PAR DIDIER DESTOUCHES*
Les sondages pèsent de plus en plus sur le choix des électeurs mais aussi sur l’orientation des thèmes de campagne. Et ils le font de façon excessive et pas toujours licite. Par exemple comment comprendre que des candidats non déclarés à l’élection présidentielle (Éric Zemmour par exemple) soient dans les mêmes sondages que les candidats déclarés ou même désignés ?
De même comment expliquer l’absence d’autres candidats dans la plupart des sondages (Arnaud Montebourg par exemple) ?
Au-delà des réponses que l’on devine, nul doute que ces pratiques bien visibles par le citoyen, confortent la distanciation démocratique que prennent les français en s’abstenant ou en votant blanc ou nul lors des élections.
Avec la dilution des idéologies, l’affadissement des convictions, la ringardisation des programmes et des idées, les élections deviennent progressivement un affrontement de postures transgressives et de communication marketing plus qu’une confrontation entre hommes d’état et leaders d’opinion.
La marée montante de sondages pour l’élection présidentielle fait voguer violemment l’électeur endormi vers un match de second tour entre les deux mêmes figures emblématiques de ce changement actuel de rythme et de valeur démocratique : Emmanuel Macron et Éric Zemmour.
Non seulement Éric Zemmour a doublé son pourcentage d’intention de vote en un mois, passant de 6 à 12% en septembre (chez Harris interactive), mais il est désormais passé devant Marine Le Pen en atteignant 17% d’intentions de vote en ce début d’octobre.
Il est donc devenu le challenger (non déclaré) du président de la République qui est un candidat en campagne mais également non encore déclaré.
C’est inédit et très douteux, mais Zemmour est bien un phénomène qu’il convient d’observer et de connaître. D’un point de vue « idéologique », Éric Zemmour c’est à la fois: la réhabilitation du pétainisme, la xénophobie et l’islamophobie comme programme, la valorisation du négationnisme historique, le différentialisme culturel donc le néo-racisme (racisme sans mention de race), la promotion de la virilité et l’homophobie larvée; et précision importante : l’acceptation de l’intégration de la France à l’union européenne…
Tout en ayant imposé le thème de la campagne : l’immigration, pour le moment, il n’a aucune vision sociale, aucune vision économique, aucune vision internationale, aucune vision territoriale développée lors de ses prestations médiatiques.
L’engouement pour sa participation plus que probable à l’élection présidentielle française est le signe du basculement depuis cinq ans de l’électorat français vers les candidats disruptifs et messianiques, qui bénéficient soit d’un buzz permanent médiatique, soit d’un soutien indirect des médias, soit les deux.
L’erreur manifeste que commettent les adversaires de Zemmour est de stigmatiser ses valeurs alors que de très nombreux électeurs ne s’intéressent plus ni aux idées ni aux valeurs mais à la puissance transgressive, à la marginalité, à l’art oratoire, et aux méthodes populistes d’un candidat qui tape avec force sur un système politique qu’ils ne supportent plus; là où Marine Le Pen a décidé de se rationaliser et de se « républicaniser » quelque peu.
Macron, lui, est désormais très seul. Même s’il tire un trait sur son mouvement En Marche et crée un parti de la majorité présidentielle, ses élus parlementaires ne sont pas assez ancrés localement. Il ne peut gagner que grâce à sa position privilégié et distributive de chef de l’État et à la fameuse prime au sortant ainsi qu’au maintien de sa place dans les sondages de popularité et d’intentions de vote.
Mais sans structure militante reconnue, sans militants motivés de toutes les générations, sans ancrage territorial; et avec un front républicain contre l’extrême droite qui est mort et enterré; on risque bien de constater un écart édifiant entre les sondages et son score au soir de l’élection. Et puis l’homme reste très clivant. Alors que l’on ne s’y trompe point. Zemmour est un véritable danger pour la République, et cela à double titre.
D’abord il ne prend pas des électeurs qu’à le Pen mais il draine de nombreux abstentionnistes et citoyens anti-Macron. Maintenant que les sondages lui ont donné l’onction qu’il attendait alors qu’il est encore plus seul et isolé que Macron en 2016, il va continuer son ascension et il va continuer à siphonner l’électorat des LR (avec les nombreux déçus fillonistes), celui du RN, les souverainistes, mais aussi et surtout celui des abstentionnistes.
Ensuite, à la différence de la plupart des observateurs, nous pouvons dire que Zemmour qui connait suffisamment bien l’histoire pour la falsifier en permanence, voit plus loin que sa propre candidature. C’est un homme qui rêve avant toute chose de victoire idéologique, de grand soir fasciste; plus de que de victoire électorale et qu’il peut donc servir en réalité de levrier pour LE PEN en lui constituant un réservoir de voix , notamment venu de la droite républicaine, pour le 2 e tour et qui risque de tout changer.
L’inverse étant une probabilité tout aussi dangereuse…
*Universitaire et essayiste. Auteur de la République à bout de souffle et Disco