Le « Prince qui a fendu les océans », rappelait Sébastien Lecornu au Sénat ce mercredi 3 novembre où, au nom du gouvernement, il répondait à l’hommage rendu par le président Larcher à l’ancien président de la République.
Et il est vrai que Valéry Giscard d’Estaing a entretenu avec les Outre-mer des relations à la fois fortes et complexes.
Ce fut le cas aux Antilles où il se rendit en décembre 1974 pour une rencontre au sommet avec le président des Etats-Unis, Gérald Ford, rencontre consacrée essentiellement à la crise énergétique qui était un peu la préfiguration du G7. Toutefois, Giscard avait d’abord consacré la première partie de son déplacement à la Martinique elle-même. Au moment de son départ, dans une conférence de presse donnée à l’aéroport, et répondant à une question sur ses impressions, il répondit : « Ce qui m’a le plus frappé, c’est le caractère vivant et ardent de la population antillaise, et, en même temps, son désir évident qui ne peut pas être mis en cause, d’organiser sa vie dans le cadre de la République française ».
Propos convenu pensa-t-on.
A tort, car cette déclaration préfigurait son attitude lors de la consultation du 22 décembre 1974 sur l’indépendance des Comores et la décision de garder Mayotte – qui avait voté contre à 63,22% – française en se fondant sur l’article 53 de la Constitution de 1958 qui précise que « Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le consentement des populations intéressées ».
Il faut souligner également son lien fort avec les collectivités du Pacifique. Ainsi, Giscard fut le premier président à lancer une grande réforme foncière en Nouvelle-Calédonie où, dans le cadre du plan Dijoud, fut posé le premier acte de rééquilibrage entre Kanaks et non-Kanaks en prenant essentiellement en compte le lien culturel et identitaire au foncier tout en y associant le développement économique. Il fut aussi le premier président français à se rendre à Wallis-et-Futuna.
Enfin, en Polynésie française, Giscard et son secrétaire d’état aux Dom-Tom, Olivier Stirn, avaient envisagé très vite un changement de statut pour le territoire et avaient établi des relations assez cordiales avec les leaders autonomistes. Le 12 juillet 1977, la Polynésie française avait son nouveau statut, dit d’autonomie de gestion, voté à l’unanimité par le Parlement.
Sur un plan plus personnel, j’ai eu l’honneur de faire toute ma carrière à ses côtés et c’est peu dire qu’il m’a profondément marqué. Je l’ai rencontré pour la dernière fois, avec quelques amis des anciens cercles giscardiens, lors d’un déjeuner amical il y a cinq ans au cours duquel je lui avais dit que j’avais en charge la présidence de la Fédération des Entreprises des Outre-mer. Je l’entends encore me répondre : « Les Outre-mer sont complexes et parfois difficiles à cerner, mais c’est toujours passionnant » et il me confia, au moment où nous nous séparions, « j’ai beaucoup aimé les Outre-mer et ils me l’ont bien rendu ».
Peut-être faisait-il allusion au vote des Outre-mer lors de l’élection présidentielle de 1981 où, bien loin de ses décevant résultats nationaux, Giscard obtint un triomphe dans tous les territoires. Très largement en tête au 1er tour, dépassant même les 50 % dans six territoires sur huit, il réalisa au deuxième tour plus de 60 %, dans tous les territoires en particulier 80,56 % en Martinique, 78,48 % en Guadeloupe et, tout aussi significatif, 63,17 % à La Réunion et 89,93 % à Mayotte.
Répondant aux questions des journalistes le 22 avril 1981, à la fin de son septennat, il déclara que ce dont il était le plus fier dans les Dom, c’était d’avoir « pratiquement achevé la « départementalisation sociale » grâce à l’extension de nombreuses mesures métropolitaines telles que l’allocation pour les femmes isolées qui n’existait pas, la protection contre le chômage que nous avons introduite et les régimes d’assurance pour les travailleurs indépendants qui n’étaient pas protégés du point de vue social.
Il déclara ce même jour que, s’il était réélu, il voulait s’attaquer à l’habitat indigne : « Le sujet sur lequel nous devons mettre l’accent maintenant, c’est la lutte contre l’habitat insalubre, de façon à ce que la population ait accès à des logements qui correspondent aux conditions de vie, à la dignité́ de vie moderne. Un programme de cinq ans a été décidé par le gouvernement en 1980, il couvre la période 1980 – 1985, mais peut-être faudra-t-il donner une ambition et une dimension plus grandes encore à ce programme. »
On lui donna raison bien tard puisqu’il fallut attendre 30 ans pour que soit votée la loi du 23 juin 2011, dite loi Letchimy, portant dispositions particulières relatives aux quartiers d’habitat informel et à la lutte contre l’habitat indigne dans les départements et régions d’outre-mer.
Jean-Pierre Philibert
Président de la FEDOM