pour cela, la confiance qui, pour l’heure, fait défaut, doit être établie entre Guadeloupéens.
Cette autonomie changerait-elle les liens avec l’Europe ?
Ici, tout dépend de la volonté politique des élus et du Projet politique
Il est possible d’avoir une autonomie qui permette l’exercice de certaines compétences tout en restant Région Ultrapériphérique de l’Europe, comme Saint-Martin, donc sans changer l’actuel statut européen. Cette solution donne accès au fonds structurels mais impose d’appliquer les règles relatives à la concurrence et le droit européen, moyennant certaines adaptations.
A l’opposé, si les élus le veulent, et si la population l’accepte, la Guadeloupe peut abandonner son statut de RUP et devenir un PTOM, comme Saint-Barthélemy. Elle se libérerait ainsi des contraintes européennes.
Faudrait-il une seule assemblée avec ce régime nouveau ?
Il faut distinguer trois choses. Le régime législatif, la répartition des compétences et l’organisation institutionnelle.
Le régime législatif arrête les conditions d’application de la loi.
La répartition des compétences fixe les pouvoirs de la collectivité, les attributions de l’Etat et celles qui pourraient être partagées.
L’organisation institutionnelle dessine l’architecture. Une ou deux assemblées, un Conseil exécutif ou une Commission permanente. Il appartient aux élus de faire valoir leur préférence. Rien n’est prescrit à ce niveau.
La santé, c’est un volet des affaires sociales. Quid des allocations chômage, des prestations sociales ?
Rien ne s’oppose à ce que la santé soit transférée à une Collectivité sans pour autant que les affaires sociales le soient. La réponse à cette question réside dans la volonté des élus et dans le projet politique qu’ils portent. Comme l’a voulu Saint-Martin, la compétence sociale peut rester du domaine de l’intervention étatique.
Il faut se dire que les choix sont l’aboutissement de négociations entre l’Etat et la Collectivité, mais aussi la traduction politique et juridique de la demande sociale exprimée par la population.
Les transferts de l’Etat seraient-ils maintenus ?
Que faut-il entendre par transfert ?
Il peut s’agir des transferts sociaux, c’est-à-dire de toutes les prestations qui relèvent de la « solidarité nationale ». Leur maintien est déterminé par le régime législatif. L’identité législative assure la pérennisation du système actuel. Il n’en va pas de même si la Collectivité fait le choix de la spécialité législative et souhaite exercer la compétence sociale. Elle devra se donner les moyens d’une politique sociale à la hauteur de ses ambitions.
Mais, il peut s’agir aussi des dotations de l’Etat. Celles-ci sont de moins en moins importantes mais assurent aujourd’hui une part non négligeable des ressources des Collectivités. Elles seront fonction de l’option retenue en ce qui concerne le régime législatif. Le champ du possible est large et permet une combinaison des deux régimes.
Les rapports avec la Caraïbe seraient-ils plus faciles ?
Les relations internationales, la diplomatie, font partie du domaine régalien de l’Etat. Toutefois, de nombreuses avancées ont été faites permettant le développement d’initiatives territoriales, l’adhésion des collectivités d’Outre-mer à des organismes régionaux. Cependant, cela ne reste possible qu’avec l’assentiment de l’Etat. Les élus peuvent négocier une plus grande liberté en ce qui concerne la coopération régionale, mais ils pourront difficilement s’affranchir des exigences de la diplomatie française. Notons à cet égard que la Polynésie a réussi, dans la pratique et dans les textes ensuite, à conquérir une certaine autonomie internationale dans l’Océanie. Pourquoi ne pas emprunter le même chemin ?
Propos recueillis par André-Jean VIDAL