zh-CNenfrdehijaptes
zh-CNenfrdehijaptes

Opinion. Mobiliser l’épargne locale est une action vertueuse de développement économique

PAR JEAN-MARIE NOL*

Mobiliser l’épargne locale pour bâtir l’avenir économique de la Guadeloupe  est une action vertueuse, un acte « patriotique » économique qui répond à une nécessité stratégique. Il est possible d’évaluer l’épargne locale en Guadeloupe en s’appuyant sur plusieurs sources de données économiques et financières. Voici les principales approches :

Les dépôts à vue et les livrets d’épargne : Selon les données des banques et de l’IEDOM (Institut d’Émission des Départements d’Outre-mer), les dépôts des ménages guadeloupéens dans les banques locales atteignent plusieurs milliards d’euros. Pour affiner l’estimation de l’épargne locale en Guadeloupe, nous pouvons nous appuyer sur les données les plus récentes disponibles :

Encours des actifs financiers et épargne des ménages : 

Fin 2021 : L’encours total des actifs financiers en Guadeloupe était de 8,9 milliards d’euros, en hausse de 3 % par rapport à l’année précédente. Sur ce total, l’épargne des ménages représentait 6,4 milliards d’euros, augmentant de 2,8 % par rapport à 2018.

Fin 2022 : Les encours de crédits aux ménages ont atteint 4,2 milliards d’euros, avec une progression de 1,0 % en 2023, après une hausse de 9,0 % en 2022.

Selon une analyse de l’INSEE, le taux d’épargne des ménages en Guadeloupe est passé de 25,7 % à 24,4 %, reflétant une légère diminution.En 2023, les dépôts à vue en Guadeloupe représentaient environ 2,4 milliards d’euros, avec une tendance à l’accumulation par précaution.

L’assurance-vie et les placements financiers : L’assurance-vie est un des placements privilégiés, mais une grande partie de ces fonds est investie hors de la Guadeloupe Face aux défis structurels persistants – chômage élevé, dépendance aux importations, faiblesse du tissu productif – la réorientation de cette ressource financière vers les entreprises locales constitue un levier fondamental pour réformer le modèle économique actuel.

Pourtant, malgré un taux d’épargne supérieur à celui des ménages métropolitains, les capitaux guadeloupéens restent insuffisamment mobilisés pour le développement de leur propre territoire. L’enjeu est de transformer cette épargne dormante en un moteur de croissance, en instaurant une dynamique de financement plus territorialisée et en favorisant une culture de l’investissement productif.

La première étape pour concrétiser cette ambition repose sur une prise de conscience collective du rôle central de l’épargne dans le développement du territoire. Aujourd’hui, une grande partie des ressources financières des ménages ultramarins est placée dans des produits sécurisés et peu risqués, souvent gérés par des établissements bancaires qui réinvestissent ces fonds hors des Antilles. Cette fuite de capitaux contribue au déficit d’investissement local et au manque de financements adaptés pour les entreprises. Sensibiliser les épargnants à l’impact de leurs choix financiers devient donc impératif.

Un effort pédagogique doit être entrepris pour leur montrer que leur argent peut servir à dynamiser l’économie guadeloupéenne, tout en garantissant une rentabilité suffisante. Lancer des campagnes d’information, encourager des initiatives citoyennes et promouvoir des produits d’épargne territorialisés sont autant de leviers pour réorienter ces fonds vers l’investissement productif.

Au-delà de la sensibilisation, il est crucial que les entreprises locales puissent accéder à ces capitaux dans des conditions adaptées à leur réalité économique. En Guadeloupe , le tissu entrepreneurial est majoritairement composé de petites structures sous-capitalisées, confrontées à des difficultés d’accès au crédit bancaire en raison d’une insuffisance de fonds propres et d’un manque de fonds de roulement. Les modèles de financement traditionnels, basés sur des garanties élevées et des taux d’intérêt peu attractifs, sont inadaptés aux besoins des jeunes entreprises et des secteurs innovants.

Pour y remédier, des mécanismes alternatifs doivent être mis en place, à l’image des fonds d’investissement territoriaux, du financement participatif (crowdfunding), des prêts solidaires ou encore des réseaux de business angels locaux. Ces dispositifs permettraient de diversifier les sources de financement et de mieux répondre aux attentes des entrepreneurs ultramarins.

Les institutions financières ont un rôle déterminant à jouer dans cette transformation. Les banques locales, souvent réticentes à prendre des risques, privilégient les placements sécurisés dans l’immobilier et l’assurance-vie au détriment de l’accompagnement des entreprises locales. Une évolution vers un modèle bancaire plus engagé dans le développement économique de l’archipel est indispensable.

Cela pourrait passer par la création de produits d’épargne spécifiquement dédiés au financement des entreprises guadeloupéennes, avec des incitations fiscales attractives. De plus, des partenariats entre les banques, les collectivités locales et les institutions publiques pourraient faciliter l’accès au crédit pour les entrepreneurs, en mutualisant les risques et en proposant des dispositifs de garantie adaptés.

