Opinion. Recours citoyen sur l’eau potable en Guadeloupe de la Goutte d’Eau : une plainte toujours d’actualité

Le 10 février 2023, il y a un an, cinq citoyen.ne.s guadeloupén.ne.s formant le collectif de La Goutte d’Eau (ci-après « GDE ») ont sollicité le cabinet Vigo, en la personne de Me Emmanuel Daoud, pour les représenter dans un recours relatif au défaut d’eau potable en Guadeloupe.

Ce recours se présente en deux volets : recours au civil d’une part, plainte au pénal d’autre part. En un an, de nombreuses personnes ont rejoint la plainte pénale, ouverte à tout.e résident.e en Guadeloupe, ainsi que par la Ligue des Droits de l’Homme (ci-après « LDH »). Aujourd’hui, le nombre total des plaignant.e.s s’élève à plus de 160 personnes. « 

Pourquoi ce recours ? En Guadeloupe, les coupures d’eau sont quotidiennes. Elles durent généralement plusieurs jours continus et jusqu’à plus d’un mois. Lorsque l’eau est disponible, elle n’est pas potable, du fait de la vétusté des installations, de la défaillance de l’assainissement et des multiples sources de contamination, notamment au chlordécone.

Un an après le dépôt de la plainte, en pleine saison touristique, les coupures d’eau connaissent un pic insoutenable tant dans les foyers que dans les institutions publiques et les structures touristiques. Force est de constater que la situation perdure et ne cesse de s’aggraver.

Ce recours est plus que jamais pertinent et d’actualité. Le cabinet VIGO porte la voix des plaignant.e.s. « Parce que l’accès à l’eau potable en Guadeloupe est droit humain fondamental, le cabinet Vigo s’est engagé à représenter les citoyen.ne.s guadeloupéen.ne.s et à porter la voix des plaignant.e.s à titre gracieux. » Maître Emmanuel Daoud.

En quoi consiste ce recours ? L’action civile devant précéder l’action pénale, ce n’est pas un mais deux recours qui ont été initiés en 2023. Au civil, le recours regroupe quatre requérant.e.s qui réclament indemnisation pour les préjudices subis. Inspiré d’un recours individuel couronné de succès à la Réunion en 2020, la requête focalise sur la non-potabilité de l’eau et engage la responsabilité contractuelle des opérateurs de l’eau défaillants qui existaient avant la mise sur pied de la structure unique du Syndicat Mixte de Gestion de l’Eau et de l’Assainissement de Guadeloupe (SMGEAG).

Au pénal, la plainte repose sur trois fondements juridiques : 1° l’exposition d’autrui à un risque immédiat de mort ou de blessure de nature à entraîner une infirmité permanente (article 223-1 du code pénal) ; 2° le délit spécifique attaché à la potabilité de l’eau (article L. 1324-3 du code de la santé publique) ; 3° la soumission d’autrui à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine (Article 225-14 du code pénal). Quels résultats ?

Début 2023, la plainte a rencontré un succès inégalé. Elle a été rapidement rejointe par une centaine de plaignant.e.s ainsi que par la LDH en avril. L’enquête a été ouverte dès le mois de mai par le Procureur général de Guadeloupe, qui a annoncé doter le Parquet de toutes les ressources nécessaires pour mener l’enquête.

Cette dernière a été confiée au Pôle environnement du Parquet de Basse-Terre. Cette équipe d’enquêteurs.trices spécialisé.e.s a ouvert l’enquête de manière effective avec de premières auditions dès le mois de juin. 1 Le « Parquet » est le terme désignant le ministère public, c’est-à-dire les magistrats intervenant pour demander l’application de la loi au nom de l’intérêt de la société.

« L’enquête va rechercher les responsabilités de ceux qui distribuent de l’eau » (franceantilles.fr) Par ailleurs, depuis le dépôt de la plainte, les interdictions officielles de consommer l’eau du robinet ont été introduites et se sont multipliées. Pour le seul mois d’août 2023, elles s’élevaient à sept. Avant l’initiative de cette plainte, les non-conformités étaient rarement communiquées et non systématiquement.

Ce recours a de toute évidence contribué à rappeler à leurs responsabilités les personnes physiques ou morales susceptibles d’être inquiétées pour manquement à leur obligation légale d’informer la population en cas de non-potabilité de l’eau. Enfin, la plainte a retenu l’attention de plusieurs acteurs externes à la Guadeloupe.

Sabrina Cajoly, plaignante et juriste en droit international des droits humains, a porté l’action au niveau international et mobilisé :

➢ Les Nations Unies : trois (3) comités des Nations Unies ont exhorté la France à approvisionner de toute urgence la Guadeloupe en eau potable et à indemniser les victimes de l’eau polluée, notamment au chlordécone. De plus, le Rapporteur Spécial des Nations Unies sur les droits humains à l’eau potable et à l’assainissement a effectué une visite académique en Guadeloupe en fin d’année. C’était une première de cette nature.

➢ La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) qui « recommande de prendre urgemment toutes les mesures nécessaires pour indemniser l’ensemble des victimes de la chlordécone et pour permettre à l’ensemble de la population en Guadeloupe et Martinique d’avoir accès de manière continue à l’eau potable.» ;

➢ Les autres territoires ultramarins, tels que Mayotte, qui a produit une vidéo conjointement avec la Guadeloupe intitulée «Mayotte a soif, la Guadeloupe a soif, l’Outre-mer a soif» et dont le mouvement « Mayotte a soif » a initié les mêmes types de recours qu’en Guadeloupe et contracté également Me Daoud au pénal.

Quelles suites ? La procédure civile et l’enquête pénale suivent leurs cours et de nouveaux développements sont attendus en 2024. A ce jour, hélas, l’opérateur de l’eau et les autorités n’appliquent toujours pas les mesures d’urgence demandées par la population – telles que la distribution de citernes, la fourniture de fontaines d’eau potable et l’annulation des factures – en attendant les mesures nécessaires sur le long terme, telles que la réfection des réseaux d’eau et d’assainissement ou encore la compensation pour le préjudice subi. C’est pourquoi la mobilisation doit continuer.

La Goutte d’eau : recoursh2o@gmail.com
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