Opinion. Voter une collectivité unique sans évolution des normes, c’est retarder le processus d’une réelle évolution pour plusieurs dizaines d’années

PAR JOCELYN SAPOTILLE

Je reconnais la nécessité d’une évolution des institutions de la Guadeloupe, conscient que le statu quo ne peut répondre aux nouveaux défis de notre territoire. La méthode est primordiale pour le succès des projets d’évolution. Toute initiative doit viser à améliorer les politiques publiques au bénéfice de l’amélioration des conditions de vie des Guadeloupéens. Intervenir sur le fond est crucial, et celui-ci doit précéder la forme. La collectivité unique doit être envisagée comme un moyen au service des politiques publiques, conditionnée par une étude approfondie des changements nécessaires.

Les résultats tangibles en termes d’amélioration des politiques publiques dépendent de notre capacité à modifier les normes avec souplesse, la procédure d’adaptation actuelle est trop lourde. Actuellement, l’article 73 de la constitution reconnaît la possibilité d’adapter les lois et règlements en fonction de nos particularités. En outre, les alinéas 3 à 6 du même article reconnaissent une forme de « pouvoir normatif délégué » au profit des collectivités de Guadeloupe : la faculté de fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire après habilitation.

Ce dispositif constitutionnel pourtant riche de potentialités est cependant très peu utilisé du fait de la complexité de sa mise en œuvre. Il faudrait l’assouplir. Nous devons pouvoir le faire en particulier dans des domaines tels que l’emploi, l’aménagement du territoire, la formation, l’éducation, l’agro-alimentaire, la pêche, etc. Dans cette optique, les institutions doivent s’adapter aux projets, plutôt que l’inverse.

Il est prématuré de déterminer l’architecture institutionnelle avant l’élaboration du projet. Reconnaître que la multiplicité des institutions actuelles est inefficace n’est pas suffisant en termes d’analyse et n’en fait pas un projet.

Avant tout congrès conclusif, il est essentiel de :

  • Définir les domaines dans lesquels nous voulons évoluer vers une spécialité législative. C’est-à-dire les domaines dans lesquels un pouvoir politique local pourra établir la règle.
  • Identifier les domaines nécessitant une meilleure implication des collectivités publiques, en collaboration avec l’État, dans le cadre de cette fois-ci de l’identité législative, en faisant jouer le principe de subsidiarité.
  • Établir des priorités graduelles pour les transferts de compétences.
  • Constituer une commission indépendante pour évaluer les charges et les ressources liées aux transferts de compétences.
  • Proposer un cadre constitutionnel souple permettant une évolution graduelle de la Guadeloupe.

Concernant l’intercommunalité, nous pensons qu’une rationalisation avec trois communautés d’Agglomération (centre, Grande-Terre, Basse-Terre) et la communauté de communes de Marie-Galantes est judicieuse. Cette révision devrait être menée par la commission départementale de coopération intercommunale. Si une modification constitutionnelle est envisagée, cela doit être l’occasion d’introduire un cadre pour l’évolution de la Guadeloupe en matière de normes et d’institutions. Nous demandons au congrès de prendre une résolution permettant à nos parlementaires d’introduire cette démarche.

Le congrès du 12 juin 2024 ne peut être conclusif, sauf à vouloir conclure sur le contenant en laissant à l’État décider du contenu à notre place. Opter pour une collectivité unique sans loi organique préalable et évaluation des charges serait une erreur. Ce serait se désengager des préoccupations réelles des Guadeloupéens, et donner la main à l’État pour l’initiative et le contenu de la proposition de loi organique. L’exemple martiniquais et guyanais nous a prouvé que l’essentiel est dans le contenu de la loi organique. Les élus qui prendront la responsabilité de demander à notre peuple de se prononcer sur une évolution institutionnelle sans contenu, seront coupables de livrer le peuple mains nues face à son destin et dans l’inconnu.

Voter une collectivité unique sans évolution des normes concomitante, c’est retarder le processus d’une réelle évolution pour plusieurs dizaines d’années. Nous demandons au congrès de se concentrer sur la préparation de résolutions pour une évolution constitutionnelle, la mise en place de commissions pour travailler sur les compétences et les normes, la constitution d’une commission locale indépendante d’évaluation des charges et des moyens, la mise en place d’une commission pour la rédaction d’un projet de loi organique pour l’adaptation des normes et l’organisation institutionnelle de la Guadeloupe.

À titre indicatif, la Guadeloupe pourrait graduellement aller vers la mise en place des règles applicables dans les matières suivantes :

  • Impôts, droits et taxes permettant de couvrir des charges après mise en place d’une spécialité normative, réglementaire et législative.
  • Urbanisme ; construction ; habitation ; logement ;
  • Circulation routière et transports routiers ; desserte maritime d’intérêt territorial ; immatriculation des navires ; carte et titre de navigation des navires de plaisance à usage personnel non soumis à francisation ; création, aménagement et exploitation des ports maritimes, à l’exception du régime du travail ;
  • Voirie ; droit domanial et des biens de la collectivité ;
  • Environnement, y compris la protection des espaces boisés ;
  • Énergie ;
  • Tourisme ;
  • Création et organisation des services et des établissements publics de la collectivité


À égalité de compétences, la Guadeloupe devrait pouvoir mettre en œuvre des dispositifs dérogatoires pendant un certain temps, afin que dans l’emploi privé ou public les originaires du territoire de Guadeloupe et ceux qui ont noué un lien avec le territoire archipélagique aient une préférence dans le recrutement sur ces postes. La Guadeloupe devrait pouvoir également adopter, dans les conditions prévues au premier alinéa, des mesures favorisant l’accès à l’exercice d’une activité professionnelle non salariée, notamment d’une profession libérale.

La Guadeloupe devrait avoir compétence pour promouvoir :

  • La coopération régionale dans le bassin caribéen (la région Caraïbes allant de la Floride jusqu’au plateau des Guyane).
  • Le développement économique,
  • Le développement social et sanitaire
  • Le développement culturel et scientifique de la Guadeloupe
  • L’aménagement de son territoire
  • Pour assurer la préservation de son identité, dans le respect de l’intégrité, de l’autonomie et des attributions des communes.
  • Dans le but de préserver la cohésion sociale de la Guadeloupe, de garantir l’exercice effectif du droit au logement de ses habitants et de sauvegarder ou de mettre en valeur les espaces naturels
  • La Guadeloupe devrait pouvoir exercer, un droit de préemption sur les propriétés foncières ou les droits sociaux y afférents faisant l’objet de la déclaration, à charge de verser aux ayants droit le montant de la valeur desdits propriétés foncières ou droits sociaux. À défaut d’accord, cette valeur serait fixée comme en matière d’expropriation
  • Des modalités justes de financement des charges correspondant à l’exercice des compétences nouvelles que la Guadeloupe reçoit de la présente loi organique seront déterminées par la Commission Consultative des Charges et des Moyens.

Gardons en mémoire que l’évolution institutionnelle n’aura de sens pour la population que si nous créons les outils d’un développement endogène qui améliore le quotidien et fixe un avenir prometteur des Guadeloupéens.

Cette méthode peut paraître longue, mais elle peut commencer aujourd’hui et garantir l’adhésion du peuple.

Patience et longueur de temps
Font plus que force qui ne rage.

*Maire de Lamentin, en Guadeloupe
Président de l’Association des Maires de Guadeloupe

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