PAR JEAN-MARIE NOL
La grande distribution alimentaire n’est autre que l’arbre qui cache la forêt de la pwofitasyon en Martinique et Guadeloupe !
Le dispositif proposé pour lutter contre la vie chère en Martinique soulève des questions complexes et des conséquences potentielles sur le modèle économique actuel de l’île, en particulier sur les hypermarchés, et aussi toute la panoplie des commerces et des services où les marges sont tout aussi abusives. A la Guadeloupe et la Martinique, le prix des pièces détachées pour les voitures, demeure aussi un symbole de la vie chère comme d’ailleurs les services de toute nature.
Sur cette île des Antilles, la Martinique en proie à un mouvement de contestation depuis le début de septembre, le budget automobile des ménages est nettement plus élevé que dans l’Hexagone, alors que les concertations menées sous l’égide de la préfecture se concentrent quasiment sur l’alimentation. C’est là une grave erreur de nature à affaiblir le pouvoir d’achat global et changer le comportement des consommateurs victimes du système. La différence du panier alimentaire est certes de 40% avec l’Hexagone, mais pas que … !
Le dispositif proposé pour lutter contre la vie chère en Martinique suscite des débats et des interrogations quant à ses répercussions potentielles sur l’économie de l’île. L’objectif principal de ce plan est de réduire les coûts pour les consommateurs en supprimant les taux d’octroi de mer et la TVA sur des produits de première nécessité, tout en compensant cette perte fiscale par une augmentation des taxes sur les produits dits « premium » tels que les voitures de grosse cylindrée et les appareils électroniques ,etc…
Toutefois, si cette mesure semble attrayante en apparence, elle pourrait avoir des conséquences négatives inattendues pour l’économie locale.En outre, le dispositif fiscal mis en place pour compenser les pertes d’octroi de mer sur les produits essentiels ne garantit pas que les collectivités locales ne seront pas touchées. Une perte d’attractivité pour les hypermarchés et les importateurs pourrait à terme réduire l’assiette fiscale de ces secteurs, ce qui affecterait inévitablement les finances publiques. Cela est d’autant plus préoccupant dans un contexte où les communes dépendent en grande partie de ces recettes pour leur fonctionnement.
L’augmentation des taxes sur ces biens premium pourrait également inciter les consommateurs à contourner les points de vente locaux, préférant se tourner vers des plateformes en ligne ou effectuer leurs achats directement dans l’Hexagone ou à l’étranger.
Ce phénomène, appelé « fuite fiscale », pourrait s’intensifier, réduisant ainsi les recettes fiscales attendues pour la collectivité martiniquaise. L’objectif de compenser la suppression des octrois de mer pourrait donc échouer si cette tendance venait à se généraliser. Quatre fois déjà de réunions de négociations en un mois , mais le doute persiste sur une sortie de crise , même si les revendications autour de la vie chère centrées autour de l’alimentaire sont au cœur des préoccupations martiniquaises. Les acteurs de la distribution, les élus et la préfecture se sont réunis déjà quatre fois pour se pencher sur la différence de prix entre la Martinique et l’Hexagone.
La question de la vie chère en Martinique est un sujet complexe, récurrent et brûlant, cristallisé ces dernières semaines par un mouvement de contestation sociale d’une ampleur inédite. Les manifestations, portées par des collectifs tels que le RPPRAC, mettent en lumière les écarts de prix entre la Martinique et l’Hexagone, particulièrement dans le secteur de l’alimentaire, où les produits coûtent en moyenne 40 % plus cher sur l’île qu’en France métropolitaine. Si la grande distribution est souvent placée au cœur de cette problématique, la réalité du coût de la vie en Martinique est bien plus complexe et plonge ses racines dans des structures économiques héritées de la départementalisation , marquées par une forte dépendance aux importations, un réseau dense d’intermédiaires et des marges abusives de monopoles et oligopoles .
Le mouvement social, qui a débuté en septembre, a conduit à des concertations sous l’égide de la préfecture, impliquant les élus locaux, les acteurs de la distribution et les représentants du collectif RPPRAC. L’objectif affiché par les autorités est de parvenir à une baisse de 20 % des prix alimentaires, une ambition jugée nécessaire mais qui reste insuffisante aux yeux de nombreux observateurs.
Le préfet Jean-Christophe Bouvier a rappelé que l’économie martiniquaise n’est pas administrée et qu’elle est structurée autour d’une dépendance quasi totale aux importations : 80 % des biens consommés sur l’île proviennent de l’extérieur. Cette fragilité est accentuée par la petite taille du marché local, environ 370 000 habitants, rendant difficile toute politique visant à une réduction substantielle des prix sans affecter les équilibres économiques.Parmi les solutions envisagées figure la suppression de certaines taxes, notamment l’octroi de mer et la TVA sur les produits de première nécessité. En théorie, cela pourrait entraîner une baisse immédiate des prix pour les consommateurs.
