PAR JEAN-MARIE NOL*
La crise politique et institutionnelle qui secoue actuellement la France, exacerbée par la dissolution de l’Assemblée nationale, trouve ses racines dans des réformes antérieures qui ont profondément bouleversé le paysage politique du pays.
Les effets inattendus des lois peuvent être seulement incidents ou secondaires. Mais, certaines lois ou décisions non seulement manquent leur cible mais produisent des effets différents voire contraires aux effets espérés par le décideur ou le législateur de façon délibérée ou non. On appelle effets pervers ce type de phénomène.
Ne peut-il arriver que des textes, tout en ayant effet, aient un autre effet que celui que leur auteur avait voulu ? Cet élément boomerang de la dissolution et cette instabilité politique inattendue, bien que récente dans sa manifestation, plonge en réalité ses origines dans des décisions législatives passées, notamment la loi sur le non-cumul des mandats et la fusion des régions.
Ces mesures, qui visaient à moderniser et rationaliser la vie politique française, ont eu des conséquences inattendues, alimentant un climat de radicalité et de fragmentation sociale qui fragilise aujourd’hui le tissu démocratique du pays. La loi sur le non-cumul des mandats, entrée en vigueur en 2017, visait à réduire la concentration des pouvoirs et à renouveler la classe politique en limitant la possibilité pour un élu de cumuler plusieurs fonctions exécutives. En théorie, cette réforme devait favoriser un meilleur partage des responsabilités et éviter la surreprésentation de certains élus dans la vie publique.
En pratique, elle a conduit à un renouvellement parfois brutal de la classe politique, précipitant l’émergence d’un « jeunisme » et d’une radicalité chez des élus souvent sans ancrage local et moins expérimentés, mais plus enclins à adopter des positions tranchées. Cette situation a été particulièrement visible lors des dernières élections législatives, où un grand nombre de nouveaux députés, issus de mouvements politiques récents ou marginaux, ont fait leur entrée à l’Assemblée nationale.
Ce renouvellement rapide et massif a certes introduit de nouvelles idées, mais il a aussi conduit à une polarisation accrue du débat politique. La perte de repères politiques traditionnels, conjuguée à l’arrivée de jeunes élus souvent parachutés sans aucune expérience et parfois déconnectés des réalités locales, a contribué à un climat de défiance généralisée, accentuant la fragmentation du paysage politique.
Résultats des courses, le personnel politique est face à une défiance généralisée de l’électorat. Ainsi, selon la dernière vague de l’enquête électorale Ipsos pour Le Monde, la Fondation Jean Jaurès, le Cevipof et l’Institut Montaigne, 85% des sondés pensent notamment que les politiques ne se préoccupent pas des Français comme eux, tandis que seulement 9% déclarent avoir confiance dans les partis. En outre, l’image des députés, du Premier ministre et surtout celle du chef de l’Etat est particulièrement écornée.
La dissolution de l’Assemblée nationale, qui devait être un mécanisme de stabilisation en cas de crise, n’a fait qu’amplifier ces divisions, révélant une incapacité à dégager des majorités stables et à construire des consensus.
En parallèle, la fusion des régions, imposée par la réforme territoriale de 2015, a également joué un rôle crucial dans la reconfiguration de la vie politique française. En créant de vastes entités régionales, cette réforme visait à renforcer l’efficacité administrative et à permettre une meilleure répartition des ressources. Toutefois, cette centralisation des pouvoirs régionaux a eu pour effet de créer un phénomène d’archipelisation de la société française.
Les territoires ruraux et périphériques, déjà fragilisés par la désertification économique et la réduction des services publics, se sont trouvés encore plus éloignés des centres de décision. Cette situation a nourri un sentiment d’abandon et de relégation parmi les populations de ces zones, accentuant le clivage entre les métropoles dynamiques et les campagnes délaissées.
L’effet combiné de ces réformes a ainsi contribué à une fracture territoriale et politique de plus en plus marquée, où l’éloignement des citoyens des centres de pouvoir a renforcé le populisme et la défiance envers les institutions. Dans ce contexte, les aspirations autonomistes de certaines régions ou départements, comme la Guadeloupe et la Martinique ne sont pas surprenantes.
La demande d’une assemblée unique en Guadeloupe, par la fusion de la Région et du Département, s’inscrit dans une volonté de mieux adapter la gouvernance locale aux spécificités du territoire. Cependant, cette proposition, si elle est mal gérée, risque de reproduire les mêmes erreurs que celles commises à l’échelle nationale.
La création d’une assemblée unique en Guadeloupe pourrait en effet entraîner une centralisation des pouvoirs locaux, au détriment des services publics de proximité, aggravant ainsi les inégalités entre les différentes parties du territoire notamment la Basse-Terre et la Grande-Terre. L’expérience française de la fusion des régions a montré que la concentration des pouvoirs n’est pas toujours synonyme d’économies d’échelle voire d’efficacité et qu’elle peut au contraire accentuer les disparités entre les zones rurales et urbaines.
