Opinion. Nouvelle-Calédonie : un enjeu géostratégique et géopolitique majeur pour la France

PAR JEAN-MARIE NOL*

En Nouvelle-Calédonie, derrière la crise politique actuelle sur fond de décolonisation se cache le dessous des cartes non seulement d’une lutte géopolitique pour les gisements de nickel mais aussi géostratégique avec des tentatives d’influence étrangère, notamment du sud global avec un processus déjà visible de rapprochement des indépendantistes kanaks avec les BRICS.

Alors que le monde devient de plus en plus interconnecté et est l’objet de transformations géopolitiques majeures et accélérées, il n’a jamais été aussi important de comprendre la dynamique de l’économie mondiale et de l’échiquier politique international.

Les pays BRICS sont devenus des acteurs clés, qui défient l’influence et les politiques de l’Occident et façonnent le cours des événements mondiaux.

Ce groupe d’Etats voit ses performances économiques, industrielles et technologiques dépasser progressivement celles des Etats occidentaux. La scène économique internationale d’ici 2040 devrait être à leur avantage. Les BRICS et leurs alliés réunissent à eux seuls la majeure partie des ressources en pétrole, gaz, métaux rares, céréales et eau. Les BRICS constituent 40% de la population mondiale. Leur poids économique combiné en 2015 équivalait à près d’un tiers du produit intérieur brut mondial en termes de parité de pouvoir d’achat.

D’après les prévisions, d’ici 2030, les BRICS devraient représenter 45 % du PIB mondial. Leur influence sur la scène internationale va croissante. Et c’est cet élément fondamental que le président Emmanuel Macron a intégré dans sa gestion du dossier brûlant de la Nouvelle-Calédonie.

Au cœur du Pacifique Sud, la Nouvelle-Calédonie, autrefois théâtre de luttes politiques internes, se trouve désormais au centre d’une bataille d’influence géopolitique et géostratégique mondiale. Cette crise politique, loin d’être isolée, révèle les tensions croissantes entre les intérêts politiques et économiques locaux et les forces mondiales émergentes, avec en toile de fond les précieuses réserves de nickel de l’archipel et la situation stratégique dans le contrôle de la région du Pacifique.

La crise actuelle, qui a éclaté avec une violence renouvelée au cours des dernières semaines, n’est pas simplement une lutte politique interne, mais plutôt le reflet  sous-jacent de forces géopolitiques et géostratégiques mondiales en action. Les enjeux sont multiples : contrôle des ressources naturelles, lutte pour l’indépendance et rivalités entre grandes puissances mondiales.

La richesse en nickel de la Nouvelle-Calédonie en fait un acteur majeur sur la scène mondiale. Avec entre 20 et 30 % des réserves mondiales de nickel, l’archipel est le quatrième producteur mondial de ce métal stratégique. La demande croissante de nickel, en particulier pour les technologies liées à l’énergie propre, a attisé les convoitises, exacerbant ainsi les tensions politiques locales.

Au cœur de cette crise se trouve le débat sur le corps électoral et les réformes constitutionnelles proposées par le gouvernement français. Les émeutes ont explosé après que l’Assemblée nationale allait se prononcer sur une révision constitutionnelle prévoyant une réforme du corps électoral vivement contestée par les indépendantistes de l’île. Cette loi vise à donner plus de droits de vote à la population non autochtone de Nouvelle-Calédonie, diluant ainsi l’influence du peuple autochtone kanak.

Depuis une réforme constitutionnelle de 2007, les listes électorales pour les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie sont gelées à leur état de 1998. En janvier 2024, le gouvernement a déposé un projet de loi constitutionnelle visant à dégeler le corps électoral à partir du 1er juillet 2024, en y intégrant les citoyens nés sur place ou y résidant depuis au moins dix ans.

