Opinion. Un nouvel ordre économique mondial est en marche et dans cette dynamique la Caraïbe est en voie de déclassement !

PAR JEAN-MARIE NOL*

Un nouvel ordre économique mondial est en train de se façonner, bouleversant les équilibres établis et redistribuant les cartes de la puissance entre les nations.

Les anciennes dynamiques, construites autour de l’Europe, des États-Unis et de certaines régions stratégiques, cèdent progressivement la place à de nouveaux centres de gravité économique. Au cœur de ces transformations, la région de la Caraïbe, autrefois perçue comme un carrefour géopolitique et économique stratégique par l’Europe et maintenant par les Etats Unis, glisse inexorablement vers un déclassement profond.

Ce phénomène, loin d’être isolé, reflète une tendance globale marquée par le recul de l’Europe et la montée en puissance de l’Indo-Pacifique et de l’Amérique du Nord notamment des Etats Unis. Et pour cause, le chiffre à retenir est 26%  et c’est le poids du produit intérieur brut (PIB) des États-Unis dans l’économie mondiale. Un indicateur — 29 720 milliards de dollars de PIB en 2024 —, qui suffit à montrer, à lui seul, toute la puissance américaine. En comparaison, la zone euro fait pâle figure avec 15% du PIB mondial.

L’Europe, qui représentait encore un cinquième du PIB mondial, voit son influence économique et politique s’effriter. La croissance anémique de la zone euro, prévue à 0,9 % en 2024, témoigne d’un essoufflement structurel. La France, autrefois pilier de l’Union européenne, montre des signes inquiétants de stagnation, aggravés par un vieillissement démographique, un recul de l’innovation et une gestion inadéquate de la globalisation. Ces difficultés, bien que partagées par plusieurs nations européennes, touchent de manière disproportionnée par voie collatérale les territoires ultramarins, en particulier la Guadeloupe et la Martinique qui connaissent des difficultés économiques persistantes pour ne pas dire récurrentes.

Ces îles, déjà fragilisées par des faiblesses structurelles chroniques, subissent de plein fouet les effets du déclin économique européen et d’une instabilité politique et financière croissante de la France hexagonale . De la même manière, dans les pays émergents et les pays en développement, les prévisions de croissance sont revues à la baisse en raison des perturbations de la production et du transport des produits de base (du pétrole, en particulier), les conflits, les troubles sociaux et des phénomènes météorologiques extrêmes qui ont entraîné des révisions à la baisse des perspectives pour la région Moyen-Orient et Asie centrale, et pour l’Afrique subsaharienne.

Ces abaissements des prévisions ont été compensés par les révisions à la hausse des perspectives pour les pays émergents asiatiques, dont la croissance est stimulée par la forte augmentation de la demande de semi-conducteurs et de composants électroniques, alimentée par d’importants investissements dans l’intelligence artificielle. Cette tendance est épaulée par des investissements publics considérables en Chine et en Inde. Mais ce qui retient l’attention c’est que au-delà du ralentissement des principaux pays émergents comme la Chine, la Russie ou le Mexique, c’est la situation de certains pays de la caraïbe qui interpelle effectivement les économistes du FMI, l’organisme international basé à Washington.

En d’autres termes , le FMI s’inquiète car ce paradis des îles des Caraïbes est en péril :  Urgence climatique, surendettement et problèmes de financement – autant de sujets qui bouleversent les économies de la zone. Les plans d’adaptation de nombreuses économies souffrent actuellement de déficits de financement du fait de taux d’endettement élevés, de faibles profils de croissance et de soutiens insuffisants de la part des créanciers publics.

L’espace des Caraïbes comprend plus de 700 iles repartis entre 13 états souverains et 17 territoires d’outre-mer avec des liens à la France, au Royaume-Uni, à la Hollande ou encore aux Etats-Unis. Les économies de la zone ont principalement 3 moteurs de croissance :

– Le tourisme
– Les services financiers offshore spécialisés
– L’agriculture et la pêche.

Certaines économies ont en plus un tissu industriel : C’est le cas de Puerto Rico qui a un secteur manufacturier important notamment dans le domaine pharmaceutique.

C’est aussi le cas de Trinidad et Tobago qui a des industries dans l’énergie — le pays étant producteur du pétrole et fait partie des plus gros exportateurs mondiaux de gaz naturel liquéfié.