De plus, dans un contexte où la confiance envers les institutions est déjà érodée, toute réforme perçue comme une concentration supplémentaire des pouvoirs risque d’accentuer le sentiment de marginalisation des populations les plus éloignées des centres de décision.
Il est donc crucial que les autorités guadeloupéennes continuent à réfléchir très sérieusement si elles optent pour un assentiment du peuple à cette réforme, s’assurent que la fusion des institutions s’accompagne de garanties solides pour maintenir une proximité avec les citoyens et éviter une rupture de confiance.
En effet, l’exemple de la Martinique, même si il est encore trop tôt pour établir un bilan d’étape, interroge à plus d’un titre à propos de la désaffection croissante des citoyens martiniquais à l’égard de la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM), créée suite à la fusion de la Région et du Département en 2015. Bien que la réforme visait à simplifier la gouvernance locale et à améliorer l’efficacité administrative, elle semble avoir engendré des défis inattendus qui alimentent les critiques.
Les citoyens expriment leur exaspération face à des démarches administratives jugées trop longues et compliquées, ce qui contribue à l’impression que la CTM n’est pas à la hauteur de ses promesses d’efficacité. Cette situation est aggravée par des ressources humaines et financières parfois déficientes pour répondre aux attentes des chefs d’entreprises, notamment dans le contexte de la gestion des fonds européens.
L’histoire récente de la France montre que toute réforme institutionnelle majeure doit être pensée en prenant en compte les spécificités locales et les risques de fragmentation sociale. La crise actuelle, nourrie par des réformes qui n’ont pas suffisamment anticipé leurs conséquences à long terme, offre une leçon précieuse : l’efficacité administrative ne peut se faire au détriment de la cohésion sociale. Dans un pays où les territoires sont divers et où les identités locales sont fortes, toute centralisation excessive est susceptible de provoquer des réactions de rejet et d’alimenter des dynamiques centrifuges.
La situation en France aujourd’hui est celle d’un pays en quête d’un nouvel équilibre politique, après des années de réformes qui ont bouleversé les structures de pouvoir sans toujours répondre aux aspirations des citoyens. La dissolution de l’Assemblée nationale n’est que la dernière manifestation d’un malaise plus profond, qui trouve ses racines dans un manque de concertation et de compréhension des dynamiques locales. Pour éviter que cette crise ne se répète à d’autres échelles, comme en Guadeloupe, il est impératif de tirer les leçons du passé et de concevoir des réformes qui soient à la fois respectueuses des spécificités locales et attentives aux besoins de cohésion sociale. J’entends bien les critiques de toutes natures concernant mes analyses de type prospectives, à l’instar de celle citée ci- après : « Mais Jean-Marie, dis-nous directement s’il y a de l’espoir car à te lire il vaut mieux subir les affres du temps présent que de choisir de bouger un pion de l’échiquier. »
Avoir l’esprit critique ne se résume pas à jouer les Cassandre. C’est juste la partie la plus facile. A cela, je réponds que Macron a bien essayé de bouger un pion, à savoir la dissolution de l’Assemblée nationale, pour obtenir une clarification. On voit le résultat : c’est le chaos institutionnel. De plus, je pense que l’esprit critique en Guadeloupe est la partie, non pas la plus facile, mais la plus périlleuse…
Et d’ailleurs, c’est injuste de me faire ce procès, car j’ai mis sur la table nombres de propositions pour changer les choses. Par un simple battement d’ailes, un papillon pourrait, paraît-il, déclencher à travers ses ondulations une cascade de catastrophes à l’autre bout du monde. Pourquoi alors, a contrario, quelques années d’avance de réflexion ne suffiraient-elles pas à mettre en mouvement toute une population ?
Mais, bien entendu, pour y parvenir, il faut lucidement regarder en face les plaies économiques et les soigner… en vitesse, mais peut-être pas uniquement et nécessairement par une solution de facilité type institutionnelle. En vérité, le véritable fléau auquel il va falloir s’attaquer sérieusement en Guadeloupe c’est : un coût trop élevé de la vie, trop de chômage des jeunes à qui il ne reste que l’exil comme alternative, trop de déficits publics, de gens surrendettées, d’entreprises en faillite, de déserts médicaux et territoriaux, des services publics peu efficaces, prop peu de production industrielle, de goût du travail, d’exploitations agricoles pérennes.
Cela étant dit, je suis également très lucide en partageant cette citation de Jean Monnet : « Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise. »
« Sékòdyanmkimaréyanm « …
Traduction littérale : C’est la tige grimpante de l’igname qui attache l’igname.
Moralité : On peut être pris et piégé à sa propre inconséquence…
*Economiste