Opinion. Législatives : pour qui sonne le glas

PAR DIDIER DESTOUCHES

À l’issue d’élections législatives mouvementées et à fort suspens, une faible portion de la population guadeloupéenne (celle qui vote), a choisi de reconduire deux députés sortants : Max Mathiasin, qui siégeait dans les rangs de la majorité présidentielle et Olivier Serva, dissident de la macronie et qui obtient avec plus de 74% des voix, une belle revanche électorale après son échec aux municipales de 2020.

Les deux autres députés élus : Christian Baptiste, maire de Sainte-Anne, et Élie Califer, maire de Saint-Claude, viennent renforcer la victoire de la gauche en Guadeloupe. Une gauche socialiste…

Ces législatives marquent donc globalement un premier échec électoral pour le GUSR et la majorité régionale dont les candidats soutenus tels que notamment la nouvelle secrétaire d’Etat à la mer, Justine Bénin, Marie-Luce Penchard, Ferdy Louisy et Bernard Pancrel ont lourdement échoué.

Elles débouchent également sur une installation forte d’un électorat du RN qui réussit grâce à Rody Tolassy à imposer la marque de l’extrême-droite en Guadeloupe lors des deux grandes élections nationales.

Les candidats guadeloupéens aux législatives ont énormément localisé et municipalisé la campagne législative, en tordant un peu le cou à la réalité du rôle du député. Les résultats montrent que cette stratégie reste payante et que passé l’élection présidentielle, l’électeur guadeloupéen est revenu à ses vieux réflexes de choix entre clientélisme et vote affectif pour des personnalités bien ancrées dans la vie politique locale, tout en maintenant bien haut levé l’étendard de l’anti-macronisme.

Pour l’ensemble des outre-mer, il est à noter les nombreux succès obtenus par des candidats nationalistes ou autonomistes aux législatives. Ce qui interroge sur la stratégie adopté par l’ANG en Guadeloupe de ne pas participer symboliquement aux élections législatives.

Plusieurs enjeux de grande importance étaient au niveau national en arrière-plan de l’élection présidentielle et des élections législatives 2022 et vont structurer le débat politique et l’avenir de la France dans les prochaines années.

L’un de ceux-ci concernait la potentielle conquête du pouvoir par l’extrême-droite française. La candidature du pamphlétiste Éric Zemmour avait de fait boosté la campagne présidentielle du camp nationaliste en France malgré son score décevant de 7% des voix. Fort des succès précédents électoraux de conservateurs nationalistes dans le monde tels que Donald Trump ou Viktor Urban, le camp nationaliste a rendu centrale et omniprésente dans la campagne la présence des thématiques du pouvoir d’achat, de l’insécurité, de l’immigration, du déclin culturel de la France.

Au final, Marine Le Pen qui s’est imposée en unique leader des nationalistes, a obtenu cinq grands succès historiques au terme de cette séquence électorale : elle a réussi la dédiabolisation du RN, elle a obtenu des scores incroyables dans les outre-mers, elle a brisé le plafond de verre des législatives, elle a fait exploser la tradition du front républicain et elle a mené puissamment à la victoire une nouvelle génération d’hommes et de femmes du Rassemblement National qui sont désormais plus de 80 députés.

Avec une idéologie souverainiste similaire à celle de l’extrême-droite européenne, le RN a renforcé et légitimé au sein de la République le camp nationaliste et xénophobe français par l’élection. L’engouement français pour cette forme d’expression politique est le signe de la fracturation sociale et culturelle de la société française mais aussi du basculement depuis cinq ans de l’électorat vers les candidats disruptifs et politiquement incorrects, qui bénéficient soit d’un buzz permanent médiatique, soit d’un soutien indirect des médias, soit des deux.

En attendant, Zemmour sombre avec son parti dans ces deux élections. L’erreur manifeste commise par les adversaires du Rassemblement national en Guadeloupe comme en France Hexagonale a été de stigmatiser uniquement les valeurs conservatrices et xénophobes de ce parti alors que de très nombreux électeurs ne s’intéressent plus ni aux idées ni aux valeurs mais à la puissance transgressive, à la proximité populaire, à la marginalité, à l’art oratoire, et aux méthodes populistes des candidats qui tapent avec force et avec talent sur un système politique qu’ils ne supportent plus.

Les législatives sont surtout un cinglant désaveu pour le président de la République. L’échec d’Emmanuel Macron a obtenir une majorité absolue et le piège dans lequel il s’est installé et qui consiste à devoir composer avec d’autres formations politiques pour pouvoir faire adopter ses projets, est surtout lié à trois éléments :

  • Sa stratégie d’évitement du débat politique et son manque d’engagement pour les deux élections
  • L’échec de sa communication politique, notamment lors de sa visite dans la ville de Kiev qui a été perçue comme une manipulation de l’opinion
  • Sa responsabilité directe dans la focalisation médiatique sur chacun des extrêmes de droite puis de gauche et qui entretemps et par conséquent sont devenu à l’issue des élections et au sein de l’assemblée nationale la nouvelle gauche et la nouvelle droite.

Le risque est maintenant dans l’éclatement de ce gigantesque centre droit qu’est la majorité présidentielle, dans le blocage législatif d’un gouvernement minoritaire, et dans l’omniprésence de la violence politique au sein de l’Hémicycle.

Des alliances jugées jusqu’alors contre-nature sont également à prévoir, ainsi qu’une dissolution de l’Assemblée nationale à court terme. Son échec conduit à la disparition directe de la scène politique ou du gouvernement de barons de la macronie tels que Richard Ferrand, Emmanuel Wargon, Christophe Castaner, Amélie de Montchalin, Jean-Michel Blanquer.

Enfin, l’abstention est la grande gagnante des deux élections et elle indique qu’il y a une urgence pour la démocratie française à se réinventer. Faute de quoi, le choix de responsables politiques risque de devenir de plus en plus illégitime et surtout conduire à des impasses politiques et éthiques fatales.

*Universitaire et essayiste
Auteur de « La République à bout de souffle »

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