Opinion. Les régions des Antilles seront-elles sacrifiées sur l’autel de la rigueur budgétaire ?

PAR JEAN-MARIE NOL*

Peser dans le débat, l’opinion et l’espace publics, tel est l’enjeu pour exister en politique. À ce jeu-là ne gagnent que ceux qui bénéficient d’un rapport de forces favorable.

Et force est de constater que le « vrai » pouvoir est passé du politique à l’économique. L’État serait une forteresse vide complètement car endetté, détenant toujours l’autorité sans la puissance financière d’agir sur le réel et cela les élus locaux de Guadeloupe et Martinique ne l’ont pas encore vraiment compris et c’est à leur détriment que les choses devraient évoluer dans un proche avenir .

Aujourd’hui, il ne s’agit plus alors de vouloir peser dans un rapport de forces qui vous est au demeurant très défavorable, mais, au contraire, de partager une nouvelle vision des véritables rapports de force qui ont largement évolués sous la pression de la mutation technologique et de la financiarisation de la société. En atteste le fait que le gouvernement doit trouver 60 milliards d’euros pour équilibrer le budget de 2025, répartis entre 40 milliards d’économies et 20 milliards d’augmentations d’impôts. Ces mesures visent à réduire le déficit public à 5 % du PIB en 2025, alors qu’il est actuellement estimé à 6,2 % pour 2024, loin de l’objectif européen de 3 %.

L’inflation est projetée à 1,8 % en 2025, mais la persistance de la crise inflationniste impose des ajustements budgétaires plus drastiques que prévu. Initialement estimées à 25 puis 30 milliards d’euros, les économies à réaliser sur les dépenses sont finalement portées à 40 milliards, touchant notamment l’État, la sécurité sociale (13 milliards), et les collectivités locales (7 milliards). Une coupe budgétaire de 300 millions d’euros est prévue pour les crédits destinés à l’Outre-mer. L’objectif global du gouvernement est de maintenir les dépenses publiques à 1 700 milliards d’euros, avec une légère baisse par rapport au PIB (de 56,8 % à 56,3 %).

L’annonce des 40 milliards d’euros de coupes dans les dépenses publiques, inscrite dans le projet de loi de finances (PLF) 2025, a de quoi susciter de vives inquiétudes dans les territoires d’Outre-mer, en particulier en Guadeloupe et en Martinique. Avec une réduction de 300 millions d’euros prévue sur les crédits de la mission Outre-mer, ces îles risquent de faire face à des conséquences dramatiques, tant sur le plan économique que social.

Ces coupes budgétaires, combinées à une situation économique déjà fragile, pourraient provoquer un enfoncement encore plus profond dans les difficultés que ces territoires affrontent depuis des années. Notre analyse de la situation propose de décrypter les potentielles répercussions de cette austérité budgétaire.

En fait, ce sont des économies budgétaires qui fragilisent des économies locales déjà sous tension. L’économie de la Guadeloupe et de la Martinique est caractérisée par une dépendance importante vis-à-vis des aides de l’État et des transferts publics. En effet, les secteurs publics et parapublics constituent des piliers économiques, assurant l’emploi de nombreuses personnes et contribuant à la stabilité sociale. Réduire les budgets alloués à ces territoires risque donc de saper cette fragile économie, déjà marquée par un taux de chômage élevé – avoisinant les 18 % en Guadeloupe et en Martinique, soit près du double de la moyenne nationale.La coupe de 300 millions d’euros dans les crédits de la mission Outre-mer pourrait se traduire par une baisse significative des subventions à destination des collectivités locales et des entreprises.

Cela affecterait directement les investissements publics dans des infrastructures essentielles comme les hôpitaux, les écoles,  ou encore les réseaux de transport, qui dépendent de ces financements pour leur modernisation et leur entretien. Or, ces infrastructures sont souvent vétustes et nécessitent d’importants travaux de rénovation. Le manque d’investissement pourrait donc aggraver la dégradation de ces services publics, avec un impact direct sur la qualité de vie des habitants. Ce recul des services publics va nuire sans conteste à la cohésion sociale.

L’une des conséquences les plus immédiates des coupes budgétaires serait une diminution des services publics en Guadeloupe et en Martinique. Les secteurs de la santé et de l’éducation, particulièrement dépendants des fonds publics, risquent d’être sévèrement touchés. Les hôpitaux, déjà en grande difficulté, pourraient voir leur situation empirer avec des réductions de personnel, des retards dans la mise à niveau des équipements ou encore des fermetures de services. De même, dans le domaine de l’éducation, où le taux de décrochage scolaire est déjà préoccupant, une diminution des moyens risquerait de compromettre encore plus l’avenir des jeunes générations.

La réduction des subventions à destination des collectivités locales pourrait également entraîner une dégradation des services sociaux, augmentant les inégalités dans des territoires où la pauvreté est déjà endémique avec du reste des impôts locaux déjà au taquet . Autre épine dans le pied de nos élus c’est que la Cour des comptes suggère de supprimer 100 000 emplois dans les collectivités locales pour économiser 4,1 milliards d’euros par an.

