Lyonel Trouilot, écrivan haïtien, témoigne des douleurs du peuple haïtien en ces temps troublés.
« Dans la région de Duvivier, au nord de Port-au-Prince, une adolescente est décédée, tuée par une balle à la tête. Comme dans Souvenir de la nuit du quatre de Victor Hugo, « l’enfant n’a pas crié vive la République ». Elle était juste au mauvais moment, au mauvais endroit. Dans un de ces quartiers où le banditisme est au service d’un pouvoir assassin. On l’avait dit : aujourd’hui dans l’illégalité la plus totale, Jovenel Moïse n’a plus que les armes pour tenter de se maintenir au pouvoir.
C’était prévisible. Des Haïtiens l’avaient prévu, en avaient parlé aux diplomates, aux journalistes étrangers, à la classe des affaires en Haïti. Tout ce monde avait refusé d’entendre à quel point étaient réels dans la conscience populaire le refus de continuer dans la parodie de démocratie formelle, les revendications pour la justice sociale et la justice tout court, combien le spectacle de la gabegie et l’horreur des massacres perpétrés dans les quartiers populaires rendaient toute acceptation du pouvoir de Jovenel Moïse/PHTK impossible. Nous étions nombreux, impliqués dans la vie civile et politique, à leur dire que des gens allaient mourir, qu’on courait droit à un nouveau macoutisme en réponse aux revendications populaires.Mais nous ne sommes que des Haïtiens, qu’avons-nous à dire sur les affaires d’Haïti !
Il est connu que ce qui vaut pour ailleurs ne vaut pas pour Haïti. Le pouvoir viole la Constitution, qu’est-ce qu’une Constitution haïtienne ? D’ailleurs celle-là n’est pas bonne. Elle a été rédigée par des Haïtiens. Nous avons des exerts qui leur en feront une bonne.
En attendant, celle-là, que le pouvoir la jette à la poubelle. Rien de grave. Le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire a proclamé la fin du mandat de Jovenel Moïse. Mais qu’est-ce qu’un Conseil supérieur du pouvoir judiciaire haïtien ? La nouvelle rapportée par un certain nombre de medias étrangers n’a pas été cet acte de droit de la plus haute instance, garante du mot du droit. Elle a été plutôt une prétendue tentative de coup d’Etat contre le « président » Jovenel Moïse.
Elle n’a pas été non plus l’arrestation et l’humiliation publique d’un juge à la Cour de Cassation, la violation des droits élémentaires d’un groupe de citoyens exposés comme des bêtes sous prétexte de tentative d’assassinat d’un « président » qui détient le monopole des armes. Aujourd’hui elle ne sera pas la fermeture des locaux de l’Ecole de la Magistrature et de la Cour de Cassation. Elle ne sera pas non plus la mort de cette gamine que des gangs pro Jovenel Moïse ont assassinée. »
Source : Le Nouvelliste
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https://lenouvelliste.com/article/226168/madame-la-lime-et-la-gamine-de-duvivier