Par Didier DESTOUCHES
Maitre de conférence à l’université des Antilles
Chercheur au CREDDI
En Guadeloupe, des évolutions politiques fortes sont en cours. Signes d’un changement à la fois de la culture politique traditionnelle locale et à la fois de la perception du rôle et de l’action de l’État depuis une décennie en Guadeloupe. Ce changement a été manifesté d’abord par les dernières élections municipales.
Dans plusieurs communes les majorités en place ont été sanctionnées lourdement : Gosier, Saint-François, Capesterre B/eau. Globalement, le changement des têtes et le renouvellement est de l’ordre de 50% avec 15 nouveaux maires et seuls quatre maires qui ont été réélus au deuxième tour. Un renouvellement inédit avec des maires jeunes et libres: Cédric Cornet, Loïc Tonton, Jean-Philippe Courtois, Claude Edmond…
Autre fait historique, la droite historique (LR) n’existe plus à l’échelon municipal. Le territoire s’est donc vu partagé entre la gauche socialiste divisée, quelques divers gauche dont un écologiste, et le parti GUSR désormais à la tête de plusieurs communautés d’agglomération et de nombreuses communes.
La campagne simultanée actuelle pour le département et la région a créé elle aussi des conditions inédites et fortes de nouveautés politiques. Il y a pour commencer la mise en oeuvre d’une stratégie longuement élaborée par le GUSR de contrôle hégémonique des collectivités territoriales de l’archipel, y compris les collectivités majeures.
Le lancement, sur les réseaux sociaux, de la campagne de ce parti ayant même laissé paraitre qu’en réalité la candidature de renouvellement du président Chalus n’était qu’une partie de cette stratégie globale pilotée par le président Losbar.
Autre illustration : la dernière place de Guy Losbar sur la liste Chalus et l’armada GUSR lancée à l’assaut du département en suite logique du succès précédent des municipales. C’est une nouveauté politique car en cas de succès de cette stratégie, le leadership politique de la Guadeloupe basculerait inévitablement vers le département.
La volonté présumée du président du GUSR d’accéder à la tête de l’exécutif départemental puis de redéfinir les rapports et les actions communes des deux collectivités est à cet égard plus que révélatrice. Et cette volonté incarne aussi une esquisse de ce que pourrait être la dynamique de mise en place d’une assemblée unique réunissant les deux collectivités. Le changement institutionnel est, quoi qu’on en dise, peut-être en germe derrière cette campagne électorale.
De toute évidence, nous sommes à une heure où la fracture territoriale révèle un échiquier politique en mutation. Nous évoluons dans le même temps dans un contexte où le désengagement territorial de l’Etat auprès de ses collectivités locales rend incertaine toute définition de politique publique ambitieuse.
Nous avons hélas assisté il y a quelques mois à un véritable Atlantide territorial avec deux collectivités dépassant, avec plus de 70 millions d’euros, pour l’une un déficit record (Pointe-à-Pitre) et pour l’autre une dette record (sud-Caraïbes).
En dépit de cela, la campagne est marquée par une autre nouveauté politique : la place centrale de la question de l’autonomie statutaire dans le débat politique. Naguère, le fond et la forme de ce type de débat étaient en réalité toujours limités et liés aux intérêts politiques des partis majoritaires et qui ne sont d’ailleurs pas forcément majoritaires dans l’opinion.
La question de l’autonomie est un enjeu sociétal et la société devait être entreprenante et sollicitée pour y prendre part. C’est désormais chose faite et c’est une autre nouveauté politique. En effet, devant la gravité de la situation économique et sociale, le citoyen guadeloupéen est en grande défiance devant l’action des élus et il s’organise de plus en plus pour prendre part au débat public.
De nombreuses organisations et mouvements citoyens fleurissent sur le territoire et prennent à bras le corps des questions irrésolues ou dans l’impasse qu’il s’agisse du statut du territoire , de l’eau, de la violence, de l’autosuffisance alimentaire, de la culture, ou du chlordécone, etc.
Certains ont présenté une liste pour les régionales et ciblent les insuffisances du cadre statutaire actuel. Parallèlement, les partis et candidats traditionnels intègrent la question de l’autonomie dans leur discours médiatiques. C’est donc une dynamique nouvelle qui est concrète et constructive, sous réserve de qualité des programmes proposés.
La place importante qu’a décidé de prendre la société civile incarnée par de nombreuses personnalités guadeloupéennes telles que Dominik Coco, Karyne Gatibelza, Suzie Zozio, Antoine Chérubin, Vincent Tacita, Fred Deshayes, Clara Palmiste, Pierre Chadru et tant d’autres dans le débat démocratique territorial et dans les élections à venir est nouvelle et révélatrice de l’amorce du changement qu’ont apporté les réseaux sociaux et la crise sanitaire dans le rapport entre les citoyens et l’autorité politique nationale ou locale.
Le nombre de femmes conduisant des listes pour les régionales est une autre nouveauté politique engendrée par cette campagne électorale, tout comme le nombre important de jeunes candidats présents pour les départementales et sur les listes des régionales.
Enfin l’une des nouveautés les plus remarquables est la quasi disparition de la discipline politique. Aujourd’hui l’on peut être adjoint d’un maire et être en même temps son adversaire sur une autre liste que la sienne pour les élections régionales. On peut soutenir une candidature massivement puis en soutenir une autre à cause d’un désaccord. On peut même être un jeune élu débutant en politique et être candidat sans avoir reçu l’aval de son chef de majorité ou de son chef de parti. Les cadres classiques explosent…
Ce n’est donc pas une campagne électorale classique ou identique aux précédentes. Même si il est possible que le résultat des élections ne débouche pas dans l’immédiat sur un changement de gouvernance et de direction de ceux qui seront élus, il y a indéniablement des changements importants dans les comportements politiques et dans la structuration de l’offre politique en Guadeloupe.