Opinion. Les clés souhaitables de l’avenir économique et politique des Antilles passent par le Bonheur régional brut

PAR JEAN-MARIE NOL*

Le problème de la Guadeloupe et la Martinique, actuellement, c’est qu’elles appliquent un modèle politique et économique qui a été conçu initialement pour développer les activités tertiaires à partir des transferts publics.

Ceci implique que le problème actuel de mal développement ne va pas aller en s’arrangeant, car avec la réduction attendue de la dépense publique, ainsi que l’émergence de la révolution numérique, de l’automatisation et l’intelligence artificielle ce modèle de société de la départementalisation est d’ores et déjà condamné dans le temps.

Et pourtant, nul remise en cause sérieuse à l’horizon. De fait, l’être humain a besoin d’entrer dans des impasses pour mieux comprendre les enjeux de demain. Les impasses peuvent soit finir sur un chaos généralisé, soit permettre d’initier autre chose. Le chaos social est tout à fait possible en Martinique et en Guadeloupe : une sorte de cocotte-minute identitaire d’incertitudes et d’inquiétudes est en train de miner les âmes et les consciences.

Le problème aujourd’hui n’est pas de se réjouir de cela, mais de voir ce qu’on peut tirer de cette évolution. Notre modèle de société montre son inadéquation, son incapacité à continuer dans la voie de la consommation à outrance. Si nous nous y accrochons, ce sera le dépôt de bilan assuré à la fin de la décennie à venir.

On voit déjà les prémisses d’un certain déclin de l’activité économique dans les deux îles des Antilles françaises, si l’on prend lecture des derniers rapports de l’IEDOM. Et pour cause, de l’aveu même de l’INSEE, il n’existe pas à ce jour de nouveaux relais crédibles de croissance aux Antilles. Dans ce contexte de mondialisation, les vieux schémas ne sont plus adaptés et peinent à relayer les préoccupations de la population. On a besoin de nouveaux instruments pour orienter les politiques publiques. Parmi ces instruments, il existe deux concepts qui semblent émerger, c’est celui de l’innovation et de la diminution du temps de travail à 32 heures. Mais, c’est quoi l’innovation et la réduction du temps de travail est-t-elle possible ?

Selon Wikipédia, l’innovation est le résultat de l’action d’innover. C’est un changement dans le processus de pensée visant à exécuter une action nouvelle. Elle se distingue d’une invention ou d’une découverte dans la mesure où elle s’inscrit dans une perspective applicative.

Innover aux Antilles, c’est rompre avec l’usage de la vie chère concomitante à l’ancienne économie de comptoir et encourager le neuf, quitte à faire mourir l’ancien notamment dans le secteur de la consommation avec la fin des hypermarchés et innover avec le e-commerce pour casser le rythme infernal de la spirale inflationniste qui est structurelle aux Antilles et responsable en partie de la vie chère.

Pour les économistes classiques, l’innovation est réputée être l’un des moyens d’acquérir un avantage compétitif en répondant aux besoins du marché et à la stratégie d’entreprise. Innover, c’est par exemple être plus efficient, et/ou créer de nouveaux produits (biens ou services, matériels ou immatériels), ou de nouveaux moyens d’y accéder.

Promouvoir le concept d’innovation, au moment où l’intelligence artificielle et la révolution numérique, sont une menace réelle pour notre modèle de société actuel. N’est-ce pas utopique ? Non, estimons-nous, du fait même de l’urgence de combattre le mal développement qui engendre des conséquences négatives pour nos sociétés antillaises comme, par exemple, le chômage de masse, la violence, la pauvreté, l’illettrisme, le désastre écologique.

L’innovation en politique, c’est une nouvelle manière, originale, d’envisager l’action publique, qui doit viser à répondre aux aspirations légitimes de la population à la vie la plus heureuse possible. Et c’est pourquoi nous devons coupler l’innovation avec le concept de « Bonheur régional brut », car on y voit le parfait reflet d’une nouvelle culture créole qui n’acceptera désormais qu’un seul type d’innovation : celui qui se fait dans un cadre bien établi de justice sociale, celui d’un nouvel indice de développement (le Bonheur régional brut) par des politiques publiques de type prospectives bien établies dans nos régions. 

Comme innover c’est créer quelque chose qui n’existe pas encore, il y aura toujours une part de risque.

Soit donc on accepte ces règles du jeu, qui incluent la possibilité de l’échec, et l’on innove quand même notamment dans le temps de travail, les services, l’énergie et l’environnement. Soit on refuse ces conditions et on ne fait rien. Dans ce cas, on subira l’innovation des autres. C’est-à-dire que l’on devra accepter de facto les produits et les services offerts actuellement sur le marché, en croyant l’illusion que rien ne peut changer en matière de vie chère et de déclassement de la classe moyenne.

Pourtant, on voit bien que le monde change. Ce changement donne la possibilité de prendre des risques pour les entrepreneurs, mais également pour les investisseurs, particulièrement dans le financement d’innovations durables sur les territoires de la Guadeloupe et la Martinique. L’innovation doit constituer désormais un axe majeur de la stratégie de développement de la Guadeloupe et la Martinique.

Face au ralentissement des moteurs traditionnels de la croissance – démographie en baisse, transferts publics en diminution, protections sociales menacées et import-substitution en crise – l’innovation est le levier d’une transition vers un nouveau modèle de développement exogène, dont les maîtres mots sont compétitivité, soutenabilité, solidarité et ouverture économique sur la Caraïbe mais aussi et surtout en direction du continent nord–américain.

