PAR JEAN-MARIE NOL*
Le Mercosur, c’est l’accord commercial que l’Europe veut signer avec les pays d’Amérique du Sud.
En discussion depuis plus de vingt ans, ce traité commercial de libre-échange entre l’UE et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay) doit être de nouveau sur la table des discussions lors du G20, qui a débuté le 18 novembre au Brésil. S’il est conclu, cela créerait la plus grande zone de libre-échange de la planète, avec un marché englobant 780 millions de personnes.
Que pourrait changer ce traité pour le secteur agricole de la Guadeloupe déjà très mal en point ?
Si les agriculteurs et le monde politique français sont vent debout contre le traité du Mercosur, la Guadeloupe pourrait y trouver un certain avantage dans le cadre de la création d’un nouveau modèle économique. Ce nouveau modèle économique ne serait non plus basé sur la dépendance aux importations, mais sur un développement économique endogène à partir de l’importation de matières premières primaires destinées à développer une industrie agroalimentaire en Guadeloupe.
En effet, d’après la théorie des avantages comparatifs énoncée par les économistes Adam Smith et David Ricardo, lorsqu’un pays se spécialise dans la production pour laquelle il est, comparativement à ses partenaires, le plus avantagé ou le moins désavantagé, il est alors assuré d’être gagnant au jeu du commerce international.
En économie, l’avantage comparatif constitue le concept principal de la théorie classique du commerce international. C’est une théorie qui défend l’intérêt pour un pays de se spécialiser dans la production d’un produit ou service dans lequel il détient le meilleur avantage par rapport à la concurrence.
Ce nouveau modèle économique que nous préconisons pour la Guadeloupe s’avère plus que jamais d’actualité sachant que l’agriculture locale est moribonde et ne répond plus depuis des décennies et ne répondra pas aux besoins de la population. L’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur, bien qu’au centre de nombreuses controverses en Europe, pourrait offrir à la Guadeloupe des opportunités significatives dans le cadre d’un nouveau modèle économique.
Alors que l’île fait face à une agriculture locale en déclin et à une dépendance accrue aux importations, ce traité pourrait devenir un levier stratégique pour dynamiser son économie en misant sur l’importation de matières premières primaires en vue de développer une industrie agroalimentaire locale.
Ce changement de paradigme, bien qu’ambitieux, s’inscrit dans une logique de redéfinition des fondements économiques de la Guadeloupe, visant à rompre avec les failles structurelles actuelles.
Le Mercosur, en connectant la Guadeloupe à un marché élargi et compétitif, pourrait permettre l’importation à moindre coût de matières premières agricoles depuis les pays d’Amérique du Sud. Le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay, riches en ressources agricoles telles que le soja, le maïs, les fruits tropicaux ou encore la viande, pourraient répondre aux besoins de l’île en approvisionnement.
À l’heure où l’agriculture guadeloupéenne peine à subvenir aux besoins locaux, cette possibilité d’accès privilégié à des produits bruts constitue une alternative intéressante pour pallier la faiblesse des productions locales tout en évitant les coûts parfois prohibitifs des importations métropolitaines. Cette dynamique pourrait également contribuer à diversifier les sources d’approvisionnement, renforçant ainsi la résilience économique de l’île face aux fluctuations des marchés internationaux.
En intégrant ces matières premières importées à un processus de transformation sur place, la Guadeloupe pourrait amorcer le développement d’une véritable industrie agroalimentaire locale. Ce secteur, aujourd’hui embryonnaire, représente pourtant un potentiel important pour créer de la valeur ajoutée, générer des emplois et stimuler une croissance économique endogène.
L’importation de produits agricoles à bas coût en provenance du Mercosur offrirait une base pour la production de denrées alimentaires transformées, adaptées aux besoins et goûts des consommateurs guadeloupéens et régionaux. L’émergence de petites et moyennes entreprises spécialisées dans la transformation de produits alimentaires – allant de la conserve aux jus de fruits en passant par les plats préparés – pourrait également favoriser l’innovation et l’entrepreneuriat local.
