Opinion. Une loi contre la vie chère : un mirage qui coûte cher et aggrave les problèmes

PAR JOHNNY HAJJAR*

Je salue l’initiative du groupe socialiste et sa volonté d’agir face à la vie chère et à la concentration des acteurs économiques dans les territoires dits ultramarins.

Cependant, dans un contexte de crise majeure et durable, particulièrement en Martinique cette proposition de loi s’avère vide de sens, inefficace et déconnectée des réalités locales.

Pire, elle pourrait se révéler contre-productive, accentuant nos difficultés au lieu de les résoudre.

Alors que le rapport de la commission d’enquête sur la vie chère formule plus de 70 recommandations concrètes, cette proposition de loi manque d’ambition, de réalisme et de pertinence. Pourtant, dans nos territoires, la loi doit être un outil décisif pour garantir une régulation économique efficace, une concurrence équitable et une justice sociale indispensables à la dignité de nos populations.

DES MESURES INEFFICACES ET MAL CONSTRUITES : UN CADRE VIDÉ DE SON SENS

  1. Un « Bouclier Qualité Prix » (BQP) fondamentalement inadapté
    L’article 1 consacre le BQP comme instrument principal de lutte contre la vie chère, mais ce
    dispositif est gravement insuffisant pour plusieurs raisons :
  • Un mécanisme volontaire sans contrainte réelle : le BQP repose sur l’adhésion facultative des entreprises. Celles-ci peuvent simplement refuser ou se retirer si les prix imposés par le préfet ne leurs conviennent pas. La seule « sanction » prévue est une mention publique de leur retrait, une mesure largement inefficace face à des entreprises dominantes.
  • Une contradiction dans les objectifs : le texte propose que les entreprises volontaires alignent leurs prix sur le « prix moyen annuel hexagonal ». Si ces entreprises décident d’agir de leur propre chef, la loi devient inutile. Si elles refusent, son inefficacité est encore plus flagrante.
  • Un champ d’application dérisoire : Alors que le protocole local couvre environ 6 000 produits
    alimentaires, le BQP ne concerne qu’une infime liste de moins de 150 produits. Dans un
    contexte où les hypermarchés offrent 30 000 à 40 000 références, le BQP est non seulement
    obsolète, mais aussi marginal.

2. Des Observatoires des Prix, des Marges et des Revenus (OPMR) réduits à l’impuissance
La loi propose un renforcement des OPMR, mais cette ambition est contrecarrée par des lacunes criantes :

    • Absence de moyens réels : si le texte évoque la mobilisation de ressources humaines et financières, il reste muet sur leur mise en œuvre concrète : aucun financement ni calendrier n’est précisé.
    • Des résultats purement symboliques : sans moyens, ces observatoires seront incapables de produire des analyses fiables ou d’influencer efficacement la régulation économique.

    3. Un préfet impuissant face à des géants économiques
    Le rôle central accordé au préfet pour arbitrer les prix est vidé de sa substance :

      • Sans outils coercitifs, ni moyens financiers ou humains suffisants, le préfet devient une figure symbolique.
      • Les entreprises conservent une totale liberté de quitter les dispositifs, rendant toute régulation inefficace.

      4. Une régulation incomplète et incohérente des grandes entreprises
      Les articles 2 à 6 abordent des problématiques importantes, mais les mesures proposées sont superficielles et mal
      articulées. Il manque une vision globale et systémique :

        • Article 2 : amendes pour non-dépôt des comptes : bien que nécessaires, ces sanctions seront inutiles tant que le secret des affaires ne sera pas levé, condition indispensable pour garantir la transparence et identifier les pratiques anticoncurrentielles.
        • Articles 3 à 6 : contrôle des concentrations économiques : l’abaissement des seuils de contrôle est une avancée timide, mais inopérante sans une cartographie détaillée des groupes économiques et sans levée du secret des affaires.
        • Délégation excessive au gouvernement : l’article 4 délègue au Premier ministre le pouvoir de fixer les seuils de parts de marché pour les groupes dominants. Ce choix, contre-productif et irresponsable, traduit une abdication du Parlement et aggrave les risques d’un contrôle inefficace.

        DES OMISSIONS STRATÉGIQUES : UNE LOI QUI ÉLUDE LES VÉRITABLES ENJEUX

        Cette proposition de loi ignore les leviers essentiels pour lutter efficacement et durablement
        contre la vie chère :

        Manque de transparence sur les marges arrière et l’accumulation des marges : ces pratiques, qui augmentent artificiellement les prix, doivent être identifiées et tracées pour garantir une véritable baisse des coûts pour les consommateurs.

        Absence de suppression effective des exclusivités de marques : bien que prohibées par la loi, ces pratiques persistent, alimentant la concentration économique et limitant la
        concurrence. Leur disparition réelle est une condition sine qua non pour encourager des prix
        justes.

        Absence de cartographie des grands groupes : sans une analyse détaillée des activités, de l’organisation et des interconnexions des entreprises, il est impossible de concevoir des mesures de contrôle et de régulation adaptées.
        De plus, la proposition de loi intègre des dispositions qui ne relèvent pas du cadre législatif, ce qui alourdit inutilement le texte et renforce son incohérence.

        UN SIGNAL INQUIÉTANT ET UNE PROMESSE NON TENUE

        Au-delà de son inefficacité, cette proposition de loi envoie un message préoccupant. Elle pourrait laisser penser que nous sommes incapables de traduire nos propres problématiques en solutions législatives concrètes.

        Dans un contexte d’urgence sociale et économique, proposer une loi mal calibrée, incomplète et irréaliste ne fait qu’amplifier le désespoir des populations.

        POUR DES LOIS À LA HAUTEUR DES ENJEUX : PRIORITÉS IMMÉDIATES

        L’engagement et la détermination de la rapporteure et du groupe socialiste avaient suscité un immense espoir.

        Cet espoir s’est malheureusement transformé en désillusion, face à ce qui ressemble davantage à une opération de communication politique qu’à une véritable réponse aux réalités des territoires ultramarins.

        Il est impératif de recentrer le débat sur des solutions ambitieuses et efficaces, notamment :

        • Lever le secret des affaires pour garantir une véritable transparence économique.
        • Cadrer les marges et l’accumulation des marges pour faire baisser durablement les prix.
        • Renforcer les contrôles des pratiques anticoncurrentielles en mobilisant réellement des moyens humains et financiers adaptés.
        • Supprimer effectivement et définitivement les exclusivités de marques pour encourager une concurrence équitable.
        • Élaborer une cartographie précise des concentrations économiques, condition indispensable pour une régulation cohérente.

        Nos populations méritent des mesures à la hauteur de leurs attentes et de leurs besoins.

        Plutôt que des promesses creuses et des dispositifs inefficaces, nous devons proposer des lois réalistes, audacieuses et adaptées à la complexité des enjeux locaux.

        *Ancien Député – Rapporteur de la commission d’enquête parlementaire sur la vie chère

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