Les pays de la zone font partie des pays qui subissent le plus les effets du changement climatique alors qu’elles y contribuent le moins avec des émissions de gaz à effet de serre de moins de 1% au niveau mondial.

Le FMI estime ainsi que l’impact économique du changement climatique dans la zone est 6 fois plus élevé que dans d’autres régions du monde.

Les ouragans représentent les menaces les plus sévères, capables d’effacer l’équivalent d’une année de PIB en quelques heures – un problème d’autant plus prégnant que la zone est 7 fois plus vulnérables au risque d’Ouragan que le reste du monde et que les données montrent que les ouragans sont de plus en plus intenses.

Pour se rendre compte de l’urgence climatique qui guette ces économies, il suffit de prolonger les lignes des scénarios du GIEC pour le réchauffement climatique :

Dans le cas d’une montée globale des températures entre + 1,5 °C à + 4 °C, la montée des eaux pourrait être comprise dans une fourchette allant 3 à 10 mètres au cours des prochains siècles – ce qui pose un risque existentiel pour plusieurs îles d’autant que 65% de la population de la région vit à moins de 3 km des côtes et qu’environ 1/3 vit à moins de 10 mètres au-dessus du niveau de la mer

L’élévation du niveau de la mer, outre ses effets sur l’érosion des côtes, provoquerait aussi des infiltrations d’eau salée dans les nappes phréatiques – ce qui occasionnerait, en plus des épisodes de sécheresse, des manques d’eau douce pour les habitants et l’irrigation agricole.

Ainsi l’association des Etats de la Caraïbes craint aujourd’hui que des millions d’habitants de la zone ne deviennent des réfugiés climatiques, d’ici 2050.

Pour s’adapter au changement climatique et accroitre la résilience de leurs économies, les pays des Caraïbes doivent aujourd’hui procéder à d’importants investissement estimés à environ  100 milliards de dollars par le FMI.

Le problème c’est qu’actuellement les capacités financières des états sont fortement contraintes par :
. Des marchés locaux étroits et très peu dynamiques en terme d’échange extérieur.
. Par des profils de croissance faibles, souvent erratiques avec des reprises elles-mêmes tronquées par des événements climatiques répétés.

Cette situation pèse sur les dynamiques de dette dans une région du monde déjà fortement surendettée – compliquant d’autant plus l’accès aux marchés financiers internationaux.

Pour rappel, 6 des 10 pays les plus endettés au monde par rapport à la taille de leur économie se situent dans les Caraïbes, et la Covid-19 ainsi que la spirale inflationniste n’ont fait qu’accentuer les problèmes d’endettement puisque les pays de la zone ont connu des contractions de leurs économies en moyenne 3 fois supérieur au reste du monde.

La Caraïbe illustre avec une acuité particulière les risques liés à ce déclassement progressif de certains pays émergents . Haïti, autrefois présentée comme une nation prometteuse, est aujourd’hui sous l’emprise de gangs criminels et embourbée dans une crise humanitaire et sécuritaire sans précédent. Cuba, malgré ses efforts pour préserver son système politique, s’effondre économiquement sous le poids d’un embargo américain prolongé et de décennies d’inefficacité économique. Ces exemples reflètent une région dans laquelle les promesses de développement cèdent la place à des luttes pour la survie, à l’heure où l’Indo-Pacifique capte 62 % du PIB mondial et 65 % de la population.

La Caraïbe, incapable de s’intégrer pleinement dans cette nouvelle dynamique mondiale, reste prisonnière de ses dépendances historiques à des secteurs vulnérables comme le tourisme et l’agriculture. Par ailleurs beaucoup de pays des Caraïbes ne sont pas éligibles à des financements concessionnels à faible coût en raison de leur statut de pays à revenu intermédiaire. En l’état actuel des choses, ce qui s’avère sûr, c’est que les pays de la caraïbe ne pourraient pas être un moteur de croissance économique pour la Guadeloupe et la Martinique.

En effet, les pays des Caraïbes entretiennent des relations commerciales certes diversifiées avec plusieurs partenaires internationaux majeurs , mais les principaux flux commerciaux vers cette région proviennent des États-Unis, de l’Union européenne (UE) et du Canada.

– États-Unis: Les États-Unis constituent le principal partenaire commercial des Caraïbes, avec un partenariat économique dynamique. 