De plus, cette stratégie de transformation locale s’accompagnerait d’un potentiel d’exportation vers les marchés caribéens et américains, renforçant l’intégration économique régionale de la Guadeloupe. En valorisant sa position géographique stratégique entre les Amériques et l’Europe, l’île pourrait se positionner comme un hub agroalimentaire exportant des produits finis de qualité vers ses voisins.
Cela contribuerait à réduire l’isolement économique de la Guadeloupe et à lui permettre de jouer un rôle actif dans les dynamiques commerciales régionales, tout en diversifiant ses débouchés économiques.
L’accord Mercosur pourrait également avoir des répercussions indirectes positives sur le tissu économique guadeloupéen. Le développement d’une industrie agroalimentaire nécessiterait la création d’infrastructures adaptées, comme des unités de transformation, des entrepôts de stockage et des plateformes logistiques. Ces investissements, en stimulant l’activité dans les secteurs de la construction et des services, entraîneraient un effet multiplicateur bénéfique pour l’économie locale.
Par ailleurs, l’émergence de nouvelles chaînes de production pourrait également encourager des collaborations avec des acteurs régionaux et internationaux, renforçant l’expertise et l’attractivité économique de l’île.
Sur le plan social, cette stratégie pourrait contribuer à réduire le chômage, particulièrement élevé en Guadeloupe. En offrant des opportunités d’emplois directs dans les usines de transformation et indirects dans les secteurs liés à la logistique, à la distribution et à la commercialisation, elle permettrait de répondre à l’une des préoccupations majeures des habitants.
De plus, cette dynamique pourrait encourager la formation de la main-d’œuvre locale et le développement de compétences spécifiques dans le domaine de l’agroalimentaire, favorisant ainsi une montée en qualification des travailleurs guadeloupéens.
Enfin, en s’orientant vers un modèle économique axé sur la transformation locale, la Guadeloupe pourrait amorcer une réduction progressive de sa dépendance aux importations de produits finis, une problématique majeure dans la lutte contre la vie chère.
Actuellement, l’importation de produits transformés depuis la métropole, souvent à des prix élevés, pèse lourdement sur le pouvoir d’achat des ménages. En produisant localement des alternatives compétitives, l’île pourrait offrir des produits accessibles à un coût moindre, tout en renforçant sa souveraineté économique.
Cependant, pour que la Guadeloupe puisse tirer pleinement parti des opportunités offertes par le Mercosur, plusieurs défis devront être relevés. D’une part, l’adaptation des infrastructures et des compétences locales exigera des investissements conséquents de la part des autorités publiques et des acteurs privés. D’autre part, il sera nécessaire de veiller à ce que cette ouverture commerciale ne mette pas davantage en difficulté les agriculteurs locaux, déjà fragilisés.
Un équilibre devra être trouvé entre l’importation de matières premières et le soutien à la relance d’une agriculture locale, notamment à travers des politiques incitatives et des aides ciblées.
L’accord Mercosur, s’il est conclu, pourrait donc représenter une opportunité stratégique pour la Guadeloupe dans sa quête d’un nouveau modèle économique. En misant sur l’importation de matières premières bon marché et leur transformation locale, l’île pourrait amorcer une dynamique de développement économique autonome, capable de créer de l’emploi, de réduire les coûts pour les consommateurs et de stimuler les exportations.
Cette démarche, bien qu’exigeante, incarne une vision ambitieuse pour sortir des impasses du modèle actuel, tout en positionnant la Guadeloupe comme un acteur économique dynamique au sein de sa région.
» Mété tèt a’w égal a kó a’w ! «
Traduction Littérale : Mets ta tête égale à ton corps
Moralité : Fais attention à la perception en marche de l’avenir et réfléchis bien !
*Economiste