Les pouvoirs publics ont également un rôle clé à jouer pour encourager cette réorientation de l’épargne vers le développement local. L’État et les collectivités peuvent instaurer des mesures incitatives, telles que la création d’un label « épargne locale » garantissant aux épargnants que leurs fonds seront investis dans des projets du territoire. De même, des dispositifs fiscaux avantageux pourraient être mis en place pour encourager les placements dans des fonds d’investissement régionaux ou dans des obligations émises par des entreprises locales.

L’exemple d’Ultralab, le think tank de la Fédération des entreprises d’Outre-mer (Fedom), qui propose la création d’un livret d’épargne spécifique, illustre bien cette nécessité de structurer un marché financier ultramarin. Ce type d’initiative permettrait de canaliser une partie de la sur-épargne des ménages vers trois grands axes : le renforcement des fonds propres des entreprises locales, le financement d’infrastructures stratégiques et une réallocation plus efficace des transferts financiers de l’État.

La confiance des épargnants est un élément déterminant pour assurer le succès de cette démarche. Il est impératif de garantir une transparence totale sur l’utilisation des fonds et sur les rendements potentiels. Des plateformes numériques de suivi et de reporting pourraient être mises en place pour permettre à chaque investisseur de voir en temps réel l’impact de son épargne sur l’économie locale. En parallèle, la mise en avant de success stories d’entrepreneurs ayant bénéficié de ces financements contribuerait à renforcer l’adhésion du public à cette dynamique.

Les chiffres illustrent l’ampleur du potentiel inexploité. Chaque année, les territoires ultramarins reçoivent plus de 5 milliards d’euros de financements publics en provenance de l’État et de l’Union européenne. Pourtant, ces aides ne suffisent pas à couvrir l’ensemble des besoins en matière d’investissement et de financement des entreprises locales. En parallèle, la sur-épargne des ménages ultramarins représente plusieurs milliards d’euros, une ressource financière précieuse qui pourrait être mobilisée au service du développement économique.

Actuellement, 80 % des investissements productifs en Outre-mer reposent sur des fonds publics, une dépendance excessive qui freine le développement d’un secteur privé autonome et dynamique. Moins de 20 % des entreprises ultramarines accèdent à des financements longs, pourtant essentiels à leur croissance. Une réalocation d’une partie de l’épargne locale vers ces entreprises permettrait de pallier ce manque, en instaurant un cercle vertueux où les capitaux des ménages soutiendraient directement l’économie du territoire.

En Guadeloupe, l’épargne accumulée par la population représente un potentiel considérable, mais sa mobilisation demeure un défi. Les Guadeloupéens privilégient les investissements immobiliers et hésitent à placer leur argent dans des fonds d’investissement, par crainte du risque. Par ailleurs, une part importante des dépôts bancaires est conservée sur des comptes courants non rémunérés, une pratique qui prive l’économie locale de capitaux pouvant être réinjectés dans des projets créateurs d’emplois.

Ce phénomène souligne l’urgence de développer une culture de l’investissement local et de proposer des solutions attractives pour inciter les ménages à orienter leur épargne vers des placements productifs.

Le contexte économique et géopolitique mondial renforce encore davantage la nécessité d’adopter un modèle plus autonome et résilient. Les tensions commerciales, les évolutions technologiques et les incertitudes budgétaires de l’État français rendent impératif un repositionnement stratégique de l’économie guadeloupéenne.

Miser sur la production locale et sur des investissements de long terme est la seule voie viable pour assurer un développement durable et réduire la dépendance aux aides publiques en procédant à une refonte du modèle économique actuel tourné vers les importations et la consommation.

Mobiliser l’épargne locale ne relève donc pas seulement d’une initiative économique, mais bien d’un projet de société. Il s’agit d’un changement profond de paradigme, où les capitaux des ménages deviennent un moteur de transformation pour bâtir une économie plus forte, plus résiliente et tournée vers l’avenir. L’épargne ultramarine ne doit plus être considérée uniquement comme une réserve de précaution, mais comme un levier stratégique pour construire un futur où les Antilles maîtrisent pleinement leur destin économique.

Comme le soulignait Jacques Bainville : « La supériorité des occidentaux tient, en dernière analyse, au capitalisme, c’est-à-dire à la longue accumulation de l’épargne. C’est l’absence de capitaux qui rend les peuples sujets. » Un constat qui résonne avec acuité dans le contexte actuel des Outre-mer.

*Economiste 

Facebook
Twitter
LinkedIn
WhatsApp
Email

Actualité

Politique

Economie

CULTURE

LES BONS PLANS​
SunMonTueWedThuFriSat
2324252627281234567891011121314151617181920212223242526272829303112345