Opinion. Un bras de fer sur la vie chère qui peut s’avérer improductif pour le pays Martinique ?

PAR JEAN-MARIE NOL*

En Martinique, la question de la vie chère et des tensions économiques s’intensifie avec l’apparition de mouvements comme celui des activistes RVN, qui se mobilisent pour dénoncer la hausse des prix, en ciblant particulièrement la grande distribution. Ils procèdent à des blocages, notamment des hypermarchés, tandis que le préfet, les acteurs de la grande distribution et les politiques semblent peiner à aborder les véritables enjeux de la vie chère et plus largement des problématiques économiques et sociaux qui touchent l’île.

En effet, en dépit du fait que l’ensemble des acteurs du monde économique, les élus, les services de l’Etat aient compris l’importance des enjeux et se sont réunis jeudi (5 septembre) en préfecture pour une table ronde sur la vie chère pour proposer au final une probable baisse de prix de l’ordre de 20% sur 2 500 produits de première nécessité qui devrait intervenir vers la fin de l’année. Mais, malgré tout , le trouble demeure sur une absence de sortie de crise crédible, car cette réunion a été notamment marquée par la sortie des activistes du RPPRAC, dès l’ouverture des négociations qui ne sont pas du tout d’accord avec les modalités de cette réunion, et qui dès lors maintiennent leurs exigences radicales de strict alignement de tous les prix sur ceux de l’Hexagone.

Mais ne nous voilons pas la face, car il existe une profonde fracture pour ne pas dire cassure au niveau du paysage politique et sociétal martiniquais. Il va bien falloir un jour purger ce problème de profond malaise responsable futur de déstabilisation durable de la société Martiniquaise. Et aujourd’hui, la seule question qui vaille est de savoir pourquoi la Martinique est la seule des régions et collectivités d’Outre-mer à rentrer de plein pied dans un débat conflictuel sans grande issue de sortie consensuelle dans l’immédiat, et des actions coup de poing virulentes sur le terrain.

Dans ce contexte de dialogue de sourds et de risques de dérapage vers une violence incontrôlable, les débats politiques locaux semblent être détournés vers des sujets plus symboliques, dominés par des totems et des tabous imposés par des groupuscules radicaux à l’ensemble de la population très sensible à cette thématique de vie chère et de revendications de nature identitaire.

Ces éléments tendent à exacerber les ressentiments et empêchent une réflexion constructive sur les véritables problèmes de fond auxquels la Martinique est confrontée en matière de vie chère. Le parti pris de ces totems et tabous, centré sur une rhétorique conflictuelle, représente un danger de déstabilisation pour l’avenir de la Martinique, car il pourrait conduire au retrait du marché de certains acteurs majeurs de la grande distribution, ce qui aggraverait la situation.

Nonobstant l’importance de la thématique de la vie chère, il est essentiel toutefois de se recentrer sur des sujets concrets comme le pouvoir d’achat, l’équilibre financier des collectivités locales, le dérèglement climatique, les relais de croissance, l’éducation et la violence des jeunes.

Ces questions, bien que complexes, peuvent être abordées de manière constructive, en mettant de côté les idéologies extrêmes pour rechercher un consensus sur la nature des problèmes et les solutions à y apporter. Toutefois, cette démarche exige un engagement sincère, et elle est souvent entravée par des débats identitaires et la question de l’autonomie de la Martinique, ce qui mine toute tentative de réforme constructive.

La Collectivité Territoriale de Martinique (CTM), sous la présidence de Serge Letchimy, se trouve actuellement en situation de crise financière. En effet, la CTM accuse l’État français de ne pas respecter ses obligations en matière de solidarité nationale, et envisage une procédure judiciaire pour compenser un manque à gagner estimé à 150 millions d’euros par an. Selon Letchimy, l’État n’a pas honoré ses engagements concernant la compensation des dépenses sociales liées à l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA), la Prestation de Compensation du Handicap (PCH) et le Revenu de Solidarité Active (RSA), qui pèsent de plus en plus sur le budget de la collectivité.

Ces allocations sociales représentent un tiers du budget de la CTM en 2023, et la non-compensation par l’État met en péril la capacité de la collectivité à assurer le développement économique et social de l’île. La création de la CTM en 2015 a accentué les difficultés budgétaires, car aucune dotation d’amorçage n’a été versée à la Martinique, contrairement à ce qui a été fait pour d’autres régions comme la Guyane. Les charges financières augmentent sans que les recettes suivent, aggravées par des mesures de revalorisation prises par l’État, mais non compensées financièrement. Cela place la CTM dans une situation où elle doit réduire son intervention dans le développement économique de l’île, risquant de ne plus être en mesure de verser les aides sociales à la population.

Cependant, cette procédure judiciaire contre l’État est perçue par certains comme une fuite en avant de Serge Letchimy, prisonnier d’une rhétorique idéologique qui masque l’urgence de la situation économique actuelle. Serge Letchimy, élu sur la base de promesses pharaoniques qu’il ne peut financer, semble se tourner vers l’État pour éviter de prendre ses responsabilités face aux difficultés financières croissantes.

Cette posture est jugée irresponsable par ceux qui estiment que la Martinique, déjà confrontée à une précarité budgétaire, ne peut se permettre d’aggraver encore sa situation en revendiquant des compétences qu’elle ne pourra pas financer, notamment dans le cadre d’un régime d’autonomie.

Le contexte national ne fait qu’aggraver cette situation. La France traverse elle-même une crise économique profonde, avec un déficit public qui devrait atteindre 6,2 % du PIB en 2024, et un effort de réduction des dépenses publiques estimé à 110 milliards d’euros d’ici 2027. Dans ce cadre, les finances de l’Outre-mer, et particulièrement celles de la Martinique, sont également menacées par les coupes budgétaires à venir.

Le budget alloué à ces territoires est dans le collimateur du prochain gouvernement, et il devient de plus en plus évident que les marges de manœuvre financières se réduisent. La seule issue crédible pour sortir de cette impasse serait d’abandonner les revendications idéologiques au profit d’une approche pragmatique. Il est temps pour la Martinique d’envisager un changement de modèle économique et social, notamment en utilisant les habilitations prévues par l’article 73 de la Constitution pour voter des lois locales adaptées aux réalités de l’île.

Ce recours à des solutions adaptées pourrait permettre de restaurer un certain équilibre entre l’État et la CTM, tout en offrant à la Martinique la possibilité de mieux gérer ses finances dans un cadre institutionnel plus stable et réaliste.

« Ayen di fòs pas bon » 

Traduction littérale : Rien de force n’est bon. 

Moralité : Les choses obtenues par usage de la force ne peuvent être profitables.

*Economiste 

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