Opinion. Vers une spirale de crise économique et financière amplifiée par la crise sociale de la vie chère ?

PAR JEAN-MARIE NOL*

Aujourd’hui, la Martinique est sur le point de faire face à une crise d’une ampleur sans précédent.

En effet, une crise économique et financière est en train de télescoper la crise de la vie chère. L’impact sera visible dès le début de l’année prochaine, et les premiers effets délétères sur l’emploi, la consommation et l’investissement se feront ressentir tout au long de l’année 2025 conduisant selon nos prévisions à une récession de l’économie martiniquaise. Et pour cause, le curseur a été trop loin dans la gestion catastrophique de la crise de la vie chère.

En réaction aux augmentations des coûts et au sentiment d’abandon, de nombreux Martiniquais se sont tournés vers des actes de contestation marqués par des barrages, des pillages et des exactions contre les entreprises locales, et ce sans contre-réaction forte des autorités et  acteurs politiques locaux.

Ces violences ont des conséquences économiques désastreuses. Près de 1 200 emplois sont menacés, 127 entreprises ont déjà demandé à bénéficier du chômage partiel, et les redressements ou liquidations judiciaires s’enchaînent à un rythme alarmant.

Pour le président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Martinique (CCIM), l’urgence est à la reconstruction, même si les dégâts économiques risquent d’être difficilement réparables.

De même, le secteur du tourisme et de l’artisanat, piliers de l’économie martiniquaise, est particulièrement touché par cette crise. En plus des violences, les artisans subissent des obstacles à la circulation, le tourisme des risques d’insécurité et l’ensemble des pertes matérielles. Cette crise plus profonde que celle de 2009 laisse craindre une dépression de l’économie, où la détérioration prochaine des conditions de vie pourrait entraîner soit de la sidération soit des nouvelles manifestations de grande ampleur.

Cette situation n’est pas sans conséquences pour les dirigeants d’entreprise, qui se retrouvent accablés. Faute de soutien concret de la part des autorités, beaucoup sombrent du fait de la perte de confiance dans l’épuisement, voire la dépression, car rappelons l’économie repose d’abord sur la confiance. Les petites entreprises, en particulier le secteur de l’artisanat, subissent de plein fouet les conséquences des exactions et barrages à la circulation, et pour beaucoup, il s’agit désormais d’une question de survie.

Dans ce contexte de crise, les médias martiniquais ont un rôle majeur à jouer pour expliquer les enjeux économiques aux citoyens et sensibiliser à l’impact des actions de violence sur l’économie locale.

Pourtant, leur couverture de la crise de la vie chère semble focalisée sur les événements immédiats – manifestations, barrages, pillages – sans fournir suffisamment de contextes pédagogiques ou d’explications sur les conséquences de ces actes pour l’économie.

Cette focalisation sur le sensationnalisme laisse une grande partie de la population dans le flou sur les conséquences possiblement délétères sur le tissu économique de la Martinique , ce qui peut contribuer à renforcer le sentiment d’irresponsabilité et attiser de façon stérile les tensions et la colère.

Et pourtant, il y a bien eu des reportages didactiques sur les causes profondes de la vie chère, les mécanismes économiques, mais les répercussions des violences ne permet pas aux Martiniquais de saisir pleinement les conséquences de chaque action, individuelle ou collective sur le processus de désagrégation de l’économie dans les prochaines années.

Par ailleurs, l’éducation économique et financière de la population repose également sur les politiques publiques, et sur la volonté des autorités locales d’instaurer une culture économique durable. Dans une période aussi critique, les médias pourraient jouer un rôle éducatif en collaborant avec des experts pour offrir une meilleure compréhension des dynamiques économiques et des enjeux de la crise.

La Martinique subit également les répercussions des choix budgétaires de la France métropolitaine . Alors que la France hexagonale s’efforce de maîtriser une dette publique colossale de plus de 3 200 milliards d’euros, le gouvernement prévoit des politiques d’austérité en 2025.

