Opinion. Macron : le virage autonomiste

PAR DIDIER DESTOUCHES*

Le discours le 28 septembre du président de la République Emmanuel Macron devant les membres de l’assemblée de Corse à Ajaccio fera date. Il vient apparemment clore une courte période de calme et de négociations entre le gouvernement et les élus de l’île de beauté, mais aussi avec les mouvements nationalistes (qu’ils soient occultes ou pas).

Les mots jusqu’ici plus ou moins tabous ont été lâchés : autonomie, reconnaissance, spécificité corse, entrée dans la constitution. Pour bien comprendre la portée de ce discours et son éventuel impact sur l’avenir institutionnel de la Guadeloupe, il faut remonter aux origines de la question Corse.

Deux éléments factuels s’imposent immédiatement. D’abord c’est le peuple corse lui-même qui manifeste sous la Révolution son désir d’être rattaché définitivement à la France. Désir qui sera satisfait par le décret du 30 novembre 1789. Ensuite, la Corse a déjà connu par le passé (comme la Guadeloupe d’ailleurs) et au gré des aléas historiques des périodes d’autonomie mais aussi d’évolution institutionnelle puisqu’au bout de quatre réformes législatives, elle a le même statut que la grande métropole de Lyon tout en étant une collectivité unique.

Ce que le discours d’Emmanuel Macron apporte de nouveau est surtout la possibilité d’une évolution ultime du statut de la Corse par la voie constitutionnelle (une révision du texte suprême à son profit).

Mais cette évolution, tout en étant souhaitée par les nationalistes de tous bords et majoritaires à l’assemblée territoriale, ne va pas tous les satisfaire puisque le chef de l’État propose sous forme de nouveau pacte républicain avec la Corse, une partie seulement des revendications historiques des nationalistes… et pas des moindre.

Qu’on en juge :

. Un statut d’autonomie (sous conditions de respect de la souveraineté de l’État)
. La reconnaissance constitutionnelle de la spécificité Corse en tant que communauté historique, culturelle et surtout insulaire au sein de la République
. La création d’un futur article constitutionnel consacré exclusivement à la Corse

Ces trois éléments, s’ils sont entérinés par un processus de révision constitutionnelle (soit par le congrès réunissant députés et sénateurs, soit par référendum) qui s’annonce très périlleux et en amont par un accord providentiel des élus corses et du gouvernement sur un texte de loi suffisamment consensuel, modifieront sensiblement la nature unitaire de l’État français depuis la Révolution (déjà affaiblie par le statut et le régime législatif de plusieurs territoires ultra-marins et hexagonaux).

Comme pour les travaux du congrès des élus de Guadeloupe, c’est une période de six mois qui va être consacrée à la définition du nouveau statut de la Corse. Autant dire que ce délai risque d’être trop court pour permettre à des élus corses qui ont une vision non uniforme de l’autonomie de se mettre d’accord.

Qui plus est, le président de la République n’a donné aucune faveur relative à l’acceptation des doléances très fortes des nationalistes: la définition d’un statut de résident corse, la co-officialité de la langue corse (parlée par 10 % environ des corses), et la mention de « peuple corse » dans la constitution.

Si l’on comprend la volonté du président d’avancer enfin sur ce dossier, mis à l’arrêt par le Sénat en 2018, et sur celui plus général de l’extension de la décentralisation, on ne peut occulter le fait que son action s’inscrive dans trois dimensions politiques opportunistes.

D’abord l’État est désormais dans un contre la montre européen pour résoudre la question cruciale de la réduction de la dette et des dépenses publiques renforcée par la politique du quoi qu’il en coûte et qui a permis à l’économie française de moins souffrir que celle de ses voisins européens lors de la crise du Covid.

En bon technocrate girondin, Emmanuel Macron a toujours pensé que la libéralisation des leviers d’action des collectivités territoriales était l’une des clés de réduction des contraintes financières pesant de plus en plus sur l’État central. D’où la porte ouverte à l’innovation institutionnelle et à la prochaine rencontre mi-octobre du chef de l’État avec les exécutifs des collectivités majeures des outre-mer, mais aussi les promesses de différentiation territoriale faites depuis 2017 aux collectivités de l’hexagone.

Ensuite comment faire l’impasse sur la tendance actuelle en occident à l’émergence des régionalismes prenant la forme de statut d’autonomie accrue pour des provinces historiques, îles ou régions périphériques européennes. Déjà la Bretagne s’engouffre dans cette voie et la Guyane y pense.

Enfin de nombreux acteurs politiques et de la société civile ont accepté l’idée que la relation entre territoire non hexagonaux et État/nation pouvait être de nature plus contractuelle qu’administrative. C’est notamment le message de l’appel de Fort-de-France qui se montre intransigeant sur la co-définition État/collectivités des politiques publiques et une meilleure adaptation des normes au contexte insulaire des Antilles-Guyane.

L’exemple Corse vaut-il toutefois pour la Guadeloupe ? Il serait peu pertinent de le dire.

En réalité l’évolution envisagée pour la Corse est tout de même le résultat (et pas forcément la solution) en partie de l’assassinat d’un préfet de la République et de rapports conflictuels marqués par la violence et le déni de part et d’autres. Et cette évolution n’a pas pour objectif de solder une question identitaire mais d’encadrer plutôt la mise à disposition incontournable de compétences normatives dont la nature législative et/ou réglementaire reste à dévoiler.

En revanche, le virage autonomiste du Président est la manifestation on ne peut plus claire de l’envergure des possibles en matière d’évolution statutaire pour la Guadeloupe.

Si les élus de la Guadeloupe se montrent unis jusqu’au bout et si ils parviennent à faire avec audace et courage les propositions d’acquisition de compétences les plus utiles et nécessaires pour le mieux être des Guadeloupéens, il est fort probable qu’ils soient entendus par le président et le gouvernement et même par le peuple guadeloupéen qui pourrait y voir une première reconnaissance concrète de son identité et de sa dignité.

*Maitre de conférence à l’université des Antilles
Chercheur au CREDDI
Auteur de « la République à bout de souffle ».

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