Toutefois, cette mesure soulève de nombreuses interrogations quant à ses effets secondaires. D’un côté, la hausse prévue des taxes sur les produits dits « premium » (voitures de luxe, appareils électroniques, etc.) pourrait pousser les consommateurs à contourner le marché local en se tournant vers les plateformes d’achat en ligne ou en important directement ces biens depuis l’Hexagone ou l’étranger. De l’autre, les grandes enseignes de distribution, qui dominent le marché martiniquais, notamment le groupe GBH dirigé par la famille Hayot, pourraient être tentées d’augmenter les prix sur d’autres produits pour compenser la perte de revenus liée à la baisse des taxes sur les produits de première nécessité. Cela aggraverait encore la perception d’inflation sur des biens non essentiels, exacerbant ainsi le mécontentement général notamment d’une large fraction de la classe moyenne .
La domination de la grande distribution par les familles békées est l’une des principales sources de frustration pour les Martiniquais. Ces descendants des colons contrôlent une grande partie des chaînes d’approvisionnement et sont accusés de profiter de leur position dominante pour accumuler des marges au détriment des consommateurs. Le groupe GBH, qui détient des enseignes comme Carrefour, Decathlon, Renault ou encore Mr Bricolage, Bamy pneus, etc… est régulièrement pointé du doigt, tout comme les groupes Safo et CréO, dirigés respectivement par François Huyghues-Despointes et Patrick Fabre.
Le problème réside en grande partie dans la multiplicité des intermédiaires : selon l’ancien député Johnny Hajjar, il y aurait jusqu’à quatorze intermédiaires entre le producteur et le consommateur en Martinique, contre trois seulement en métropole. Chacun de ces intermédiaires applique une marge, contribuant à alourdir le prix final pour le consommateur.
Cette réalité de la pwofitasyon, terme créole désignant l’exploitation abusive des consommateurs, est particulièrement ressentie dans des secteurs comme l’automobile et aussi dans quasiment l’ensemble du commerce de gros et détail , où le coût des pièces détachées de voitures et autres appareils électroniques et électroménagers est nettement plus élevé qu’en métropole. Le budget automobile et autres appareils des ménages martiniquais est ainsi bien plus lourd, mais cette dimension de la vie chère semble encore largement ignorée dans les discussions officielles, centrées presque exclusivement sur l’alimentaire.Au-delà des taxes et de la grande distribution, certains plaident pour une autonomie alimentaire, une solution jugée idéale mais difficilement réalisable à court terme.
La production locale reste en effet marginale, incapable de répondre à la demande, notamment en raison des contraintes géographiques et climatiques de l’île. D’autres évoquent la mise en place d’une « Zone Franche Sociale », une mesure qui exonérerait totalement les salaires du secteur privé de charges patronales et salariales, permettant ainsi une relance de la consommation et de l’emploi. Bien que cette proposition semble séduisante, elle est jugée irréaliste par de nombreux acteurs en raison de son coût exorbitant pour les finances publiques, déjà sous pression.
La situation est d’autant plus préoccupante que les émeutes, pillages, destructions d’entreprises et grèves percutant de plein fouet le secteur touristique, pilier de l’économie martiniquaise, est également durement touché par la crise. Les annulations de réservations et la chute de la fréquentation frappent les petites entreprises locales qui dépendent des flux touristiques, fragilisant davantage un tissu économique déjà en difficulté. La situation est d’autant plus critique que le secteur touristique, vital pour l’économie de l’île, est particulièrement touché. Les agriculteurs, pêcheurs, chauffeurs de taxi, restaurateurs et bien d’autres petites entreprises, dont l’activité dépend en grande partie du tourisme, sont en difficulté.
Chaque entreprise qui ferme ou ralentit son activité fragilise l’économie locale et affecte de nombreuses familles. C’est bien dans ce contexte délétère que le Medef local appelle à la responsabilité et à une sortie de crise rapide, soulignant que chaque fermeture d’entreprise, chaque emploi perdu, affaiblit encore plus l’économie insulaire.
Dans ces conditions, la grande distribution, particulièrement critiquée, se trouve à un carrefour décisif. Si elle ne s’adapte pas aux nouveaux modes de consommation, marqués par une préférence croissante pour les circuits courts, les commerces de proximité et les achats en ligne, elle risque de connaître le même sort que ses homologues de métropole, où des enseignes comme Casino ont été contraintes de fermer de nombreux magasins en raison de la baisse de fréquentation. Le modèle de l’hypermarché, autrefois symbole de prospérité et de modernité, semble aujourd’hui peiner à s’adapter aux nouvelles réalités économiques et aux attentes des consommateurs.
Ce concept, qui permettait aux clients de tout trouver en un seul lieu, est désormais bousculé par plusieurs facteurs qui affaiblissent son attractivité. En France, les grandes surfaces, longtemps perçues comme le lieu idéal pour faire ses courses, connaissent une baisse de fréquentation qui s’accentue d’année en année. Même des géants comme Carrefour, leader de la grande distribution dans l’Hexagone, ne sont pas épargnés par ce phénomène.