Les Kanak, descendants des premiers habitants de l’archipel, avant la colonisation française, représentent 40 % des quelque 270 000 habitants, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Ils sont en majorité hostiles à un « dégel du corps électoral de 1998 », car leur influence diminuerait. Cependant, écarter toute mise à jour du corps électoral priverait près de 42 000 résidents de Nouvelle-Calédonie de droit de vote aux élections. 

Ces réformes, qui visent à dégeler les listes électorales gelées depuis 1998, sont aussi à visée économique. L’économie calédonienne, jadis portée par le nickel et les transferts publics, est aujourd’hui en déclin. Les troubles actuels ont amplifié une fragilité structurelle préexistante, mettant en lumière les failles d’un modèle économique à bout de souffle. Le nickel, pilier historique de l’économie calédonienne, est désormais en crise, plombé par la chute des cours et une concurrence mondiale féroce. Les grands exploitants, autrefois moteurs de la prospérité, envisagent la fermeture de leurs usines, laissant craindre un effondrement économique.

Dans le même temps, les partis indépendantistes kanaks combattent une proposition française qui lèverait les restrictions sur l’exportation de nickel non traité et donnerait la priorité aux expéditions vers les usines européennes de batteries pour véhicules électriques. Les dirigeants indépendantistes néo-calédoniens ont dénoncé le plan français lorsqu’il a été dévoilé en mars. Ronald Frère, membre fondateur de l’un des partis indépendantistes, Souveraineté Calédonienne, l’a qualifié de « pacte colonial pour reprendre le contrôle des ressources de la Nouvelle-Calédonie ».

Avec le dégel du corps électoral, ce plan nickel est le nœud du problème, car les indépendantistes kanaks ne veulent plus de la présence française ancienne puissance coloniale et estiment que le régime d’autonomie doit céder la place à l’indépendance.

Emmanuel Macron a parfaitement compris le double jeu stratégique des indépendantistes et donc œuvre en coulisses pour défaire le processus de décolonisation instauré par les accords de Matignon et surtout de Nouméa. Pour bien comprendre la volonté de passage en force du président Emmanuel Macron, il convient de faire référence à l’ouvrage de Machiavel intitulé Le Prince. Le Prince est un traité politique écrit par le haut fonctionnaire et penseur italien Nicolas Machiavel. Cet ouvrage constitue un guide d’instructions et de conseils pour les princes et gouvernants, dans les affaires de l’Etat. Le thème général porte sur les principes devant être mis en œuvre pour devenir prince et le rester et sur l’acceptation que les objectifs des princes – tels que la gloire et la survie de l’Etat – peuvent justifier, dans un monde violent et instable, l’utilisation de moyens contraires à la morale ou à l’éthique pour atteindre ces objectifs. 

Avant que les émeutes pour nous prévisibles n’embrasent la Nouvelle-Calédonie la semaine dernière, le président Emmanuel Macron avait pour objectif de placer ce territoire éloigné du Pacifique – et ses réserves massives de nickel – au centre de la campagne française pour sécuriser les matières premières nécessaires à la transition vers une énergie propre et concurrencer la Chine dans la fabrication de véhicules électriques.

Pour Emmanuel Macron, c’est la duplicité qui doit être employée afin d’empêcher l’accession à un processus d’indépendance association avec la France, qui serait, d’après lui, selon toute vraisemblance, un marché de dupes au profit de puissances étrangères et au détriment des intérêts bien compris français. Dès lors,  il convenait impérativement de mettre en place une stratégie de contre-feu afin de crever l’abcès purulent des braises qui sommeillaient à l’intérieur de la poudrière calédonienne, avec pour résultat final la militarisation du territoire de la nouvelle Calédonie sous prétexte de lutte contre les influences étrangères favorable aux indépendantistes kanaks.

Nonobstant ces éléments propices à des manœuvres d’un théâtre d’ombres chinoises,  il semblerait par ailleurs que l’État français ait la volonté à mots couverts de reprendre la main sous la forme d’une recentralisation des compétences antérieurement dévolues au gouvernement local autonome dirigé actuellement par les indépendantistes kanaks. En somme un processus de recolonisation soft selon certains experts !

