Généticien, Serge Romana présente quelques réflexions à propos de la crise Covid-19 aux Antilles.
Médecin et scientifique, je contribue, depuis le 13 août, aux travaux du collectif CovidUrgenceOutremer. Dans ce cadre, j’ai participé à de nombreuses émissions et webinaires pour expliquer le consensus mondial scientifique et médical concernant la Covid-19 et la nécessité de la vaccination. Après trois mois de débat, je voudrais vous faire part de mes incompréhensions, de mes interrogations et de quelques réflexions.
7.2 milliards de doses de vaccin administrées
Au cours d’un webinaire, je suis resté interloqué face à une professionnelle de santé déclarant : « Je préfère mourir que de prendre le vaccin ». Comment peut-on énoncer une telle phrase alors que 7,2 milliards de doses de vaccin ont été à ce jour administrées au niveau mondial et qu’il existe donc des milliards de preuves des immenses bénéfices de ce vaccin par rapport aux faibles risques d’effets secondaires graves ? Quelle est la logique d’une telle affirmation, lorsque toutes les études en population comme celle publiée par EPI-Phare sur 22 millions de Français et celle réalisée sur 60 000 Antillais montrent que la vaccination protège 90 % de la population des formes sévères ?
Je cherche la rationalité de telles allégations et je n’en trouve pas. Si je suis capable d’expliquer la maladie, le virus et la révolution que sont les vaccins à ARN messager, en revanche je n’ai pas de réponse logique à une telle déclaration.
Les « collabos » d’une puissance « étrangère »
J’étais stupéfait à la lecture de la lettre d’une amie, médecin, témoignant que sa famille l’avait traitée de « collabo » parce qu’elle vaccinait ? Selon ce témoignage, qui fait écho aux multiples déclarations de pseudo leaders d’opinion, les vaccinés seraient donc les « collabos » d’une puissance « étrangère », la France, dont l’objectif serait d’exterminer par le vaccin (dénommé « la piqure »), les peuples de la Guadeloupe et de la Martinique.
Mais comment un vaccin peut-il devenir un indicateur d’une politique d’un gouvernement fut-il « colonial », puisqu’il le préconise (l’impose même) à l’ensemble de la population de l’Hexagone ? Quelle est la logique de ce raisonnement ? Avec de telles accusations, ils ont réussi « la performance » de plonger une partie non négligeable des populations martiniquaise et guadeloupéenne dans une terreur telle que nombreux sont les citoyens de ces régions qui ont peur de dire qu’ils sont vaccinés.
Des médecins traités de « criminels »
Ce qui me choque le plus est l’accusation lancée à la figure des médecins selon laquelle ils seraient des assassins, des criminels à la solde des firmes pharmaceutiques. Agents d’un gouvernement « colonial », ils refuseraient, selon ces leaders autoproclamés, de traiter leurs patients. Comment peut-on avoir de tels propos envers ceux qui ont soigné jours et nuits durant les mois de juillet et d’août, les flots de patients atteints de Covid-19, pour l’immense majorité non vaccinée ?
Comment peut-on salir en toute impunité la réputation de ceux dont l’attitude fut héroïque face au « tsunami Covid » qui s’est abattu sur la Guadeloupe et la Martinique en juillet 2021 ?
Comment des individus responsables peuvent-ils attaquer avec une telle violence ceux-là mêmes qui tous les jours les soignent et qui auront bientôt à prendre en charge la 5e vague Covid-19 qui s’annonce ?
Des pseudo leaders sans aucune expertise
Et, ce sont ces individus, grands pourfendeurs de médecins, ignorants des Sciences, qui se permettent de proposer des stratégies de traitement. Je n’en reviens toujours pas que ces pseudo leaders n’ayant aucune expertise en évaluation thérapeutique proposent l’hydroxychloroquine. Dans le même temps, l’OMS en déconseille l’utilisation en pratique courante et interdit la poursuite de son évaluation dans les études sous son égide.
Comment proposer une stratégie contre l’avis des experts mondiaux du Covid tout en n’ayant aucune compétence ou crédibilité sur le sujet ? Je suis resté sans voix en entendant les mêmes émettre de savantes réflexions sur les autorisations de mise sur le marché (AMM) conditionnelles des vaccins, procédés classiques dans une situation sanitaire d’urgence. Ce sont les mêmes également qui ont déclaré de façon péremptoire qu’il fallait suivre les prescriptions de médecins marginaux ou autres pseudo-scientifiques qui vendent leur « potion magique anti-Covid », concoctée on ne sait où et bien évidemment non validée ?
Un combat politique avec les médecins en otages
De telles postures sont profondément irrationnelles, car elles vont à l’encontre des résultats des travaux de dizaines de milliers d’articles régulièrement publiés dans les plus grands journaux scientifiques et médicaux.
Le « Je préfère mourir plutôt que de prendre le vaccin », l’anathème de collabo jeté à la figure des vaccinés, l’accusation de « criminels » crachée à la figure des médecins ne relèvent pas d’un débat sanitaire. Nous sommes ici projetés dans un combat politique dans lequel les médecins sont pris en otage. Les conséquences de ces positions anti-médecins, anti-scientifiques seront terribles. Comment la Martinique et la Guadeloupe pourront-elles faire face à la 5e vague maintenant que de nombreux jeunes médecins, profondément heurtés par le sort qu’il leur est réservé, s’apprêtent à partir ? Comment ne pas craindre l’augmentation des déserts médicaux qui s’annoncent après les anathèmes lancés ?
Il est grand temps que les sociétés civiles de la Guadeloupe et de la Martinique réagissent et protègent leur corps médical. C’est d’elles que doit venir la résolution de cette crise. Car assister en spectateur au lynchage de ses scientifiques, c’est se préparer un triste avenir, celui du règne de l’obscurantisme, source de régression sociétale.
Pr Serge Romana, généticien