Le tissu social, déjà fragilisé par une crise économique structurelle et aussi une crise de la vie chère , pourrait se déliter davantage, entraînant une montée des tensions sociales. Ces dernières années, la Guadeloupe et la Martinique ont été le théâtre de mouvements sociaux violents, motivés par des frustrations liées à la vie chère, aux inégalités et au manque d’opportunités pour les jeunes.

L’austérité budgétaire pourrait bien être l’élément déclencheur de nouvelles contestations, mettant en péril la stabilité de ces territoires.Des répercussions sur le secteur privé et l’emploi se feront ressentir dès le début de l’année prochaine. L’effet des coupes budgétaires ne se limitera pas aux seuls services publics. L’économie privée de la Guadeloupe et de la Martinique pourrait également en souffrir. De nombreuses entreprises locales dépendent indirectement des contrats publics, que ce soit dans la construction, les services ou encore la fourniture de biens et de matériels.

La réduction des investissements publics risque donc de provoquer une baisse de l’activité pour ces entreprises, aggravant une situation déjà marquée par une fragilité économique structurelle.En outre, les réductions budgétaires pourraient entraîner une contraction de l’emploi public, un des principaux pourvoyeurs d’emplois dans ces îles. Cela aurait un effet domino sur l’ensemble de l’économie, avec une diminution de la consommation des ménages, qui pourrait à son tour affecter les entreprises locales, déjà confrontées à des difficultés d’accès aux marchés nationaux et internationaux.

Il va également falloir s’attendre à une pression fiscale accrue sur la classe moyenne. Outre les coupes de 40 milliards dans les dépenses publiques, le projet de loi de finances pour 2025 prévoit également 20 milliards d’euros de hausses d’impôts. Même si le texte n’est pas encore finalisé, il est probable que ces hausses touchent également les populations et les entreprises des territoires d’Outre-mer. Une augmentation de la fiscalité dans ces régions, déjà marquées par une précarité économique, pourrait accentuer les difficultés rencontrées par les ménages de la classe moyenne, mais aussi indirectement en particulier ceux issus des classes populaires, pour qui le coût de la vie est déjà un sujet de préoccupation majeur.

Les entreprises locales, qui doivent faire face à des charges souvent plus élevées que leurs homologues hexagonales en raison de l’insularité et des surcoûts liés au transport, pourraient se retrouver étranglées par une fiscalité accrue, ce qui freinerait encore davantage les investissements privés et l’innovation. En conséquence, cela pourrait renforcer la dépendance de ces économies vis-à-vis de la France hexagonale, alors même que ces régions ont besoin de se diversifier et de dynamiser leur économie pour sortir de la spirale de la dépendance économique.

De plus, cette austérité budgétaire laisse augurer d’un avenir de plus en plus incertain pour les jeunes générations qui seront confrontées aux affres de l’automatisation et surtout de l’intelligence artificielle. Les jeunes de Guadeloupe et de Martinique risquent d’être les premières victimes de cette austérité budgétaire. Avec des perspectives d’emploi limitées, notamment dans le secteur public, et une contraction de l’activité économique, beaucoup plus de jeunes que d’habitude pourraient être tentés de quitter leur île pour chercher des opportunités en métropole ou à l’étranger. Cette fuite des cerveaux, déjà amorcée depuis plusieurs années, priverait encore plus ces territoires de leurs forces vives, accentuant le déclin démographique qui affecte déjà la Martinique et la Guadeloupe.

Face à ces défis, la question de l’avenir de la jeunesse ultramarine devient centrale. Les réductions des crédits alloués à l’éducation et à la formation professionnelle, couplées à un marché de l’emploi en contraction, pourraient entraîner une hausse du chômage chez les jeunes, un phénomène déjà alarmant. Or, une jeunesse sans perspective est souvent un terreau fertile pour les mouvements de contestation sociale, comme cela a déjà été observé dans le passé notamment en 2021 et plus récemment en septembre 2024. En tout état de cause, nous nous dirigeons vers une vie chère accrue pour les populations des Antilles et ce en dépit des dispositifs envisagés lors de négociations sur la vie chère.

En définitive, les coupes budgétaires massives prévues dans le projet de loi de finances 2025 risquent d’accélérer la paupérisation de la Guadeloupe et de la Martinique. Ces territoires, déjà fragilisés par des décennies de sous-investissement et de crise économique, pourraient voir leurs difficultés s’aggraver, tant sur le plan économique que social. L’austérité imposée par le gouvernement, bien qu’elle soit présentée comme une nécessité pour redresser les comptes publics, risque de mettre en péril la stabilité et l’avenir de ces régions.

Plus que jamais, la question de l’avenir des Outre-mer, de leur développement et de leur autonomie économique se pose avec acuité. Le choix de l’austérité pourrait bien éloigner un peu plus ces territoires de la France hexagonale, accentuant leur sentiment d’abandon et d’isolement.

« L’économie c’est simple. C’est deux colonnes : une colonne dépenses et une colonne recettes. N’importe quelle ménagère vous le dirait. » … François Mitterrand 

*Economiste 

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