Politique. Affaire Darmanin : la Fondation pour la mémoire de l’esclavage réagit

Les réactions ne cessent pas après les propos tenus par Gérard Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, jeudi 2 février lors d’un colloque et mardi 7 février à l’Assemblée nationale. C’est désormais le volet esclavage et le débat sur la paternité des abolitions en France (1794 et 1848) qui fait débat.

La Fondation pour la mémoire de l’esclavage, que préside Jean-Marc Ayrault, a réagi à son tour.

« La mémoire de l’esclavage ne doit jamais être un sujet de polémique. C’est pourquoi nous déplorons les propos approximatifs que le ministre de l’Intérieur a tenus à plusieurs reprises ces derniers jours sur ce sujet.

Comment s’étonner que cette histoire reste largement ignorée de nos concitoyens, si la parole publique elle-même véhicule à son propos des erreurs et des contre-sens ?

Nous voulons rappeler ici ces faits bien connus des historiens : la Guadeloupe et la Martinique ont été des colonies de peuplement, tout comme la Guyane, la Réunion, Saint-Domingue (aujourd’hui Haïti) et l’île Maurice qui formaient au 18e siècle avec la Louisiane, le Canada et les comptoirs des Indes et du Sénégal le premier empire colonial français. Aux Amériques, la population amérindienne s’est vue refoulée, décimée et dépouillée de ses terres au profit de colons et de cultures destinées au marché européen.

Pour mettre en œuvre l’exploitation extensive de ces plantations, les Antilles, la Guyane et la Réunion ont reçu le premier grand déplacement forcé de population de notre histoire avec la traite esclavagiste. En deux siècles, près de 1,5 millions de captives et captifs ont été déportés d’Afrique vers les colonies françaises, auxquels se sont ajoutés les 2,5 millions de personnes qui y sont nées et y ont grandi dans la servitude.

Ce système a toujours suscité de l’opposition. Dans le Royaume de France, l’esclavage interdit depuis 1315 n’a jamais été rétabli, malgré les textes discriminatoires que les colons ont réussi à y imposer. Dans l’espace colonial, les esclaves ont toujours résisté, et recherché leur liberté par tous les moyens possibles, notamment par les résistances quotidiennes – comme le refus de travail –, le marronage et les révoltes dont l’histoire de l’esclavage est émaillée. Lors de la Révolution, ce n’est que sous leur pression que l’esclavage est aboli, d’abord à Saint-Domingue en 1793, et que les principes de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ont pris enfin leur portée universelle, près de cinq ans après avoir été adoptés le 26 août 1789.

Entre 1789 et 1794 comme entre 1802 et 1848, la fin du système esclavagiste est le résultat de la résistance et des combats des esclaves et des libres de couleur discriminés autant que de l’activisme des militants abolitionnistes de l’Hexagone. La République ne serait pas complète si elle ne reconnaissait pas sa dette à leur égard ; c’est la raison pour laquelle il est normal qu’au Panthéon, Toussaint Louverture soit honoré avec Victor Schoelcher, et Louis Delgrès avec l’Abbé Grégoire et Condorcet.

Transmettre cette histoire, dans sa totalité, est une exigence que nous devons à la mémoire des quatre millions de victimes de l’esclavage dans l’empire colonial français, aux habitantes et habitants des outre- mer pour qui la République a été et demeure un idéal qu’elles et ils ont porté très haut depuis des générations et continuent de défendre aujourd’hui, ainsi qu’à toutes celles et tous ceux qui sont avides de justice et d’égalité dans notre société. . La vérité historique n’affaiblit jamais une démocratie. Bien au contraire : elle la renforce, car la connaissance et la reconnaissance sont le début de la réparation.

Cette exigence est celle de la société française : face à la montée du racisme et de la xénophobie, face au malaise profond et persistant qui touche les outre-mer, notamment autour du scandale du chlordécone, face à la revendication de justice contre les discriminations, il est plus que jamais utile et nécessaire de transmettre l’histoire de la diversité française, de déconstruire les préjugés racistes par l’éducation, et enfin de rassembler l’hexagone et les outre-mer par un récit national pleinement partagé.

C’est la raison pour laquelle nous rappelons les propositions formulées par la FME en 2020 pour renforcer la place de cette histoire dans les programmes et les manuels scolaires, notamment pour les élèves de l’enseignement général dans l’hexagone, et le travail qu’elle fournit, aux côtés des collectivités locales et des institutions culturelles, pour valoriser le patrimoine, les lieux de mémoire et les héritages de ce passé, en attendant qu’un musée national soit créé pour transmettre les cinq siècles d’histoire de la France mondiale.

C’est aussi pourquoi nous nous réjouissons que le plan de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations sur l’origine récemment présenté par la Première ministre fasse de la transmission de la mémoire une priorité, en direction des élèves qui bénéficieront tous de la visite d’un lieu de mémoire dans leur scolarité, mais aussi des élus et des fonctionnaires, à travers des formations auxquelles la Fondation apportera son concours et ses contenus.

Ces efforts, tout comme l’édification prochaine à Paris d’un mémorial aux victimes de l’esclavage, traduiront en actes la volonté de la République d’inscrire pleinement cette histoire dans notre mémoire nationale. Plus de vingt ans après le vote à l’unanimité de la loi du 21 mai 2001 qui a reconnu la traite et l’esclavage comme des crimes contre l’humanité, il ne sera que temps. »

  • Les membres du bureau de la FME :
    – Jean-Marc AYRAULT, président,
    – Patricia PROFIL, vice-présidente,
    – Laura-Line CASSIN, vice-présidente,
    – Laurence LASCARY, trésorière,
    – Marie TRELLU-KANE, secrétaire générale
  • Georges BREDENT, président du conseil des territoires de la FME
  • Romuald FONKOUA, président du conseil scientifique de la FME
  • Pierre SAINTE-LUCE, président du conseil des mécènes de la FME
  • Doudou DIENE, rapporteur du conseil d’orientation de la FME
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