– Union européenne: L’UE est un partenaire commercial significatif pour les pays des Caraïbes, notamment à travers l’Accord de partenariat économique (APE) avec le Cariforum, qui comprend 15 pays caribéens. Cet accord facilite les échanges de produits tels que les bananes, les fruits tropicaux, le sucre, le rhum, les fruits secs, les épices, les fèves de cacao et le riz. 

– Canada: Le Canada maintient des relations commerciales avec les pays de la CARICOM, exportant des marchandises telles que le blé, les produits de fer et d’acier, le pétrole, le poisson, le papier journal, le fil de cuivre et les produits pharmaceutiques. En 2007, les exportations canadiennes vers la CARICOM ont totalisé 656,3 millions de dollars. 

Ces partenariats reflètent l’intégration des économies caribéennes dans le commerce international, avec une dépendance notable envers les États-Unis et le Canada pour leurs importations et exportations.

 Cependant , il existe bel et bien un déclin commercial de la zone caraibe qui est d’autant plus accentué par l’incapacité des économies émergentes et en développement à maintenir leur rythme de croissance des décennies précédentes. Alors que des puissances comme la Chine, l’Inde et le Brésil avaient dynamisé la croissance mondiale au début du siècle, leur essor semble aujourd’hui freiné par des dettes publiques élevées, des tensions géopolitiques et les effets du changement climatique.

Pourtant, l’Amérique du Nord, et en particulier les États-Unis, continue de renforcer sa domination mondiale. En 2023, les États-Unis ont attiré près de la moitié des flux de capitaux mondiaux, consolidant leur rôle de leader économique et financier dans un contexte où d’autres régions peinent à suivre.

Face à ces bouleversements, les territoires de la Caraïbe et notamment les départements français d’outre-mer, doivent faire face à des défis colossaux. En Guadeloupe et en Martinique, l’investissement, qu’il soit public ou privé, est en berne. Les politiques monétaires restrictives, la hausse des coûts de crédit et la faiblesse de la demande  pèsent lourdement sur les décisions des entreprises.

Les secteurs clés, comme la construction, stagnent, témoins d’une perte de confiance généralisée. De plus, les collectivités locales, contraintes par des budgets limités et des priorités nationales réorientées, peinent à initier des projets d’envergure capables de relancer l’économie. En parallèle, la dépendance aux subventions et à l’aide publique limite leur capacité à développer une autonomie économique réelle.

Pourtant, dans ce contexte morose, certaines opportunités émergent. Les États-Unis, avec leur performance économique impressionnante et leur rôle accru dans le commerce mondial, pourraient devenir un partenaire stratégique pour les Antilles françaises . Plutôt que de s’enfermer dans une logique de coopération régionale avec des voisins tout aussi fragiles, la Guadeloupe et la Martinique gagneraient à renforcer leurs liens avec l’Amérique du Nord, notamment le Canada.

Cette réorientation stratégique permettrait de profiter des dynamiques nord-américaines, bien plus porteuses, et d’attirer des investissements étrangers susceptibles de diversifier leurs économies.

Cependant, cette transformation exige un changement de paradigme. Les territoires ultramarins français doivent se détourner de leur dépendance historique à l’Europe, dont les priorités économiques sont de plus en plus recentrées sur ses propres défis. Ils doivent également repenser leurs politiques économiques pour favoriser l’innovation, développer des secteurs compétitifs et s’adapter aux défis environnementaux.

Le changement climatique, avec son lot de catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes, constitue une menace existentielle pour ces îles, mais aussi une occasion d’investir dans des solutions durables et résilientes à travers un changement de modèle économique .

Le déclassement de la Caraïbe, bien qu’inquiétant, n’est pas une fatalité. Si la Guadeloupe parvient à réorienter ses stratégies économiques, à diversifier ses partenariats et à tirer parti des nouvelles dynamiques mondiales, elle pourrait devenir un acteur de poids dans l’échiquier économique caribéen notamment avec le Hub de Grand port Maritime.

Cependant, cette transition nécessite des efforts considérables, tant au niveau local qu’international, pour éviter l’actuelle erreur stratégique de vision sur une réorientation future des échanges commerciaux vers la Caraïbe qui risque fort de devenir une zone marginalisée dans un monde en mutation rapide.

Two pwésé pa ka vwé jou ouvé….

*Economiste 

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