Opinion. Pourquoi la tentation d’instaurer une assemblée unique en Guadeloupe est une hérésie

PAR JEAN-MARIE NOL*

La perspective d’une collectivité unique en Guadeloupe, inspirée de la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM), suscite aujourd’hui peu de débats  au sein de la société guadeloupéenne, mais néanmoins des inquiétudes bien fondées, notamment à la lumière des enseignements tirés de l’expérience martiniquaise.

Si certains élus locaux vantent les mérites supposés d’une telle réforme d’une assemblée unique qui devrait aller de pair avec la réforme statutaire, d’autres mettent en garde contre les écueils d’un modèle de la CTM dont les résultats, après plus d’une décennie de mise en œuvre, demeurent largement en deçà des attentes, tant sur le plan administratif que financier.

L’intervention récente du Premier ministre François Bayrou, critiquant avec vigueur la réforme territoriale redécoupant les régions, apporte un éclairage supplémentaire sur les dangers d’une réforme mal conçue.

En Martinique, la CTM, créée en 2015, devait incarner un modèle d’efficacité administrative et de rationalisation des dépenses publiques, tout en favorisant une gouvernance plus proche des citoyens. Pourtant, force est de constater que cette collectivité unique accumule les défaillances : retards dans les prises de décision, gestion chaotique des ressources humaines, alourdissement des processus administratifs, allongement des délais de règlement aux entreprises des fonds européens, absence de clarté dans les responsabilités et une situation financière inquiétante.

Les espoirs d’une économie budgétaire substantielle se sont effondrés, révélant une organisation institutionnelle davantage paralysée qu’efficace. Cette situation, loin de renforcer la proximité démocratique, a au contraire exacerbé la distance entre les élus et les administrés.

Dans ce contexte, envisager une réforme similaire en Guadeloupe soulève de sérieuses interrogations. Ces problématiques d’assemblée unique et d’évolution institutionnelle dépassent largement les cadres idéologiques traditionnels et exigent une réflexion multidimensionnelle.

Dans cette perspective, la fonction critique des intellectuels devient encore plus cruciale. 

Les partisans de la collectivité unique plaident pour une gestion centralisée, espérant y trouver une réponse aux défis du développement local. Cependant, les réalités socio-économiques et géographiques de l’archipel, marqué par sa configuration insulaire et ses inégalités territoriales, exigent au contraire une gestion différenciée de l’économie et du social et une gouvernance de proximité.

L’uniformisation institutionnelle pourrait fragiliser encore davantage les capacités d’adaptation et d’innovation nécessaires à un territoire confronté à des défis complexes, comme la vie chère, le chômage, la transition écologique et la cohésion sociale.

Les propos de François Bayrou sur les régions et les départements, tenus lors de la cérémonie des vœux de l’Association des départements, s’inscrivent dans cette réflexion critique. Le Premier ministre a souligné que la fusion des régions, censée générer des économies et renforcer l’identité territoriale, a en réalité produit l’effet inverse : perte de repères pour les citoyens, surcoûts et inefficacité.

Cette réforme, visant à transformer les régions en structures comparables aux Länder allemands, a échoué à atteindre ses objectifs, tout comme la loi sur le non-cumul des mandats, qui n’a pas non plus apporté les résultats escomptés. Ces échecs illustrent les limites d’une approche centralisatrice et technocratique de la décentralisation.

La Guadeloupe doit tirer les leçons de ces expériences pour éviter de tomber dans les mêmes travers. Une réforme institutionnelle ne saurait se limiter à une simple fusion des instances existantes ; elle doit avant tout répondre aux besoins spécifiques du territoire et de ses habitants.

Les particularités guadeloupéennes – pluralité culturelle, insularité et défis socio-économiques – appellent une gouvernance adaptée, souple et concertée. Il serait imprudent de croire qu’un modèle d’assemblée unique puisse répondre à des réalités aussi diverses.

Au-delà de l’argument administratif, la question financière est tout aussi cruciale.

La mise en place d’une collectivité unique pourrait entraîner une explosion des coûts initiaux, liée notamment à la réorganisation des services, à la requalification des personnels et à l’adaptation des infrastructures. Les exemples des régions fusionnées et de la CTM montrent que les économies d’échelle tant espérées peinent à se concrétiser, et que ces réformes tendent au contraire à alourdir les finances publiques.

Enfin, cette réforme pose la question fondamentale de la démocratie locale. Centraliser les pouvoirs au sein d’une structure unique pourrait nuire à la diversité des représentations et à la prise en compte des spécificités locales. La fragmentation actuelle des collectivités en Guadeloupe, bien qu’imparfaite, offre une certaine proximité entre élus et citoyens, un atout qu’il serait dommage de sacrifier au profit d’un modèle d’assemblée unique et potentiellement déconnecté des réalités de terrain.

Dans un tel contexte, il apparaît impératif de privilégier une démarche pragmatique et concertée.

Plutôt que de s’engager dans une réforme institutionnelle ambitieuse mais risquée, les élus guadeloupéens gagneraient à renforcer les mécanismes existants, en améliorant la coordination intercommunale, en optimisant les ressources et en promouvant une gouvernance participative. L’objectif ne devrait pas être de calquer un modèle préexistant, mais de concevoir une organisation sur mesure, capable de répondre aux défis propres à la Guadeloupe.

La réflexion sur une collectivité unique, bien qu’intéressante en théorie, risque donc de reproduire des erreurs coûteuses et de compromettre les ambitions de développement du territoire.

Il appartient aux décideurs locaux de faire preuve de lucidité et de tirer les enseignements des expériences passées pour éviter de sombrer dans un schéma institutionnel à la fois inefficace et déconnecté des besoins réels de la population.

« Pa mélanjé koko epi zabrico »

Traduction Littérale    :  Il ne faut pas mélanger le coco avec l’abricot

Moralité : (Sens figuré) (Idiotisme) Associer des choses incompatibles. On ne mélange pas les torchons et les serviettes. …

Facebook
Twitter
LinkedIn
WhatsApp
Email

Actualité

Politique

Economie

CULTURE

LES BONS PLANS​

KARIB'Archives

Rechercher un article par mot clé dans nos archives à partir de 2020

DERNIERES INFOS

LE TOP KARIB'INFO