OPINION. L’impossible unité politique sur le dossier de l’eau

Didier DESTOUCHES
Universitaire et essayiste*

Comme nous l’avions annoncé dans une précédente contribution, l’actualité de l’eau s’est s’accélérée sur la route de la politique politicienne. Suite au départ du préfet Gustin et à la nouvelle donne du pouvoir intercommunal, la problématique de l’eau est devenue la problématique de la création d’un établissement public de l’eau qui a précipité des acteurs politiques et malgré eux les usagers, dans la campagne des régionales.

Nous en voulons pour preuve que loin d’être objet d’un projet guadeloupéen unanime, la création d’un syndicat de l’eau est au coeur d’une opposition frontale entre d’un côté Eric Jalton, président de la puissante communauté Capex, allié du PS, proclamé présidentiable en puissance par les réseaux sociaux et allié opportun des parlementaires et du gouvernement qui proposent qu’une loi chapeaute la création du syndicat et de l’autre côté : les autres présidents des EPCI ainsi que le président de Région qui plaident pour que le processus de création reste exclusivement local, et cela pour bien des raisons (financières, stratégiques, et surtout politiques).

« On peut s’attendre à ce que la distribution de l’eau ne constitue encore plus qu’hier un jouet polémique aux mains de politiques de nouveau en campagne. »

Et au milieu, ce n’est pas une rivière qui coule, mais les usagers qui n’en peuvent plus d’attendre que les querelles politiques s’estompent pour que le service public de distribution de l’eau soit restaurée sur de bonnes bases en Guadeloupe. Dès lors, on peut s’attendre à ce que cette problématique essentielle de notre quotidien ne constitue encore plus qu’hier un jouet polémique aux mains de politiques de nouveau en campagne et toujours autant dépassés malgré eux à la fois par l’ampleur de la tâche et à la fois par l’irréversibilité des dégâts financiers laissés par leurs prédécesseurs et le laxisme étatique.

Mais au delà du jeu politicien, il y a dans l’opposition entre ces élus (dont pourtant à part Éric Jalton l’appartenance ou la collaboration avec la majorité En Marche au pouvoir est toujours d’actualité) une vraie question politique majeure qui émerge. Le pouvoir central peut-il se substituer au pouvoir local compétent en Guadeloupe dès lors qu’il estime que celui-ci ne remplit pas correctement la mission qui est la sienne ?

La réponse est que depuis la décentralisation de 1982, le pouvoir central doit respecter le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales. Ainsi il doit respecter les délibérations que ces collectivités prennent dans le cadre de l’exercice de leurs compétences. Et les EPCI de Guadeloupe sont compétentes pour la question de l’eau.

Toutefois, il ne faut pas croire que la décentralisation a consacré l’indépendance ou l’autonomie des collectivités (région, département, communes). Elle a constitué et constitue toujours en réalité une grande délégation générale d’exercices de compétences de service public et de politiques publiques dont beaucoup ont un caractère économique. En fait l’État reste en place aussi bien au niveau central (gouvernement, direction centrale, …) que local (collectivités territoriales, direction déconcentrée, préfecture…).

L’État reste donc symboliquement devant les usagers de tout le territoire national débiteur du bon fonctionnement des institutions et de la réalisation de toutes les missions de service public.

« L’Etat commet l’erreur et la faute de donner le sentiment qu’il sabote le travail des élus locaux sur la question de l’eau. »

Voilà pourquoi le ministre des outre-mer Sébastien Lecornu n’hésite pas, fidèle à la méthodologie macronienne et probablement en froid avec le président de région, à sauter par dessus le respect du poids et des initiatives des élus locaux, pour fixer lui-même avec l’aide des parlementaires guadeloupéens la cadence et surtout le régime de la constitution du syndicat unique de l’eau.

Inadmissible du point de vue politique, certainement utile du point de vue de l’usager. Pour chacun des protagonistes les intérêts financiers sont considérables. En particulier ceux de CAPEX dont le président se refuse à perdre le moindre centime dans cette affaire. Il en est de même pour l’État qui ne veut pas être au final le dindon de la farce. C’est ainsi qu’il commet l’erreur et la faute de donner le sentiment qu’il sabote le travail des élus locaux sur la question de l’eau. Un travail vraiment laborieux et trop tardif mais qui avait fini par émerger et devenir presque unanime.

Dès lors les élus locaux ont raison de s’insurger contre le piétinement futur de leurs actions par le pouvoir central (législatif et exécutif). Mais ils doivent aussi admettre à la lumière de cette situation inconfortable que ni la décentralisation, ni son extension avec la différentiation, ne leur permettent et permettront d’avoir accès à l’autonomie suffisante pour légiférer eux-mêmes sur ce dossier particulièrement local.

« Les élus doivent mesurer les conséquences de leur silence face aux demandes de la société civile et associations d’usagers. »

Ils doivent aussi mesurer les conséquences de leur silence face aux demandes de la société civile et associations d’usagers qui demandent à être intégrées concrètement au sein de la future assemblée délibérante du prochain syndicat de l’eau. Une demande que les parlementaires semblent entendre pour leur part…

Il reste à espérer qu’en définitive l’usager obtienne enfin un exemplaire et salutaire consensus de tous les élus guadeloupéens qu’ils soient parlementaires, conseillers communautaires, départementaux ou régionaux ; pour la création de ce qui ne restera qu’un outil local de gestion de l’eau et qu’il faudra utiliser avec soin cette fois.



* Auteur de Du département au pays d’outre-mer.
Le choix de l’autonomie pour la Guadeloupe

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