Bref, ce qui est sûr c’est qu’il est patent que, depuis plusieurs années, la Nouvelle-Calédonie traverse une crise sans précédent, mettant en lumière les limites de son modèle d’autonomie politique. Face à cette situation alarmante, des mesures économiques d’urgence s’imposent. Un soutien financier accru de la part de l’État français est indispensable en l’absence de capacités financières suffisantes du gouvernement local autonome pour atténuer les conséquences désastreuses des émeutes sur les entreprises et les ménages. De plus, des réformes structurelles profondes sont nécessaires pour diversifier l’économie calédonienne et renforcer sa compétitivité.

Cependant, la résolution de la crise ne peut se limiter à des solutions économiques, car l’approche de la problématique doit être certes d’abord politique mais surtout à terme relever d’une large réflexion géopolitique et géostratégique.

Mais, répétons-le, cette crise ne se limite pas aux frontières de la Nouvelle-Calédonie. Elle s’inscrit dans un contexte géopolitique plus large, caractérisé par l’émergence de nouvelles puissances mondiales, telles que les BRICS, qui défient l’influence traditionnelle de l’Occident (L’acronyme BRICS désigne initialement le rapprochement de quatre pays aux vastes territoires, les BRIC : le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, auxquels s’est intégré l’Afrique du Sud en 2011 ). Ces nouvelles puissances s’appuient sur des liens institutionnels forts avec d’autres organisations internationales, comme l’Organisation de Coopération de Shanghai ou l’Union eurasienne. A l’issue de leur XVe sommet, organisé en Afrique du Sud du 22 au 24 août, les BRICS décidèrent d’admettre six nouveaux Etats membres à compter de janvier 2024, élargissement qui renforcera leurs poids économique, énergétique et politique.

Les BRICS, avec leur poids économique croissant et leur volonté de s’affranchir de l’hégémonie occidentale, exercent une pression supplémentaire sur la France et ses territoires d’Outre-mer. La France, consciente de l’importance stratégique de la Nouvelle-Calédonie, cherche à préserver son contrôle sur l’archipel, notamment face à l’influence croissante de la Chine dans la région indo-pacifique. La crise actuelle remet en question les plans français visant à utiliser la Nouvelle-Calédonie comme levier pour contrer l’influence chinoise dans l’océan Indien et le Pacifique.

Ces plans se heurtent à un mouvement politique local radical qui cherche à obtenir l’indépendance de la France et refuse de la suivre dans un processus d’indépendance association et préfère nouer des relations diplomatiques avec des pays comme la Chine, l’Azerbaïdjan et la Russie, voire aussi l’Inde .

Dans ce contexte, les implications de la crise actuelle vont bien au-delà des frontières de la Nouvelle-Calédonie. Elles mettent en lumière les tensions géopolitiques croissantes entre les grandes puissances mondiales et soulignent l’importance cruciale des ressources naturelles dans les relations internationales.

En fin de compte, la crise en Nouvelle-Calédonie est le reflet d’un monde en pleine mutation, où les intérêts locaux se heurtent aux forces géopolitiques régionales et mondiales émergentes. Dans cette lutte de blocs antagonistes pour le pouvoir et le contrôle des ressources économiques sous couvert d’un nouveau partage des richesses minières du monde. A celà s’ajoute une bataille diplomatique pour l’influence dans la zone indo-pacifique, et c’est dans ce contexte que la Nouvelle-Calédonie occupe une place centrale, symbole des enjeux géostratégiques et géopolitiques qui façonnent notre monde moderne.

 » Rich ka fè sa yo vlé, maléré ka fè sa yo pé « 

Littéralement : Le riche fait ce qu’il veut, le malheureux fait ce qu’il peut

Moralité : Flatterie n’est pas camaraderie et encore moins amour

*Economiste

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