C’est pourquoi une Stratégie Régionale de l’Innovation doit s’imposer aux Antilles comme cela se passe déjà à l’île de La Réunion (SRI- S3). Cette stratégie mise en place dans l’île de La Réunion est déjà opératoire. Cette SRI vise à structurer le territoire et à améliorer « la machine régionale à innover » pour atteindre une nouvelle étape de développement. L’objectif est de créer un environnement qui dynamise le processus d’innovation à La Réunion. Cette stratégie pourrait bien se révéler payante aussi pour la Guadeloupe et la Martinique .

Le politique peut-il limiter la casse sociale à venir avec l’intelligence artificielle et la révolution numérique et relancer l’économie de la Guadeloupe et de la Martinique sur des bases nouvelles alors que les caisses de l’État sont vides ? Le risque, avec ce pacte d’innovation, c’est qu’on ait surtout un plan de bonne conscience pour essayer de masquer les conséquences de la stratégie de réduction des déficits à tout prix, qui reste la priorité du gouvernement .

Les politiques économiques basées sur l’innovation et la diminution du temps de travail, ce sont des politiques de long terme. Les politiques de soutien à l’innovation passe aussi nécessairement par la politique de l’offre. Le hic, c’est que cela prend des années avant d’obtenir des résultats tangibles. C’est très difficile d’en faire la pédagogie et cela inclut des choses assez douloureuses sur le plan social.

Depuis tantôt dans nos chroniques, nous répétons qu’un nouveau modèle économique et social et une montée en gamme de l’économie de la Martinique et de la Guadeloupe est la seule sortie de crise possible, mais à condition de ne pas se contenter d’imiter et de dupliquer ce qui se fait en France hexagonale compte tenu de notre vulnérabilité à la dépense publique (transferts publics et sociaux, subventions aux entreprises, avantages fiscaux et sociaux aux ménages, etc.).

Si on ne fait qu’imiter, on est au mieux au niveau de la crise de confiance actuelle avec cependant des perspectives de vraie récession en 2025. Le virage est d’autant plus dur à négocier que certains des atouts des pays qui ont pratiqué avec quelque succès la politique de l’offre, comme la compétitivité retrouvée des entreprises, la qualité du dialogue social et la flexibilité du travail, paraissent difficilement transposables en l’état actuel aux Antilles.

La structure de l’économie de la France n’est pas la même que celle des pays d’Outre-mer, aussi nous devons garder raison et éviter de dupliquer telle quelle la politique de l’offre définie sur le plan national en Outre-mer.

Nous l’avons déjà dit et nous le répétons, cette politique de l’offre est bien la bonne mais elle comporte des risques dans sa mise en œuvre et à bien des égards peut même se révéler dangereuse pour nos pays d’Outre-mer, car elle possède cette caractéristique de générer un coût social élevé à court terme. Seul un orfèvre de la politique ayant une double culture économique et administrative peut le comprendre et éviter le piège de la déflation qu’elle porte en germe.

Pour continuer à penser et construire un nouveau modèle économique et social basée sur la théorie économique de l’offre, les acteurs économiques et politiques doivent donc avoir non seulement le recul nécessaire en matière d’évaluation, mais également privilégier la différenciation, la valeur ajoutée et un nouveau style de relations sociales concomitante à la diminution du temps de travail, investir dans la formation et l’innovation, ce qui demande temps et argent.

Dans ces conditions, est-t-il possible de faire des économies, nombreuses dans tous les domaines, tout en prônant un nouveau système économique préservant notre actuel modèle social ? Cette question sans réponse à l’heure actuelle se posera de toute façon de manière lancinante ces deux prochaines années avec l’accélération de la révolution technologique, aussi nous devons impérativement réfléchir à l’adoption d’un nouvel indice de développement à savoir le Bonheur régional brut.

Pourquoi ? Tout simplement parce que le produit intérieur brut (PIB) est un modèle conçu pour la croissance inhérente à l’époque de la départementalisation, développé à un moment où on pensait être dans un univers infini de progrès économique et social. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, d’où la nécessité d’un nouvel indice qui permette de mesurer les effets d’une politique publique de manière plus large. En conséquence, il doit y avoir un plaidoyer de tous les observateurs avertis de la chose économique pour un indice du Bonheur régional brut aux Antilles en lieu et place du PIB stricto sensu.

Jugeant le PIB dépassé par l’impact futur de l’intelligence artificielle, l’automatisation et la révolution numérique, nous souhaiterions inscrire le principe de « Bonheur régional brut » dans la mise en œuvre des politiques publiques aux Antilles, pour mesurer la vitalité du lien social ou encore la santé mentale de la population de la Guadeloupe et la Martinique, et ce bien avant l’éventualité de la mise en place du revenu universel de base pour enrayer autant que faire se peut les effets secondaires du chômage massif engendré à brève échéance par l’intelligence artificielle et la quatrième révolution technologique.

L’argent des transferts publics en provenance de la France hexagonale ne suffit pas, à lui  seul à garantir un avenir serein pour la Guadeloupe et la Martinique. Donc en fait, l’objectif c’est inscrire dans la mise en œuvre des politiques publiques, le principe de « Bonheur régional brut », en s’inspirant du modèle déployé au Bhoutan, petit royaume himalayen de 800 000 habitants.

Le concept de Bonheur régional brut vise à redéfinir la notion même de progrès économique et social. Contrairement au PIB, l’indice de Bonheur régional brut ne mesure pas seulement le développement économique, mais s’intéresse à la préservation de l’environnement, la bonne gouvernance, la vitalité du lien social et la promotion des loisirs et de la culture. Des facteurs qualitatifs qui se rapprochent des critères de développement émis par l’ONU….

Répétons le encore et encore : « Il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va ». – Sénèque –

*Economiste

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