Opinion. « Nous rentrons dans une nouvelle ère » : la Guadeloupe va-t-elle devoir aussi payer pour le réarmement de la France ?

PAR JEAN-MARIE NOL*

Alors que le monde connaît une bascule géopolitique sans précédent depuis 1945, les États-Unis ayant décidé de suspendre leur aide militaire à Kiev après l’affrontement historique entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky dans le Bureau ovale, les leaders européens s’activent pour combler le vide laissé par le pays de l’Oncle Sam. Et rendre le Vieux continent moins dépendant des États-Unis en matière de défense.

Les États-Unis d’Amérique ont changé leur position sur la guerre en Ukraine. Les mêmes Etats-Unis d’Amérique entendent imposer des tarifs douaniers à l’Europe. Enfin, la menace russe et terroriste (est de retour). « Nous entrons dans une nouvelle ère », a déclaré Emmanuel Macron.

L’annonce par Ursula von der Leyen d’un plan massif de 800 milliards d’euros pour le réarmement de l’Europe marque un tournant dans la politique de défense du continent. Ce programme, motivé par le retrait de l’aide américaine à l’Ukraine sous la présidence de Donald Trump, soulève des questions majeures quant à son financement et ses répercussions sur les citoyens européens.

Parmi eux, les Français, et par extension les Guadeloupéens, vont inévitablement contribuer à cet effort. Emmanuel Macron, dans une allocution télévisée, promet des « investissements supplémentaires » en matière de Défense, sans augmenter les impôts. Mais, avec quels moyens financiers et à quel prix ?

Ce plan se décompose en plusieurs volets. Une première enveloppe de 150 milliards d’euros sera immédiatement mobilisée pour l’aide à l’Ukraine et le renforcement des capacités industrielles européennes. Mais le véritable poids de cette politique repose sur les 650 milliards restants, qui seront financés par une augmentation des budgets militaires nationaux.

Ainsi, les États membres devront porter leurs dépenses de défense de 2 % à 3 % ou 3,5 % de leur PIB. Pour la seule France cela va représenter un montant de financement de 100 milliards d’euros à trouver. Pour alléger cette contrainte budgétaire, Bruxelles a choisi de ne pas inclure ces nouvelles dépenses dans le calcul des déficits publics. Toutefois, cette souplesse ne concerne que les nouveaux investissements, dans une limite de 1,5 point de PIB.

En d’autres termes, l’effort financier reposera largement sur les budgets nationaux, ce qui signifie que chaque pays devra trouver des ressources supplémentaires pour couvrir ces dépenses accrues. La France est déjà confrontée à des difficultés financières et budgétaires, alors à notre sens si les impôts ne devraient pas augmenter alors c’est la dépense publique et surtout sociale qui devrait diminuer de façon drastique.

La France, déjà confrontée à des tensions budgétaires, va devoir repenser ses priorités économiques. Le ministre de l’Économie, Éric Lombard, a indiqué que l’État réfléchissait à une répartition de cet effort entre les contribuables. Plusieurs pistes sont évoquées, notamment une baisse des dépenses ciblant l’ensemble des ménages et particulièrement ceux disposant d’une épargne substantielle, et dans le même temps les collectivités locales seront mis à contribution financière.

Selon le président du Comité des finances locales, André Laignel, l’effort financier supporté par les collectivités locales en 2025 ne se limitera pas aux 2,2 milliards d’euros évoqués par le gouvernement. Il chiffre « la réalité de la facture » à 7,4 milliards. Cette annonce suscite des interrogations sur les catégories de la population qui seront les plus affectées par la réduction de la dépense publique.

Si la mesure venait à se concrétiser, elle toucherait en premier lieu les classes populaires puis les classes moyennes et aisées à travers la réduction des financements octroyé aux collectivités locales. Mais, il est à craindre que l’ensemble de la population ne soit, à terme, concerné par des ajustements fiscaux ou des restrictions budgétaires dans d’autres secteurs tels que l’école, la santé, les prestations sociales, etc.

En Guadeloupe, comme dans l’ensemble des territoires ultramarins, cette perspective inquiète. L’archipel souffre déjà d’un coût de la vie élevé, d’un taux de chômage supérieur à la moyenne nationale et de disparités économiques marquées. Une hausse des prélèvements obligatoires, même ciblée, risquerait d’exacerber ces difficultés.

De plus, la question du retour sur investissement se pose : si l’effort budgétaire est national, l’impact sur les territoires ultramarins en termes d’infrastructures, d’emplois ou de développement économique reste incertain. Historiquement, la participation des Antilles françaises aux efforts de défense nationale a souvent été plus symbolique que structurelle. Il n’est pas certain que cette nouvelle orientation stratégique change la donne, notamment en matière d’implantations industrielles ou d’opportunités économiques locales.

Ce virage stratégique intervient également dans un contexte géopolitique instable où l’Europe cherche à affirmer son autonomie militaire. L’abandon partiel du soutien américain à l’Ukraine marque un tournant, forçant l’Union européenne à prendre le relais. Mais cette indépendance a un coût, et il sera inévitablement supporté par les citoyens.

Reste à savoir si l’opinion publique acceptera sans résistance cette nouvelle donne, dans un climat déjà marqué par des tensions sociales et économiques. En Guadeloupe, où la contestation sociale est une réalité récurrente, la perspective d’un alourdissement de la fiscalité risque d’être mal accueillie. Les autorités devront donc faire preuve de pédagogie et de transparence pour éviter un rejet massif de cette nouvelle politique budgétaire.

Le réarmement de l’Europe est une nécessité stratégique, mais il soulève une équation complexe : comment concilier sécurité et acceptabilité sociale ? Si la défense européenne doit gagner en autonomie, il est essentiel que cet effort soit justement réparti et ne creuse pas davantage les inégalités.

Pour la Guadeloupe, comme pour la France dans son ensemble, l’enjeu sera de garantir que cette contribution à l’effort de guerre ne se fasse pas au détriment d’autres priorités, vitales pour la population.

*Economiste 

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