Pour les territoires d’Outre-mer, cette rigueur pourrait avoir des effets désastreux. L’inflation déjà galopante et le coût de la vie élevé rendent chaque mesure économique et financière restrictive potentiellement explosive sur le plan social.

Les initiatives visant à limiter la vie chère – telles que l’exemption de TVA et de l’octroi de mer sur certains produits de première nécessité – n’auront à terme selon nous qu’un effet limité face aux monopoles qui maintiennent les prix élevés.

Bien que l’État et la CTM tentent de favoriser les petits producteurs locaux et de diversifier l’économie, ces mesures restent largement insuffisantes pour briser le contrôle des grands groupes de distribution.

Cette situation de crise a des impacts profonds, tant sur le plan économique que social. Alors que la pauvreté s’accroît et que les inégalités sociales se creusent, les tentatives de réforme de l’État-providence par le gouvernement de Michel Barnier suscitent un scepticisme croissant.

La réduction des prestations sociales et la suppression de certaines subventions risquent de devenir des déclencheurs de nouvelles vagues de protestations.

Face à cette impasse, l’État se retrouve dans une situation délicate, tiraillé entre la nécessité de réduire la dette publique et celle de préserver la cohésion sociale dans ses territoires ultramarins. La Martinique a besoin de réponses spécifiques, adaptées à ses particularités socio-économiques.

Des économistes plaident pour des investissements publics ciblés, notamment dans les infrastructures nécessaires à la production locale, afin de renforcer l’économie insulaire et de diminuer sa dépendance aux importations. Diversifier l’économie martiniquaise pourrait limiter sa vulnérabilité aux fluctuations des prix mondiaux, en favorisant des secteurs comme le tourisme, l’agriculture locale et l’artisanat.

La politique d’austérité adoptée par le gouvernement pourrait se révéler inadaptée dans ce contexte, et le maintien d’une approche uniforme pourrait accentuer les tensions sociales. La Martinique, avec ses spécificités, nécessite une attention particulière pour préserver son équilibre et sa stabilité économique.

Des mesures adaptées, telles qu’une plus grande régulation des monopoles, un contrôle des prix avec un encadrement des marges, des incitations à la concurrence et des investissements dans les infrastructures, sont essentielles pour éviter que le malaise social actuel ne se transforme en une crise encore plus profonde. Mais n’est il pas trop tard pour ce faire ?

En définitive, il y a urgence de repenser de façon structurelle le modèle économique en Martinique.

La Martinique traverse une crise historique, prise en étau entre des choix de rigueur budgétaires de l’État qui menacent sa stabilité et une colère populaire qui s’est manifestée par des actes violents. Loin de se limiter à une problématique locale, cette situation révèle l’urgente nécessité pour la France de revoir sa politique vis-à-vis de ses territoires d’outre-mer.

Plus que jamais, il est impératif d’adopter des mesures structurelles de refonte du système pour alléger le poids de la vie chère en Martinique et donner aux Martiniquais les outils nécessaires pour reprendre le contrôle de leur économie. Il est crucial que l’État mette en place des solutions adaptées pour soutenir la population martiniquaise dans cette épreuve, afin de garantir la survie économique, sociale et culturelle de ce territoire dit ultramarin, et de préserver ainsi la cohésion sociale.

Pour l’instant, tout cela reste n’en doutons pas un vœux pieux,  et sûr que dans un proche avenir les martiniquais payeront le prix fort pour avoir vu certains éléments casser la croissance de l’île, et par la même constater que « le jeu n’en vaut pas la chandelle »…  

La sauce coûtera plus cher que le poisson : proverbe catalan.

« Yo pa ka bokanté pawol pou kou »

Traduction littérale : On échange pas des paroles contre des coups.

Moralité : Les mots ne peuvent justifier la violence.

*Economiste

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