Existe-t-il vraiment une continuité territoriale entre les territoires ultramarins et l’Hexagone ?
Pas vraiment selon les premiers éléments de constats délivrés par les deux rapporteurs — le sénateur
(groupe LR) de la Mayenne Guillaume Chevrollier et la sénatrice (groupe socialistes) de la Martinique
Catherine Conconne – de la mission sénatoriale d’information lancée en début d’année sur le sujet.
Pour les sénateurs, l’examen de la situation actuelle des mécanismes existants de compensation liés aux
déplacements ultramarins, appuyée sur une comparaison faite avec les mécanismes applicables à la Corse, met en évidence une situation « défavorable, injuste et inéquitable ».
Créée en 1976 pour répondre spécifiquement aux problèmes de desserte aérienne et maritime, le montant de la dotation de l’Etat en faveur de la continuité territoriale Corse est de 220 millions d’euros.
Sur un périmètre plus large d’intervention (si la dotation corse finance exclusivement la desserte aérienne et maritime des habitants et le fret des marchandises, la subvention budgétaire globale dédiée à la continuité territoriale outre-mer recouvre plusieurs volets – l’aide à la continuité territoriale ACT ; l’aide à la continuité funéraire ; les passeports mobilité pour les études ou de formation professionnelle ; la desserte maritime de Saint-Pierre et Miquelon ou encore la desserte aérienne de Wallis et Futuna…), le montant consacré par l’Etat aux outremer au titre de la continuité territoriale s’élève à 45 millions d’euros en 2023. Il est vrai que cette différence budgétaire, rapportée à la population de la Corse (340 000) et des Outre-mer (2,8 millions), peut interpeller.
Dans la foulée de ces premiers éléments d’appréciation délivrés par les Sénateurs, le ministère des Outre-mer et l’Agence de l’Outre-mer pour la Mobilité (LADOM) annonçaient le 15 mars dernier une
hausse de 6 millions d’euros du dispositif visant à faciliter les déplacements vers et depuis les territoires
ultramarins…
Au-delà de ces constats et de ces chiffres, la continuité territoriale, selon les termes de l’article L. 1803 du code des transports, c’est ce qui « tend à atténuer les contraintes de l’insularité et de l’éloignement et à rapprocher les conditions d’accès de la population aux services publics de transport, de formation, de santé et de communication de celles de la métropole, en tenant compte de la situation géographique,
économique et sociale particulière de chaque collectivité territoriale d’outre-mer. ».
A ce titre, s’il est nécessaire d’assurer des liaisons régulières de passagers à un tarif raisonnable entre la métropole et les territoires ultramarins, il est également indispensable d’assurer un approvisionnement régulier et à moindre frais des territoires en matière de biens.
En effet, les surcoûts de transport constituent pour les écosystèmes ultramarins une contrainte structurelle majeure, accentuée par la très forte volatilité des prix du fret dans un contexte mondial de crises, qui lie fortement les activités de production en Outre-mer aux aléas de la conjoncture.
A l’échelle régionale, les coûts de transport élevés s’expliquent par une faible massification des flux, qui permet difficilement de développer l’offre de services maritimes entre les pays de la zone.
A titre d’exemple, la Nouvelle-Calédonie se trouve aujourd’hui confrontée à de graves difficultés d’importation des machines, engins et véhicules du fait d’une grave pénurie de place sur les navires RORO (Roll-On/Roll-off).
L’absence de matériel de production a un impact direct pour tous les habitants : les miniers sont en attente du matériel nécessaire pour consolider leurs infrastructures ou leur business model ; les transports de personnels ne voient pas les bus arriver ce qui va impliquer la suspension de lignes ou de faire rouler des véhicules réformés ; les sociétés de BTP attendent le matériel pour réaliser les marchés et travaux ; les pompiers et ambulanciers réclament leur matériel d’intervention et de secours…
En clair, nombreux sont les pans de la société calédonienne impactés par cette situation. Outre les retards, l’impact sur le prix du fret a triplé en 2 mois. Or à ce jour, aucune réponse de la part des pouvoirs publics n’est constatée face à une situation qui continue de s’aggraver.
Par ailleurs, s’agissant des DROM, les dispositifs d’aide au fret (part Union européenne et part Etat) mis en place depuis plusieurs années sont censés contribuer à la résilience du tissu productif. Ils doivent
également soutenir l’internationalisation des entreprises ultramarines ainsi que leur meilleure imbrication
dans leurs tissus économiques régionaux.
Ces dispositifs sont essentiels ; mais la faiblesse des crédits accordés sur la part Etat, la complexité de l’articulation entre la part Etat et la part FEDER dans l’instruction des dossiers, ainsi que le ciblage du dispositif restreint aux origines et destinations européennes, font que les coûts de production des entreprises ultramarines et l’accès de leurs produits au marché continental restent fortement affectés par les hausses des coûts des matières premières et du fret maritime.
Bref, pour la compétitivité des entreprises, pour le développement économique et pour la cohésion
territoriale et sociale, il est essentiel d’appréhender la continuité territoriale Outre-mer dans toutes ses
dimensions. Nous formulons le vœux que les travaux menés en ce moment par les parlementaires sur ces questions (dans le cadre de la mission d’information sénatoriale sur la continuité territoriale, mais aussi au sein de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le coût de la vie) pourront utilement éclairer le gouvernement et le législateur sur ce sujet.
Source : FEDOM