Pourtant, aux Antilles, l’hypermarché reste une figure incontournable du paysage économique et social. L’une des principales raisons de cette différence réside dans la structure même du marché. Selon les données de l’Insee, les produits alimentaires y sont en moyenne 42% plus chers qu’en métropole. Cette inflation locale des prix s’explique en partie par une concentration excessive de la distribution, limitant la concurrence et laissant peu de choix aux consommateurs. Dans ces territoires, le rôle des hypermarchés reste donc central, offrant un accès à une large gamme de produits dans des régions où l’offre locale est limitée, parfois insuffisante, et souvent très coûteuse.
Si les Antilles semblent échapper, pour l’instant, à la crise des hypermarchés, l’Hexagone, lui, fait face à une véritable remise en question du modèle. Philippe Moati, économiste, explique que « ce qui est grand ne fait plus rêver ». Il associe cette désaffection à une prise de conscience croissante des enjeux écologiques liés à notre modèle de consommation, mais aussi à une volonté des consommateurs de se tourner vers des commerces plus humains et plus proches de leurs valeurs culturelles identitaires. Pour beaucoup, la grande distribution est désormais synonyme de surconsommation, de gaspillage et d’un commerce dépersonnalisé.
A cela s’ajoute la montée en puissance des plateformes de commerce en ligne, qui grignotent progressivement le marché du non-alimentaire, historiquement une source de marges confortables pour les hypermarchés. Des secteurs comme l’habillement, l’électroménager ou encore le high-tech, qui faisaient autrefois la force de ces grandes surfaces, sont désormais dominés en France hexagonale par des acteurs du e-commerce qui proposent des prix souvent plus compétitifs, une plus grande diversité de produits et un confort d’achat inégalé.
Le basculement de ces secteurs vers le numérique a laissé les hypermarchés démunis, les contraignant à se recentrer sur l’alimentaire, un domaine où les marges sont bien plus réduites. Un gérant d’hypermarché témoigne de ces difficultés : malgré un chiffre d’affaires de 17 millions d’euros par an, il explique que « si on dégage 50 000 euros [de bénéfices], c’est très bien ». Cette réalité souligne l’ampleur des défis auxquels seront confrontés ces établissements aux Antilles qui pourraient donc à terme se retirer du marché de l’alimentation, car en plus de la baisse de fréquentation, ils doivent composer avec des frais fixes importants, notamment en raison de la taille de leurs infrastructures, des coûts de gestion de leurs vastes surfaces, et des salaires d’un personnel nombreux. Ces charges pèsent lourdement sur leur rentabilité.
Pour tenter de maintenir leur équilibre financier, les hypermarchés n’ont d’autre choix que de durcir les négociations avec leurs fournisseurs, notamment sur les produits alimentaires. Ce secteur, longtemps considéré comme un pilier solide de leur modèle, devient aujourd’hui leur principale source de revenus, mais avec des marges étroites. Ces négociations tendues sont souvent ressenties par les consommateurs, qui constatent une hausse des prix dans les rayons, accentuant ainsi leur méfiance à l’égard de ces grandes surfaces.
Une telle évolution en Martinique pourrait entraîner l’effondrement d’une partie du tissu économique local. Ainsi, bien que le dispositif proposé pour lutter contre la vie chère en Martinique semble a priori avantageux, il comporte des risques importants. Une approche plus nuancée, prenant en compte les réalités du marché local, les comportements des consommateurs et les défis structurels de l’économie martiniquaise, serait sans doute plus efficace pour garantir un équilibre entre le soutien au pouvoir d’achat des ménages et la préservation du tissu économique de l’île. Les défis sont multiples, mais une solution viable devra nécessairement passer par un dialogue ouvert entre tous les acteurs, y compris les entreprises, les consommateurs et les autorités publiques.
En fin de compte, la situation en Martinique illustre la complexité des défis économiques auxquels est confrontée l’île. Le plan visant à supprimer l’octroi de mer sur les produits alimentaires essentiels et à compenser par une taxation des biens premium pourrait bien ne pas suffire à résoudre la question de la vie chère. Les solutions viendront sans doute de réformes plus profondes, impliquant une révision de toute la chaîne d’approvisionnement de l’ensemble du commerce et une adaptation du modèle de la grande distribution, tout en prenant en compte les spécificités du contexte martiniquais. Mais, pour y parvenir, un dialogue ouvert entre les autorités publiques, les grandes entreprises et les consommateurs sera indispensable, afin de garantir un avenir économique plus juste et plus durable pour tous.
Alors bien que le dispositif visant à réduire la vie chère en Martinique semble initialement avantageux, il est crucial de prendre en compte ses conséquences indirectes. Une approche plus nuancée, intégrant les changements dans les comportements des consommateurs et les défis auxquels fait face le modèle économique actuel qui n’est pas du tout basé sur la production locale serait sans doute plus efficace pour garantir un équilibre entre le soutien aux ménages et la préservation de l’économie de l’île.
*Economiste